Noam Chomsky a livré une série d’entretiens dans les
mois qui ont suivi l’attentat du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Leur lecture,
aujourd’hui, témoigne de la justesse de ses analyses à chaud et aussi de la pertinence
de ses mises en garde.
Il revient tout d’abord sur l’origine de ces
islamistes recrutés par la C.I.A. dans les années 80, parmi les plus extrêmes
et les plus fondamentalistes, pour mener une « guerre sainte » contre
les russes en Afghanistan.
Dès le 19 septembre, il prévoit que cet acte
terroriste va accélérer le calendrier de la militarisation, justifier le
financement de certains secteurs privés, remettre en cause des avancées
sociales et démocratiques.
Il prévient qu’un assaut massif sur des populations
musulmanes ferait tomber les États-Unis dans le piège tendu par Ben Laden.
Il rappelle que lorsque les États-Unis utilisent la
force et la violence, ils parlent de « diplomatie coercitive »,
réservant le terme d’ « acte terroriste » à leurs ennemis. Il prend
exemple de l’attaque contre le Nicaragua dans les années 80 qui a fait des
dizaines de milliers de morts et a pratiquement détruit le pays. Pour se
défendre, les Nicaraguayens ont fait appel au droit. Les États-Unis ont été
condamnés par la Cour Internationale de Justice, le Conseil de Sécurité de
l’O.N.U. et l’Assemblée générale de l’O.N.U. mais ils ont continué leurs
bombardements.
Il relève que globalement les médias en temps de
crises se rallient au pouvoir et incitent la population à faire de même.
L’explication d’une haine de l’Occident et de ses
supposées valeurs (liberté, tolérance, prospérité, pluralisme religieux et
suffrage universel) est bien pratique car elle exempte les États-Unis de toute
remise en question.
Il rappelle que l’administration Clinton fit
bombarder, en août 1998, l’unique usine pharmaceutique du Soudan qui produisait
90% des médicaments du pays, faisant environ le même nombre de victimes que les
« crimes horribles » du 11 septembre. Privés de médicaments vitaux,
les morts se comptent sans doute désormais par centaines de milliers et
pourtant Washington a rejeté toutes les condamnations habituellement utilisées
pour juger des crimes semblables mais commis par des ennemis. La « haine
irrationnelle » de l’administration Clinton envers le Soudan, refusant ses
offres de collaboration y compris en matière de lutte contre le terrorisme,
dont une importante base de données concernant Ben Laden et deux cents
dirigeants d’Al-Qaida, est la conséquence de tout ce qui est arrivé ensuite.
Même si comparaison n’est pas raison, la
Grande-Bretagne aurait-elle du bombarder Boston, principale filière d’armement
de l’I.R.A. quand celle-ci commettait des attentats au lieu de, comme elle a
préféré le faire, poursuivre par voie de justice les responsables et chercher à
comprendre et apaiser les causes des rancœurs ?
Non, décidément, les Etats-Unis commettent bien des
actes terroristes en toute impunité et s’arrogent le droit de répondre par la
violence plutôt que par le droit à une attaque contre leur territoire, aussi
dramatique soit-elle, sans en mesurer véritablement les conséquences.
Le terrorisme n’est pas seulement « l’arme des
faibles », il est une composante de l’action des États-Unis, un des pays
les plus fondamentaliste au monde. Ce pays ne respecte pas l’obligation de refus
de tout recours à la force, sauf en cas de légitime défense, établi par le
Conseil de sécurité de l’O.N.U. pour en finir avec les principes qui ont
conduit l’Europe au bord de l’auto-anéantissement.
Noam Chomsky rappelle que la résolution contre le
terrorisme de l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1987 fut
adoptée par cent cinquante-trois états contre deux, les États-Unis et Israël,
qui n’acceptèrent pas un passage qui affirmait que rien ne pouvait porter
préjudice au droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance.
Il démontre ensuite l’absurdité de la notion de
« choc des civilisations ». Aucun « monde civilisé » ne
plongerait notre planète dans une guerre majeure au lieu d’adopter les méthodes
préconisées par le droit international.
Il évoque aussi le Timor Oriental où les États-Unis
ont apporter leur soutien aux agresseurs indonésiens, causant l’élimination
d’un tiers de la population, chassant 85% des habitants de chez eux et
détruisant 70% du pays, jusqu’à ce que Clinton, en septembre 1999, sous les
pressions internationales, finisse par siffler la fin de la partie. Ce pouvoir
caché de Washington, utilisé plus tôt, aurait pu éviter 25 ans de quasi-génocide.
Noam Chomsky rappelle que les programmes
« contre-insurrectionnels » américains ont été conçus conjointement
avec des officiers de la Wehrmacht.
Dans les derniers entretiens de cet ouvrage, datant
de fin septembre, début octobre 2001, il prévient que l’Afghanistan était sous
perfusion et que le goutte-à-goutte va être débranché. Il relève que les
Talibans ont annoncé qu’ils accepteraient de livrer Ben Laden contre des
preuves mais les Etats-Unis ont prévenu que leur demande n’était pas
négociable.
Si l‘exercice éditorial de rassembler des extraits
d’entretiens, succession de questions/réponses réunies par thématiques, est ici
assez réussi, ce n’est pas sans certaines redondances inévitables. Nous nous
sommes tenus à énumérer les déclarations de Noam Chomsky sans chercher à
organiser une argumentation rigoureuse, pour rendre fidèlement compte de
l’aspect un peu décousu du procédé.
Quinze ans après les faits, ses propos sont
toutefois extrêmement lucides, d’autant qu’ils sont prononcés sans aucun recul
sur des évènements en cours.
11/9 – AUTOPSIE DES TERRORISMES.
Noam Chomsky
Traduit de l'anglais par Hélène Morita et Isabelle
Genet
162 pages – 11 euros.
Éditions Le Serpent à plumes – Collection Essais/Documents
– Paris – novembre 2001
Du même auteur :
L’AN 501, LA CONQUÊTE CONTINUE
LE CHAMP DU POSSIBLE
RESPONSABILITÉS DES INTELLECTUELS
Du même auteur :
L’AN 501, LA CONQUÊTE CONTINUE
LE CHAMP DU POSSIBLE
LA FABRIQUE DE L’OPINION PUBLIQUE - La Politique économique des médias américains
OCCUPYRESPONSABILITÉS DES INTELLECTUELS
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