Pour quoi faire ?

7 septembre 2023

UN MONDE COMPLÈTEMENT SURRÉEL

Quatre articles de Noam Chomsky judicieusement réunis pour mettre en lumière « les mécanismes et les méthodes de l’endoctrinement » dans « le système de lavage de cerveau sous régime de liberté » auquel nous sommes soumis, moins facile à saisir que dans les sociétés totalitaires. Il décrypte « le vocabulaire des puissants » qui empêche d'autres façons de penser une fois adopté.



CONTRÔLER L'OPINION PUBLIQUE
(entretien avec Ali Idrissi, initialement paru dans Les Raisons de l’Ire, n°7, novembre 1995-janvier 1996)


Aux États-Unis, les médias appartiennent à de grandes entreprises et s'intéressent au « contrôle de l'opinion publique » et à son endoctrinement au service de l'idéologie capitaliste. « La constitution américaine a été formulée dans le cadre du principe de Madison, qui affirme que “la responsabilité essentielle du gouvernement est de protéger les minorités riches contre la majorité“. » La liberté d'expression existe bien aux États-Unis plus qu'ailleurs, mais il faut beaucoup d'argent pour se l’acheter. Jamais les grands médias américains ne diffuseront les discours de Chomsky, par exemple. Celui-ci prend l'exemple du processus de paix au Moyen-Orient. Selon les médias, Israël accepte de se retirer de la Cisjordanie mais en réalité cela ne représente que 2 % des territoires occupés, et 70 % restent contrôlés totalement. « En fait, pendant vingt-cinq ans, les États-Unis sont parvenus à bloquer toutes les initiatives diplomatiques au Moyen-Orient parce qu'elles étaient basées sur la résolution 242 de l'ONU, laquelle exigeait qu'Israël se retire des territoires occupés. » l'opposition systématique des États-Unis aux initiatives de paix n'a jamais été présentée au public américain. Jamais, en Union soviétique, les médias ne seraient parvenu à déformer aussi radicalement la réalité.


 

LES MAÎTRES DE L’HUMANITÉ
(Publié initialement dans The Nation, en mars 1993)


Il explique comment les sociétés supranationales et les institutions financières dominent l'économie mondiale et le commerce international. Les mesures protectionnistes des pays industrialisés provoquent une réduction du revenu national des pays du Sud équivalente au double du montant de l'aide officielle qui leur est accordée, destinée aux secteurs les plus riches et encouragement déguisé à l'exportation. Entre 1982 et 1990, le transfert des ressources des pays pauvres aux pays riches représentait plus de 400 milliards de dollars, tandis que les créances irrécouvrables des banques commerciales étaient transférées vers le secteur public. Il analyse aussi les accords de libre-échange : « Ces mesures visent à assurer aux compagnies établies aux États-Unis le plein contrôle de la technologie de l'avenir, notamment de la biotechnologie qui, souhaite-t-on, permettra aux entreprises privées, protégées, de contrôler la santé, l'agriculture et, de façon générale, la survie, et ainsi d’emprisonner la majorité démunie dans la dépendance et de l'étouffer dans un sentiment d’impuissance. » Il est important de noter qu'il appuie exclusivement ses critiques sur des rapports d'organismes officiels. En clair, « la mondialisation de l'économie a pour conséquence la montée de nouvelles institutions gouvernantes visant à servir les intérêts d'un pouvoir économique transnational privé et la propagation du modèle social du tiers-monde : des îlots d'immenses privilèges dans une mer de misère et de désespoir. »


 

PAS MOYEN DE NOUS ÉCHAPPER
(Publié initialement en 1993)


Le recours à la violence contre l’Irak, notamment, est justifié par les États-Unis par l'article 51 de la charte des Nations Unies qui autorise le recours à la force en cas de légitime défense contre une attaque armée dans le cas où le besoin on est « urgent et ne laisse ni le choix des moyens ni le temps de délibérer ». Noam Chomsky relève qu’aucun journaliste ne s’est avisé de mettre en doute le bien-fondé de cette invocation. De la même façon, le « silence du monde Arabe » est mis en avant tandis et les nombreuses protestations sont tues. « La propagande cherche à susciter la peur du “fondamentalisme islamique“ », alors que « le plus extrémiste des états islamiques fondamentalistes au monde est l'Arabie Saoudite, fidèle allié des États-Unis ou plus précisément une dictature familial servant de « façade arabe », grâce à laquelle les États-Unis peuvent contrôler la « péninsule arabique », pour adopter le style colonial britannique. » Et le groupe le plus fanatique, dirigée par Gulbuddin Hekmatyar, reçoit officiellement 3,3 milliards de dollars d'aide américaine. En 1982, Israël a envahi le Liban pour détruire l'OLP, qui minait la stratégie d'intégration graduelle des territoires occupés, avec ses appels à un accord diplomatique pacifique, ce qui contribua à la création du Hezbollah, soutenu par l’Iran. En effet, « les Palestiniens modérés représentent la plus grande menace pour la volonté israélienne d'éviter toute entente politique et d'imposer aux Palestiniens un état de fait ».
Le président Clinton a dénoncé un complot contre George Bush comme un « acte de guerre », suivi par la presse, alors que les États-Unis détiennent, de Castro à Lumumba, « le record mondial des tentatives d'assassinat de leader étrangers ».
« L'État américain demeure un état violent et sans foi ni loi. Cette conception est tout à fait assumée par ses alliés et clients, qui comprennent que le droit international est une supercherie dont les puissants se servent lorsqu'ils cherchent à jeter un voile, certes transparent, sur ce qu'ils ont décidé de faire. »


 

1984 : CELUI DE ORWELL ET LE NÔTRE
(Initialement paru dans le Magazine libertaire n°4, de septembre 1984)


En 1983, le journaliste radiophonique Vladimir Dantchev a dénoncé la guerre des Russes en Afghanistan, enfreignant la propagande officielle. Il a aussitôt subi un traitement psychiatrique. La presse américaine a salué son encourage et souligné que ceci ne pouvait pas se produire « ici ». Noam Chomsky explique qu’effectivement « les journalistes et autres intellectuels sont tellement inféodés au système doctrinal qu’ils sont incapables même de sentir qu’“un envahisseur est un envahisseur dans la mesure où son intervention n'a pas été sollicitée par un gouvernement ayant un certain droit à la légitimité“, à partir du moment où les États-Unis sont l’envahisseur ». Pourtant nul besoin de courage pour dire la vérité, seulement de l’honnêteté. George Orwell, lorsqu'il décrivait le totalitarisme soviétique, n'avait pas imaginé une telle possibilité. Depuis 62, Chomsky n'a pas trouvé une seule mention, dans la presse et les études américaines, d'une « invasion du Sud-Vietnam ». « Dans un système totalitaire, la seule exigence est que l'on suive la doctrine officielle. Dans les systèmes démocratiques de dirigisme mental, on juge nécessaire de prendre en charge toutes les facettes du débat : rien ne doit rester pensable qui ne soit dans la ligne du parti. La propagande étatique est souvent inexprimée, simple cadre préalable au débat entre personnes bien-pensantes. » Elle permet tout simplement d'éliminer la critique rationnelle.


En s’appuyant exclusivement sur les déclarations des dirigeants, des citations d’articles ou de rapports officiels, Noam Chomsky décrypte le langage utilisé pour « fabriquer l’opinion publique » et dissimuler les objectifs réels de la politique extérieure des États-Unis. Des évidences qu’il est bon de rappeler régulièrement.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


UN MONDE COMPLÈTEMENT SURRÉEL
Noam Chomsky
72 pages – 8 euros
Éditions Lux – collection « Instinct de liberté » – Montréal - Septembre 2023
luxediteur.com/catalogue/un-monde-completement-surreel-2/
Première édition : 2004

 

Du même auteur :

RESPONSABILITÉS DES INTELLECTUELS

LA FABRIQUE DE L’OPINION PUBLIQUE - La Politique économique des médias américains

SUR LE CONTRÔLE DE NOS VIES

11/9 – AUTOPSIE DES TERRORISMES

LE CHAMP DU POSSIBLE

OCCUPY

L’AN 501, LA CONQUÊTE CONTINUE

 

 

 



2 commentaires:

  1. Beau jour, merci pour vos articles, votre travail. Êtes-vous au courant que Chomsky a soutenu "la" piqûre ? J'étais en grande estime pour lui et son travail, mais j'avoue que ça me refroidit.

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour. Non, je ne suis pas au courant et ne sais pas ce qu'est "la" piqûre.

    RépondreSupprimer