24 novembre 2018

COMMENT NOUS POURRIONS VIVRE

William Morris (1834-1896) explique comment nous vivons et comment nous pourrions vivre, appelant à substituer la « coopération » à « l’état de guerre perpétuelle » inhérent au capitalisme et à refuser la fatalité des « existences mécaniques » au nom de la joie et de la dignité.

Il sait qu’il faut « susciter l’espérance parmi la foule des opprimés et la peur chez les autres, la poignée d’oppresseurs », et effacer l’ « écho terrifiant » associé au mot révolution en expliquant qu’il n’est pas nécessairement « synonyme de changement lié à l’insurrection ou à toute autre forme de violence » ni de « changement mécanique qu’imposerait à une opinion publique hostile un groupe d’individus ayant réussi d’une manière ou d’une autre à s’emparer du pouvoir exécutif » mais de « transformation des fondations de la société ». « Ce n’est pas une revanche que nous désirons pour les pauvres, c’est le bonheur. Comment en effet venger les millénaires de souffrances qui leur furent infligés ? » L’état actuel des choses bénéficie du soutien des oppresseurs qui estiment avoir tout à perdre du moindre changement, et des pauvres qui ne veulent pas « prendre le risque de perdre une seule miette de leurs maigres biens en militant pour l’amélioration de leur sort ».
« Notre système social actuel est fondé sur un état de guerre perpétuelle » : La guerre commerciale que l’on nomme « rivalités nationales ». Nous sommes prêts à ruiner aujourd’hui les nations étrangères, si possible sans guerre, par la guerre si nécessaire et nous imposons aux « tribus sauvages » et aux « peuples barbares » « notre pacotille et notre hypocrisie », à coups de canon. Alors que l’ensemble des nations civilisées devraient former « une vaste communauté, qui fixerait d’un commun accord la nature et le niveau de production et de distribution requis, et qui se répartirait les diverses productions en fonction des lieux les plus appropriés, soucieuse d’éviter avant tout le gaspillage ». Gâchis de main d’oeuvre, de savoir-faire, d’habileté, de vie qui n’entraîne pas même de baisse des prix des produits puisque « le salaire du travailleur ordinaire a tendance à glisser au même rythme ». L’artisan d’Inde ou de Java doit abandonner son art pour prendre le chemin de l’usine et faire baisser le salaire  de son collègue de Manchester dont la machine à vapeur lui avait disputé la rentabilité. « Notre mode de vie actuel impose à une immense partie de la population industrielle d’être exposée au danger récurrent de mourir à moitié de faim » afin de permettre aux riches de vivre dans le bien-être et dans le luxe. Les travailleurs sont obligé de rivaliser entre eux et cette concurrence permanente permet aux profiteurs de réaliser des profits. L’offre et la demande sont artificielles, soumises au aléas du marché spéculatif : on impose la demande avant de la satisfaire.
Les travailleurs devenus libres, associés, ils seront en mesure de moduler leur travail selon leurs besoins réels. Disparaîtront les famines artificielles, l’indigence au sein de la surproduction, le gaspillage, la tyrannie et la classe des profiteurs. « Cesser de craindre nos semblables pour apprendre à leur faire confiance, nous débarrasser de la concurrence pour bâtir la coopération, voilà notre suprême obligation. » Ainsi délivrés, ils auront « le loisir et la liberté de réfléchir pour voir clairement ce dont ils ont vraiment besoin. » Lui même revendique la santé, le droit d’être beau et de jouir d’un corps sain, le droit à l’instruction, le droit d’avoir un travail approprié et de jouir de loisirs à profusion, que soit plaisant, beau et généreux le cadre matériel de sa vie.

« Il n’est rien dans notre état, si ce n’est la chasse au profit, qui nous oblige à vivre ainsi. C’est le profit qui a attiré les hommes, par exemple, vers ces conglomérats énormes, impossibles à gérer, qu’on appelle des villes. C’est le profit qui les fait s’y entasser dans des constructions sans jardins ni espaces libres. C’est le profit qui refuse de prendre les précautions les plus ordinaires pour éviter d’envelopper un district entier dans un nuage de fumée sulfureuse. C’est lui qui transforme les beaux cours d’eaux en égouts répugnants. C’est lui qui condamne tout le monde, hormis les riches, à vivre, au mieux, dans des maisons encombrées, dans des bâtisses d’une innommable désolation. »

Dans sa préface, Serge Latouche s’attache à mettre ce texte en perpective du roman que William Morris publiera six ans plus tard, « Nouvelles de nulle part », et qui en sera l’illustration. Il le présente comme un précurseur en soulignant l’extrême modernité de ses propos.





COMMENT NOUS POURRIONS VIVRE
William Morris
98 pages – 7 euros.
Éditions Le Passager clandestin – Paris – Novembre 2010

http://www.lepassagerclandestin.fr/
Conférence prononcée le 30 novembre 1884



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