10 juillet 2019

COEUR DE BOXEUR - Le Vrai combat de Christophe Dettinger

Antoine Peillon, Grand reporter au quotidien La Croix, entreprend ici de revenir dans le détail sur « l’affaire Christophe Dettinger », du nom du « boxeur gitan » qui a brutalisé des gendarmes mobiles, à Paris, le 5 janvier 2019, pendant l’Acte VIII des Gilets jaunes. Il prend sa défense, non pour justifier la violence, mais pour expliquer cette « décence commune » qui l’anime, face à « l’indécence extraordinaire du gouvernement d’Édouard Philippe et du Parlement godillot de la prétendue République en marche », pour « démasquer la déviance monarchique du « régime Macron » et ses violences policières qui on attisé « l’incendie politique ».


« Les terribles grenadiers, dragons du roi, briscards et grognards de Christophe Castaner, l’ancien protégé de feu le caïd provençal Christian Oraison, dit « le Grand Blond », sont chahutés – vivement –, bousculés – sérieusement –, tuméfiés – un peu… Humiliés, surtout ! ». Revenant sur l’enchaînement des événements et des déclarations, Antoine Peillon oppose la réalité des faits à leur traitement médiatique et politique. Un homme, donc, affronte à visage découvert, sans protection ni arme, une meute de gendarmes mobiles gazant et matraquant à tout-va des manifestants pacifiques. Le ministre de l’intérieur dénoncera « cette attaque aussi lâche qu’intolérable », tandis qu’Emmanuel Macron accusera Christophe Dettinger d’avoir été « briefé par un avocat d’extrême gauche » pour la vidéo qu’il a enregistrée et diffusée avant de se rendre, parce qu’il « n’a pas les mots d’un boxeur gitan » ! Pourtant, la femme qu’il prétend avoir défendue confirme : « J’étais déjà au sol, en boule, et Christophe Dettinger est venu, a pris le CRS qui était en train de me frapper et l’a enlevé. Il m’a sauvé la vie. » « J’ai reçu des coups de matraque dans la bouche, dans les dents, des coups de pieds dans les côtes. Et comme j’ai un problème pulmonaire, si j’avais reçu trop de coups, trop longtemps, j’y passais. » Il a pris soin de préciser lui-même : « Je n’aurai pas dû taper les gendarmes. Mais c’est comme si je voyais une dame se faire agresser dans le métro par dix personnes. »
Antoine Peillon reprend, détaille et analyse l’ensemble de ses paroles spontanées et les rapproche de celles de Dom Hélder Pessao Câmara : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
Au-delà de « la stratégie de la tension orchestrée par l’État français, depuis le commencement du mouvement des Gilets jaunes », il démontre comment, depuis 2007, le pouvoir politique a, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, institué « un état d’exception permanent, banalisé, où justice et vérité sont écrasées », consolidant « la puissance opaque du renseignement et la répression des dissidences, légalisant les atteintes aux libertés fondamentales ». S’appuyant sur le recensement du journaliste David Dufresne, il prend le temps de détailler les blessures graves et les mutilations infligées par la police, sur des personnes qui, pour la plupart, manifestaient de façon pacifique et le « mensonge d’État » qui les couvre. Un tir de LBD 40, c’est comme si on vous lâchait un parpaing de 20 kilos sur le visage à une hauteur de un mètre. La pratique de la manipulation de l’opinion publique relève d’une « politique de la post-vérité » décrite par Orwell dans 1984. Ainsi, la fausse nouvelle à propos des gants « coqués », voire « lestés de plomb », a-t-elle été librement diffusée, bien que les gants, ordinaires, visibles sur les vidéos, ont été retrouvés lors de la perquisition du véhicule de Christophe Dettinger. L’État français s’est lancé « à corps perdu dans une véritable guerre policière et judiciaire contre toutes les contestations, même les plus pacifiques, de sa politique destructrice du patrimoine social des français », basculant dans la « militarisation de la répression du mouvement social ». L’auteur cite fort judicieusement une lettre envoyée par le préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, en mai 1968, à chaque policier : « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés. […] Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limite. » Il dénonce une justice « préventive, expéditive, inéquitable et, surtout, subordonnée à l’exécutif », des « instructions illégales », révélées par des officiers de police : « placer systématiquement les Gilets jaunes arrêtés en garde à vue » et les inscrire sur le fichier des antécédents judiciaires, même si les dossiers les concernant sont classés sans suite. « Aucun mouvement social n’a jamais généré une telle démesure judiciaire. » Cette politique répressive est également dénoncée par le Défenseur des droits, la presse étrangère, la haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Michelle Bachelet.
Le « grand débat national » et la nouvelle loi sécuritaire, la « loi anti-casseurs » qui restreint arbitrairement le droit de manifester, ne sont pas des solutions à la crise mais un acharnement à ne vouloir la résoudre que par le mépris et la force. Au lieu de punir un fait, cette loi crée un délit de présomption de participation à une manifestation en vue de procéder à des dégradations de biens ou à des violences contre des personnes. C’est une mesure de police administrative, prise loin du regard du juge, dans une logique de « justice prédictive ». L’analyse qui en est faite et les différents commentaires rapportés, sont sidérants tout comme le rappel des accusations récurrentes, organisées, presque obsessionnelles, d’anti-sémitisme contre le mouvement des Gilets jaunes.
L’analyse du mépris de classe d’Emmanuel Macron et de sa fascination conjointe pour la monarchie, est tout aussi intéressante et révèle sa tentation tyrannique. « Orienté vers le veau d’or, le président des ultra-riches est aussi le briseur en chef des liens qui font une société humaine : liens économiques et sociaux fondés sur l’équité et la solidarité, l’idéal d’égalité ; liens moraux, affermis par la confiance dans la justice et les services publics, police comprise. »
Antoine Peillon lui oppose la « décence commune » de Christophe Dettinger, que celui-ci exprime dans ses paroles spontanées, enregistrées sa vidéo ou prononcées au cours de son procès, sorties de « son coeur de boxeur » : « Je manifeste pour tous les retraités, le futur de mes enfants, les femmes célibataires. Je suis un Gilet jaune, j’ai la colère du peuple qui est en moi. » Nous ne pouvons manquer de reprendre les paroles d’Élisée Reclus que Antoine Peillon cite en conclusion de son enquête : « Nos ennemis savent qu’ils poursuivent une oeuvre funeste et nous savons que la nôtre est bonne ; ils se détestent et nous nous entr’aimons ; ils cherchent à faire rebrousser l’histoire et nous marchons avec elle. […] Plus les travailleurs, qui sont le nombre, auront conscience de leur force, et plus les révolutions seront faciles et pacifiques. »


Réunir tous les éléments du contexte d’un événement, quel qu’il soit, que le zapping permanent des flash d’informations dilue, donne une vision d’ensemble indispensable pour comprendre et se faire une opinion.
Antoine Peillon montre surtout, à partir de cette « affaire », l’ampleur de la dérive autoritaire du régime et de la construction méthodique d’un pouvoir vertical. Il rend hommage à celui qui est devenu un des symboles du mouvement des Gilets jaunes, à sa saine philosophie, à son humanité, lui adressant son exposé, régulièrement ponctué d’encouragements sous lesquels perce, si ce n’est l’admiration, tout au moins un profond respect.

 
COEUR DE BOXEUR
Le Vrai combat de Christophe Dettinger
Antoine Peillon
194 pages – 14 euros
Éditions Les Liens qui libèrent – Paris – Mai 2019



Voir aussi : 

LUNDI MATIN PAPIER #4 - Gilets jaunes : un assaut contre la société   

LE PRÉSIDENT DES ULTRA-RICHES - Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron

 

1 commentaire:

  1. Très bon livre ! (lu récemment)
    Juste un petit commentaire pour vous signaler que vous avez écrit Vincent Peillon au lieu d'Antoine Peillon ;-)

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