Pour quoi faire ?

6 octobre 2020

JUJITSUFFRAGETTES - Les amazones de Londres

Au début des années 1910, Edith Garrud, une des rares femmes professeur d’arts martiaux en Europe, forme au jujitsu les Amazones, les gardes du corps d’Emmeline Pankhurst, chef de file des suffragettes, confrontées à une brutale répression policière. Souvent décrit selon un récit pacifié, comme composé d’élégantes corsetées réclamant le droit de vote, ce mouvement féministe anglais est ici raconté sans fard, déterminé à se défendre et à arracher des droits à ceux qui lui les refusent, y compris en brisant des vitrines et en répliquant aux coups.« Le jujitsu consiste à retourner la supériorité physique d’un adversaire contre lui-même ». Edith Garrud enseigne, entre autres, aux femmes victimes de violences conjugales à répliquer, lorsqu’elle est approchée par le Women’s Social and Political Union (WSPU), dont le slogan « Des actes pas des mots » est aussi le programme. Si ses militantes ont longtemps cru qu’à force de pédagogie, les élus en viendraient à les considérer comme des citoyennes à part entière, la récente trahison du Premier ministre Asquith les convainc de passer à l’offensive. « Prenez deux bébés. Le premier est patient, il attend que sa mère le nourrisse. Le second pleure et crie, jusqu’à ce qu’on lui donne à manger. Nous savons tous parfaitement duquel on s’occupera en priorité. C’est toute l’histoire de la politique. »


Est aussi évoquée subrepticement par Sylvia Pankhurst, l’une des filles d’Emmeline, plus radicale et sans doute plus clairvoyante, la convergence des luttes, « seul moyen de renverser l’ordre établi ». Elle reprochera aussi à sa mère de proclamer une trêve alors que la Première Guerre mondiale menace, certes en partie pour des raisons tactiques puisqu’elle compte que, tandis que les hommes seront au front, les femmes les remplaceront dans tous les secteurs clés de la société, ne pouvant plus être traitées ensuite comme des sous-citoyennes. Sylvia comprend que cet appel au nationalisme divisera surtout les travailleurs entre eux au niveau international, les détournant de leurs luttes contre leurs exploiteurs, et servira surtout « le profit des marchands de canons ».
Clément Xavier a scénarisé avec autant d’intelligence et d’honnêteté que d’humour (ce qui était certainement le plus difficile) cet épisode de l’histoire des mouvements féministes. Les images de Lisa Lugrin sont souvent très dynamiques. Les scènes de combat sont habilement chorégraphiées, n’hésitant pas à exploiter toutes les ressources de la mise en page : cases qui flottent ou disparaissent pour amplifier les chocs, qui s’étirent horizontalement ou verticalement pour accompagner les mouvements,…


Elsa Dorlin, par ailleurs auteur de SE DÉFENDRE - Une Philosophie de la violence, signe la préface dans laquelle elle rappelle « comment l’image caricaturale des suffragettes, de ces militantes ridiculisées, qui nous était transmis jusqu’ici, a eu pour fonction désastreuses de dépolitiser notre histoire ; de discipliner nos corps, nos imaginaires et notre rage ». Elle anime également des ateliers d’autodéfense qui nous sont rapidement présentés dans le bref dossier documentaire qui clôt cette bande dessinée.



JUJITSUFFRAGETTES
Les amazones de Londres
Clément Xavier, Lisa Lugrin et Albertine Ralenti
Préface d’Elsa Dorlin
136 pages – 21,90 euros
Éditions Delcourt – Collection « Coup de tête » – Paris – Septembre 2020


Traduction de cet article en hollandais : libertaireorde.wordpress.com/2020/10/15/jujitsu-suffragettes-de-amazones-van-londen
Merci à Thom Holterman


Des mêmes auteurs :

MÊME LE GRAND SOIR A COMMENCÉ PETIT

YÉKINI, LE ROI DES ARÈNES

TERRES REBELLES

 


Voir aussi :

SYLVIA PANKHURTS - Féministe, anticolonialiste, révolutionnaire

SE DÉFENDRE - Une Philosophie de la violence

COMMENT LA NON-VIOLENCE PROTÈGE L’ÉTAT

L’ÉCHEC DE LA NON-VIOLENCE

LES BLACK BLOCS - La liberté et l’égalité se manifestent




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