En octobre 2020, les Zapatistes diffusent un communiqué depuis le Chiapas, annonçant la venue prochaine d’une délégation en Europe, qu’ils renomment Slumil K’ajxemk’op (« Terre rebelle »), pour une « conquête inversée », afin de répandre le virus de la résistance.
En vingt-huit épisodes, Lisa Lugrin raconte ce périple qu’elle a suivi et commenté en direct, les publiant semaine après semaine sur des médias indépendants. Elle remonte à la révolution mexicain pour la terre et la liberté (Tierra y Libertad), avec Emiliano Zapata et Pacho Villa, à l’arrivée de militants dans la forêt Lacandone, en novembre 1983, pour fonder l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Ceux-ci apprennent au contact des communautés et ensemble décident, 10 ans plus tard, de déclencher la guerre contre le gouvernement fédéral et de proclamer : ¡ Ya basta ! Pour être enfin vu, ils cachent leurs visages. La « loi révolutionnaire des femmes » est promulguée. « Les tremblements de terre qui secouent l'histoire de l'humanité commencent par un “ça suffit“ isolé, presque imperceptible. Une note discordante au milieu du bruit. Une fissure dans le mur. »
La première délégation, l’escadron 421, composé de 4 femmes, de 2 hommes et d’un·e autre, après 50 jours de voyage en mer, accoste à Vigo, en Espagne. L’invasion commence. Elle passe par la Parole errante, à Paris. La seconde déléguaiton qui doit suivre, comprenant quelques 200 zapatistes, rencontrent beaucoup de difficultés administratives. Elle s’appellera « la extemporánea » : inconvenante, inopportune et inappropriée, selon les termes régulièrement renvoyés à leurs demandes de visas.
Les grands principes qui guident l’autonomie et la démocratie directe dans plus de 1400 villages, sont longuement et très clairement exposés : « le peuple décide et le gouvernement obéit », l’organisation reposant sur les assemblées de village, les « caracols », assemblées municipales regroupant plusieurs villages, puis les conseils de bon gouvernement, instances régionales aujourd’hui au nombre de 12, la justice autonome, sans prison, les écoles autonomes zapatistes, les travaux collectifs, etc.
Toutes ces informations sont fort intelligemment mises en page grâce à des dispositifs très inventifs qui veillent en permanence à les hiérarchiser, en recherchant le maximum de clarté et de confort de lecture. Grâce à cette attention graphique de chaque instant, le lecteur le moins familier avec cette histoire, ne se sent jamais submergé, conduit pas à pas dans cette découverte.
La délégation se disperse ensuite en petits groupes et part à la rencontre de 1400 collectifs en luttes à travers l’Europe. L’auteure-illustratrice les suit aux Tanneries, quartier libre des Lentillères à Dijon, à la coopérative Longo Maï, à l’après-M, Mac Do reconverti à Marseille,…
Loin de se contenter d’un simple compte-rendu du voyage des zapatistes, fortement imprégnée des communiqués et du projet révolutionnaire zapatistes, et sans doute secondée par l’historien Jérôme Baschet, spécialiste de ce mouvement, Lisa Lugrin livre un documentaire aussi riche qu’accessible : une référence sur le sujet destinée à devenir incontournable. Cette bande dessinée est le pendant de Cobane Calling, de Zerocalcare, pour le Kurdistan, en plus sérieux, plus complet.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
TERRES REBELLES
Migrations, capitalisme et nationalisme
Lisa Lugrin, Jérôme Baschet et Métie Navajo
208 pages – 25 euros
Éditions Futuropolis – Paris – Janvier 2024
www.futuropolis.fr/9782754836081/terres-rebelles.html
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