Recueil de textes initialement parus entre 1958, date de son premier voyage à Hiroshima, et 1967, qui prolongent L’OBSOLESCENCE DE L’HOMME (1956). Face à la nouvelle situation dans laquelle l’explosion des premières bombes atomiques nous a placé, Günther Anders analyse ce que « vivre avec la bombe » signifie, la nature de notre « aveuglement face à l’apocalypse » et suggère quelques moyens pour en sortir.
L’AVENIR PLEURÉ D’AVANCE (1964)
Où il reprend de façon métaphorique l’histoire de Noé qui, incapable de convaincre ses voisins de l’imminence du déluge, enfreint des interdits en portant le deuil et en récitant le kaddish pour les morts à venir, afin d’éveiller leur curiosité et de frapper leur entendement.
LE SAUT (1958)
Où il dénonce l’absurdité liée à notre nouveau « statut divin », celui d’avoir entre les mains « le pouvoir apocalyptique de décider de l'existence ou de la non-existence de l'espèce humaine (et probablement même de toute vie terrestre) ». Dès lors, le comparatif a perdu toute signification ; l’infini a trouvé une limite ; l’impossibilité de se comporter de façon morale est avéré puisque « “posséder“, c’est déjà “utiliser“ (et “faire chanter“, en l’occurence) » ; les États qui disposent de la toute-puissance est aussi totalement impuissant. Impossible de reprendre ici l’intégralité de ses démonstrations toutes d’une grande lucidité, ni son implacable analyse de la « théologie atomique », dont la conclusion pourrait être : « Il n’y a rien de plus déraisonnable que de spéculer sur la raison. »
SUR LA RESPONSABILITÉ AUJOURD’HUI (1959)
Certainement l’article le plus intéressant de ce recueil. Le refus de participer à un emploi « parce que nous avons pris conscience que ce qu’on nous demande d’y faire est irresponsable, est impératif mais insuffisant, car le travail continuera sans nous et nous n’aurons rien empêché, seulement obtenu « l’assurance de [notre] propre impeccabilité ». Günther Anders s’en prend également à la « division du travail » qui cherche à contenir notre conscience à notre domaine de compétence. « Si l'État dans lequel vous vivez se dit démocratique, c'est précisément parce qu'il vous garantit le droit – peu importe que vous ayez choisi d'être cordonnier, médecin, mineur, directeur d'usine, ouvrier ou étudiant – de prendre part à des décisions qui n'ont rien à voir avec votre domaine de compétence. Celui qui limite la conscience du citoyen au domaine de compétence qui lui a été attribué, à l'emploi qu'il occupe et au champ sur lequel porte son travail, remplace la conscience par un simple zèle qui pourrait tout aussi bien faire merveille dans un camp d'extermination et qui y a d'ailleurs fait merveille. » « Puisque nous n'avons aucune raison de supposer que les frontières “consciencieusement“ tracées de la division du travail doivent leur existence et leur localisation à des principes moraux, la fonction décisive de notre conscience morale consiste à ignorer ces limites entre compétences. »
Il pointe également la « division du travail entre “agir“ et “avoir honte“ » qui exempte les donneurs d’ordre de culpabilité et en accable ceux qui les ont exécutés, ainsi que le discrédit porté au « en tant que » depuis que la bombe a été lâchée. « Règle : si les effets de nos actes ou de nos ouvrages détruisent l’ “en tant que“ de l'homme, alors nous perdons le droit de nous autoriser de notre propre “en tant que“ et de nous retirer en lui pour nous excepté de la responsabilité de ces effets. Si nous restons indifférents à la destruction que nous avons causé parce que ce n'est pas “nous“ mais “nous en tant que…“ (en tant que fonctionnaire, ouvrier de l'industrie ou chercheur dans un institut) qui l’avons causé, cette indolence est ou bien une forme d'hypocrisie ou bien l'indice d'une limitation. À vrai dire, elle est souvent les deux à la fois. » « La phrase qui dit que “les conséquences ne se soucient pas des séparations“ est en fait une des propositions principales de l'éthique. Non, elle est plus qu'une des propositions principales de l'éthique : elle concerne l'un des faits qui rendent nécessaire la morale. » La tâche de la responsabilité, « correctif de la division du travail », est de « sort[ir] du lit de [sa] spécialité » pour » bond[ir] après les conséquences de [ses] actes ou travaux ».
Il réfute ensuite longuement la thèse défendue par Jaspers dans son ouvrage La Bombe atomique et l’avenir de l’homme et qu’il nomme « axiome des deux enfers », selon laquelle nous sommes face au danger de la fin du monde, d’un côté, et celui du totalitarisme soviétique de l’autre. Il lui reproche, entre autre, d’inciter à la « transformation de soi » plutôt que d’interpeler les dirigeants politiques (en intensifiant inutilement leur angoisse !).
MEURTRE NUCLÉAIRE N’EST PAS SUICIDE
Où il explique que nous ne pouvons pas désapprendre. En effet, « il est courant aujourd'hui que la science et la technique se chargent de l'opération qu’accomplit notre mémoire de la même façon qu'elles se chargent d'autres opérations que nous accomplissions autrefois comme le transport de l'eau, la cuisson du pain et la formation de l'opinion. Nous avons délégué toutes ces opérations à d'autres instances, à des figures objectives – des instruments, des institutions, des disciplines scientifiques – dans lesquelles elles mènent à présent une existence propre que nous sommes incapable de révoquer. » Cette situation est devenue une malédiction.
Il dénonce l’utilisation de l’expression « suicide de l’humanité » à propos du nucléaire, étant donné que les hommes ne sont pas complices également. Le pouvoir d’anéantissement se trouve entre les mains d’une poignée d’individus.
L’IMMORALITÉ DE L’ÂGE ATOMIQUE (1959)
Avec cet article, Günther Anders revient sur une notion déjà développé dans L’OBSOLESCENCE DE L’HOMME : nous sommes devenus tout-puissants sans être à la hauteur, incapables de nous représenter ce que nous pouvons produire et déclencher. Aussi nous invite-t-il à exercer notre imagination. Celle-ci est d’ailleurs détruite délibérément : un langage spécifique est chargé d’empêcher « une juste représentation de l’illimité ». Par exemple, le néologisme « megacopse » désigne un million de morts. Il rappelle également que « la division du travail et la spécialisation sont des œillères. »
THÈSES POUR L’ÂGE ATOMIQUE (1959)
Où il synthétise son propos en paragraphes brefs, supports à discussions. Il évoque « le courage d’avoir peur » et celui « de faire peur », « le travail comme ersatz de l’acte », comme « camouflage, l’ « anihilisme sans vergogne » des « armes nucléaires ».
LES RACINES DE L’AVEUGLEMENT FACE À L’APOCALYPSE
MINIMISATION : SES MÉTHODES
Günther Anders décrit les méthodes utilisées pour minimiser le danger : classement erroné des « armes » atomiques, dégrisement et solennisation de l’horreur, fausse comparaison, menace par le contraire, plaisanteries, spéculation sur la bêtise.
LE SERMENT D’HIPPOCRATE (1963)
Où il regrette que seuls les médecins s’engagent à ne pas porter préjudice à ceux qu’ils traitent et que les ingénieurs, les chercheurs et les ouvriers de l’industrie n’aient pas à prendre d’engagement similaire.
La recherche est par essence « un Janus bifrons », condamnée à l’ambiguïté. La non-participation à la recherche scientifique est insuffisante car elle n’entrave pas l’activité des sciences ni la production et la politique.
LA PLUS MONSTRUEUSE DES DATES (1967)
Le 8 août 1945, le « tribunal militaire international » de Nuremberg fait entrer le concept de « crime contre l’humanité » dans le droit international, deux jours après Hiroshima et un avant Nagasaki, « crimes contre l’humanité » qui ne seront jamais punis.
LE DÉLAI (1951)
Anders revient sur le concept d’apocalypse, Hegel et Heidegger à l’appui : le moment du risque d’une possible apocalypse, « situation eschatologique », est « le kairos de l’ontologie ». Il analyse l’ « apocalypse nue », fin du monde qui n’ouvre vers aucune situation positive au contraire du sens métaphorique dans lequel le terme était jusqu’à présent utilisé, en théologie.
La technique n’est pas neutre vis-à-vis des formes de dominations politiques, elle est « fondamentalement contraire à la démocratie ».
L’ARCHE DE L’ACTION. Une proposition pour empêcher les essais nucléaires (1958)
Où il suggère, sans pour autant trop y croire, qu’une arche, chargée de passagers provenant de la plupart des pays du monde, prenne la mer et mette le cap sur le lieu des prochains essais nucléaires pour symboliser l’humanité en péril.
LES CONSÉQUENCES DES CONSÉQUENCES DES CONSÉQUENCES. Toute centrale nucléaire est une bombe (1977)
Où il met en garde contre la distinction entre utilisation guerrière et utilisation pacifique de l’énergie nucléaire.
SI VIS PACEM PARA PACEM (1983)
Où il démonte tous les arguments pour justifier la course aux armements nucléaires et l’inefficacité de « la résistance purement verbale », des « actions purement symboliques ».
DIX THÈSES SUR TCHERNOBYL (1986)
Où il dénonce en deux poignées de textes synthétiques les dangers des « centrales nucléaires prétendument pacifiques » et les mensonges employés comme justifications.
L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE, C’EST L’EXTINCTION DE L’AVENIR (1986)
Entretien.
Toujours aussi percutant.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
LA MENACE NUCLÉAIRE
Günther Anders
352 pages – 24 euros
Éditions Héros-limite – Genève – Septembre 2024
heros-limite.com/livres/la-menace-nucleaire/
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