Pour quoi faire ?

9 novembre 2019

CES 600 MILLIARDS QUI MANQUENT À LA FRANCE

Antoine Peillon, grand reporter au journal La Croix, dévoile les mécanismes d’une évasion fiscale organisée à grande échelle. Son enquête, concentrée sur le groupe bancaire suisse UBS, met en lumière des méthodes illégales de démarchages pour inciter les grandes fortunes privées à cacher une partie de leur patrimoine dans les paradis fiscaux, privant ainsi l’État français de colossales recettes fiscales chaque année.

Leader mondial dans la gestion de fortune, UBS France aurait aidé à soustraire au fisc français 85 millions d’avoir d’euros chaque année depuis l’an 2000, soit 850 millions en dix ans, d’après une évaluation des cadres de la banque. La filiale française présente un déficit structurel important régulier, puisque la commercialisation de comptes offshore ne peut apparaître dans sa comptabilité, sans que cette anomalie n’alerte les autorités de contrôle. L’évasion fiscale représenterait au total, selon plusieurs estimations, 590 milliards d’euros, correspondant à un manque à gagner de 30 milliards d’impôts sur le revenu potentiel chaque année.
Alors qu’il se trouvait en possession d’une liste de 8 000 détenteurs de comptes à la HSBC, le procureur de Nice, Éric de Montgolfier s’est vu ordonner par le ministère de la Justice de mettre fin aux investigations, alors même que le ministre du Budget communiquait bruyamment sur cette liste, minimisée à 3 000 noms, dont celui de Patrice de Maistre, gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt et employeur de Florence Woerth, épouse du ministre.
Pourtant le rapport de l’association Transparence International pour 2011 estimait que les difficultés économiques de la zone euro sont « en partie liées à l’incapacité des pouvoirs publics à lutter contre la corruption et l’évasion fiscale qui comptent parmi les causes principales de la crise ».
Les informateurs d’Antoine Peillon sont autant des cadres d’UBS qui cherchent à faire savoir ce qu’ils n’ont pu empêcher, que des agents du renseignement français. Ainsi, l’un de ceux-ci lui raconte comment ont été détruits d’importantes quantités de données alors que le Conseil constitutionnel vient d’exclure les locaux de la présidence, ceux de grands ministères et des services de renseignements du « secret défense », ouvrant ainsi leurs portes aux enquêteurs. La sous-direction K de la DCRI est notamment consacrée à la protection du « patrimoine », c’est-à-dire à la protection de l’économie et des groupes industriels stratégiques, mais sa mission réelle est de « protéger le premier cercle des fraudeurs, quand ceux-ci soutiennent, par cotisation en espèce ou par influence, le parti de ceux qui sont au pouvoir », de « connaître, le plus en amont possible, les délits des riches et des puissants » pour négocier des contreparties « en échange d’une solide et confidentielle immunité fiscale ». « Les constats de nombreuses fraudes fiscales sont souvent mis au coffre pendant trois ans, le temps de la prescription de ces délits, au lieu d’être transmis au fisc ou au parquet pour nourrir des procédures judiciaires qui seraient légitimes. »
L’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) de la Banque de France est demeurée étrangement silencieuse après avoir reçu d’un collectif de cadres d’UBS en mai 2009, en décembre 2010 puis en octobre 2011, des notes de synthèses et des informations considérables, accusant la Banque UBS France d’avoir mis en place de 2002 à 2007 un système d’évasion fiscale de la France vers la Suisse, grâce à un processus de double comptabilité.
Tandis qu’aux États-Unis, la justice condamne la banque à une amende de 780 millions de dollars en 2009 et la menace de lui retirer sa licence, l’activité commerciale bancaire d’agents suisses sur le territoire français se poursuit en toute illégalité.

Fin 2003, John Cusack, responsable de la Conformité chez UBS, se penche sur la filiale française et alerte son président sur le profil de la plupart des clients, considérés comme « à risque », notamment deux, « présentant un risque majeur à la réputation » de la Banque : la Société nationale des hydrocarbures (SNH) du Cameroun et la fille d’un entrepreneur brésilien décédé, impliqué dans plusieurs scandales.
Un audit interne, de 2003 à 2009, découvrira des « affaires spéciales », une somme impressionnante d’irrégularités, de risques et de délits, dont certains relèvent de la criminalité, mêlant blanchiment et évasion fiscale, financements du crime organisé, de dictatures africaines et de terrorisme, mais la direction de la banque n’en tiendra pas plus compte.
Des accidents informatiques vont se répéter et faire disparaître d’importantes quantités de preuves de la responsabilité de la banque.
L’agence « Gestion de fortune » du XVIe arrondissement de Paris subit une attaque à main armée en octobre 2003 : clair message d’intimidation pour que l’audit cesse de coopérer avec TRACFIN.

Antoine Peillon, grâce aux informations fournies par ses nombreux informateurs, expliquent le fonctionnement du « blanchiment à l’envers », du « noircissement » de capitaux légaux appartenant à la famille princière saoudienne et qui finissent par alimenter, par des virements en cascade, une multitude d’organisation islamistes dont les activités peuvent être criminelles, voire terroristes.
Il rapporte également comment les fondateurs d’une société en ingénierie informatique, Altran, ont réussi à faire évader leur patrimoine dans des paradis fiscaux. Par ailleurs, l’un d’eux, Hubert de Martigny, racheta en 1998 la salle Pleyel au Crédit Lyonnais pour 10 millions d’euros avant de la louer puis de la revendre à la Cité de la Musique avec une plus-value de 65 millions et l’aval du ministre de l’Économie et des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy.
Il consacre tout un chapitre au fonctionnement du système de double comptabilité reposant sur des « carnets du lait » servant à alimenter le fichier « vache » avec les opérations d’ouvertures de comptes en Suisse, non déclarés au fisc français. Dans un autre chapitre, il explique comment une centaine d’événements sportifs, culturels et mondains sont organisés chaque année pour permettre aux agents de la banque d’approcher leurs futurs clients, parfois célèbres, toujours fortunés, et leur vendre de l’évasion fiscale. 
Il explique comment ont circulé les avoirs du portefeuille UBS de Liliane Bettencourt, client offshore, et comment celle-ci a acheté son immunité fiscale en cotisant à l’UMP.

Étant donné l’ancienneté (relative) de cet ouvrage nous nous permettons des commentaires un peu moins concis que d’ordinaire. Tout d’abord, des procès ont bien eu lieu concernant une partie au moins des faits dénoncés ici. Des condamnations ont été prononcées, et d’importantes amendes réclamées, confirmant donc la véracité de ce système organisé d’évasion fiscale et de corruption politique, même si la Justice n’aura certainement pas fait toute la lumière sur cette affaire, laissant dans l’ombre bon nombre de personnalités impliquées. Certains faits laissent cependant supposer qu’il perdure : nouvelles réductions d’impôts votées en faveur des plus riches, des lois attaquent les lanceurs d’alerte au lieu de les protéger. Considération toute personnelle, car, bien entendu, Antoine Peillon ne se permet pas d’extrapoler ainsi au-delà de ce que dénonce son enquête.


 


CES 600 MILLIARDS QUI MANQUENT À LA FRANCE
Antoine Peillon
194 pages – 15 euros.
Éditions du Seuil – Paris – Mars 2012

192 pages – 6,50 euros.
Éditions du Seuil – Collection
« Points documents » Paris – Mars 2012


Du même auteur :


Voir aussi :

OFFSHORE - Paradis fiscaux et souveraineté criminelle

LA VIOLENCE DES RICHES - Chronique d’une immense casse sociale

LE PRÉSIDENT DES ULTRA-RICHES - Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel 

LE LIVRE NOIR DES BANQUE$.

 



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