25 novembre 2022

FLORA TRISTAN

Figure majeur du combat social et du socialisme utopique, Flora Tristan (1803-1844) défendit l’unité ouvrière internationale cinq ans avant Marx et Engels, et la prise en compte du combat féministe dans le socialisme. Olivier Gaudefroy propose une brève mais complète biographie de cette écrivaine insoumise quelque un peu oubliée.

Fille illégitime d'une femme de la petite bourgeoisie française et d'un colonel de l'armée espagnole, descendant d'une des plus riches familles du Pérou, elle se définissait elle-même comme une exclue, une paria.
L'alliance entre la science et la technique, à la fin du 18e siècle au début du 19e, ouvrit la voie en Grande-Bretagne, puis un peu plus tard en France, à la révolution industrielle et à un nouveau modèle social, qui se propagèrent rapidement à tous les secteurs de l’économie : des mines de charbon à l’industrie textile. « L'objectif de l'entreprise capitaliste du 19e siècle est de réduire la classe ouvrière à un état guère plus reluisant que celui de l'esclavage avec l'organisation d'une vie à l'usine où la discipline et les conditions de travail s’apparentent à un schéma pas si éloigné que cela d'une existence de type carcéral. » Si les premières formes de protestation ouvrière en Grande-Bretagne aboutirent à un développement précoce du syndicalisme, celui-ci limita sans doute la diffusion des nouvelles idéologies révolutionnaires : l’anarchisme proudhonien qui connut un succès important en France, et le marxisme en Allemagne.
Flora Tristan, même si elle reconnait la pertinence des analyses des penseurs de l’utopie socialiste, a une vision beaucoup plus pragmatique fondée sur l’observation et la connaissance directe, plutôt que relevant d’une idéologie. Elle a toutefois été marquée par l’égalité entre les sexes défendue par les disciples de Saint-Simon. Elle défendra également l’idée de coopératives, proposée par Robert Owen et basée sur une production d’usage et non sur le seul bénéfice de quelques uns. La pensée de Mary Wollstonecraft aura également une forte influence sur elle : l'éducation des femmes et son accès au monde professionnel, la critique du mariage, le droit au divorce, la liberté sexuelle, etc.
En plus de retracer son existence, Olivier Gaudefroy prend soin de rappeler le contexte économique et idéologique de l’époque afin de saisir pleinement l’origine et la résonance des prises de position de Flora Tristan qu’il illustre bien entendu et autant que possible par des citations de celle-ci : « Je me suis mise en révolte ouverte contre un ordre de choses dont j'étais si cruellement victime, qui sanctionnait la servitude du sexe faible, la spoliation de l’orphelin. »
Mariage précoce et cauchemardesque, naissance de trois enfants, deux garçon et une fille qui sera la mère du peintre Paul Gauguin, voyage au Pérou pour tenter de faire valoir ses droits, elle tire de chacune de ses expériences et de ses rencontres en général, des enseignements et des principes d’émancipation. « En fidèle disciple de Rousseau, Flora est convaincue que le mal trouve son origine non dans la nature humaine mais dans l’organisation sociale de la société. » La guerre civile à laquelle elle assiste au Pérou lui fait prendre la guerre en horreur, tout comme la corrida développe sa sensibilité pour la cause animale. Sa découverte des conditions de l’esclavage lui fait souhaiter « la ruine des exploitations de canne à sucre par la concurrence de la betterave afin d'accélérer l'émancipation des noirs ». Quelques mois après avoir fait l’objet d’une tentative d’assassinat par son mari, qui écopera de vingt de prison, elle dépose une pétition auprès de la Chambre des députés pour réclamer l’abolition de la peine de mort et la prévention des crimes par un traitement à la racine : la faim, la misère et le chômage. Pour changer les conditions de travail des ouvriers, elle a l'intention de s'adresser au peuple mais seulement après l'avoir étudié. Elle se rend en Angleterre, en mai 1839, pour s'informer de la situation sociale, qui est celle qui attend le prolétariat de l’Hexagone. L'année suivante elle publiera Promenades dans Londres, ouvrage de sociologie préfigurant l’essai de Friedrich Engels : La situation de la classe ouvrière en Angleterre en 1844. « Elle est subjuguée par la puissance de l'industrie anglaise, mais souligne que le patronat prend plus soin de ses machines que de ses ouvriers. » Elle fait paraître ensuite L’Union ouvrière, qui anticipe Le Manifeste du parti communiste, et dans lequel elle prône la constitution d'une vaste organisation ouvrière, autogérée et autofinancée. La tournée de promotion pour faire connaître son ouvrage et son projet, dans laquelle elle s'engage à l’automne 1843, lui sera fatale.

Les quelques extraits de textes de Flora Tristan ici rapportés, particulièrement incisifs, donnent envie d’en lire plus. Ce que nous ne manquerons pas de faire à l’occasion. Une biographie brève mais suffisante qui s’attache tout autant à relater la vie de l’écrivaine militante qu’à présenter sa pensée.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


FLORA TRISTAN
Une insoumise sous le règle de Louis-Philippe
Olivier Gaudefroy
130 pages – 9 euros
Éditions  Syllepse – Collection « Des paroles et des actes » – Paris – Avril 2022
www.syllepse.net/flora-tristan-_r_89_i_886.html



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