Une class action des habitants d’Anniston (Alabama) empoisonnés par la Swann Chemical Company, l’usine qui a émis dans l’atmosphère, déversé dans les cours d’eau des tonnes de PCB, dérivés chimiques chlorés du pétrole utilisés comme solvant pour la synthèse chimique de médicaments, de plastiques et de colorants, entre 1929 et 1971, et déposé ses déchets contaminés sur une décharge à ciel ouvert, a permis de déclassifier 500 000 pages de documents qui ont servi à Marie-Dominique Robin pour comprendre les méthodes de Monsanto : pression sur les victimes pour qu’elles retirent leurs plaintes, sur les employés pour qu’ils dissimulent les risques, complicités et manipulations des organismes de contrôle. « Monsanto savait que les PCB représentaient un risque grave pour la santé dès 1937. Mais la société a fait comme si de rien n’était, jusqu’à l’interdiction définitive des produits en 1977. » En France, la directive européenne de 1996 concernant l’élimination des PCB, est transcrite dans le droit en… 2001, conjointement à la mise en place d'un plan national de décontamination en… 2003. Le verdict du procès d’Anniston est particulièrement sévère à propos du comportement de Monsanto qui est jugé avoir « dépassé de façon extrême toutes les limites de la décence et qui peut être considéré comme atroce et absolument intolérable dans une société civilisée ».
Au début des années 1970, une entreprise de récupération de déchets industriels répand des boues constituées d’huiles résiduelles dans les rues non-goudronnées de Times Beach, commune de 1400 habitants, à une trentaine de kilomètres de Saint-Louis, pour résoudre les problèmes de poussière. Une étude révèle en 1982 que les sols sont contaminés, avec un taux de dioxine trois cents fois supérieur au taux considéré comme acceptable. La ville sera rasée pour faire oublier le scandale. La responsabilité de Monsanto qui a fourni les déchets contaminés sera étouffée. La dioxine est une molécule produite lors de la fabrication des herbicides sélectifs, inventés pendant la Seconde Guerre mondiale. « L’agriculture industrielle n’aurait jamais vu le jour sans la collaboration étroite de l’armée et de la science. » Du gaz moutarde au Zyklon, les guerres ont fait la fortune des multinationales de la chimie qui contrôlent aujourd’hui la biotechnologie et les semences, donc la production des aliments. Entre le 13 janvier 1962, coup d’envoi de l’opération Ranch Hand pour « dégager » les routes principales et les frontières, « détruire les récoltes » censées approvisionner les « rebelles », et 1971, 80 millions de litres de défoliants seront versés sur 3,3 millions d’hectares au Vietnam, contaminant plus de 3000 villages. 60% étaient de l’ « agent orange », représentant 400 kilos de dioxine pure, sachant que 80 grammes dilués dans un réseau d’eau potable pourraient éliminer 8 millions de personnes. Marie-Dominique Robin a rencontré des vétérans, déboutés pour n’avoir pu prouver que leurs cancers étaient dus au contact avec ce produit pendant les campagnes d’épandage. Leur avocat accuse Dow Chemicals et Monsanto d’avoir délibérément dissimulé des données aux autorités gouvernementales pour ne pas perdre un marché très juteux. Il parle de « conspiration ». Les procédures à rallonge sont coûteuses et dissuasives. Dans un autre procès qui aura duré trois ans, si les plaignants ne reçoivent qu’un euro symbolique de dommages et intérêts faute d’avoir prouvé la responsabilité de Monsanto dans leurs problèmes de santé, l'entreprise est condamnée à 16 millions de dollars pour son comportement irresponsable dans sa gestion des risques sanitaires.
Les lanceurs d’alerte, y compris au sein même de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), sont harcelés, maltraités, écartés. Cette agence, comme les autres, est « infiltrée par Monsanto » et se préoccupe plus de protéger les intérêts des entreprises qu’elle est censée réguler que de défendre l’intérêt général. L’auteur montre également comment les interférences politiques dans les études financées par le gouvernement sont pratiques courantes, comment celles-ci sont grossièrement falsifiées, comment les contre-enquêtes sont discréditées. Elle se rend au Vietnam est découvre comment, quarante ans après la fin des épandages, la dioxine continue de provoquer fausses couches et malformations congénitales. Il n’y a jamais eu de décontamination et les intoxications continuent car toute la chaine alimentaire est contaminée.
Le Roundup, nom commercial du glyphosate, herbicide total, produit vedette de Monsanto mis sur le marché en 1974, a bénéficié d’une vaste « campagne d’intoxication » le présentant comme « biodégradable ». Si en 1996, le bureau de répression des fraudes et de la protection du consommateur de New York a bien jugé ces publicités comme « mensongères », la Commission européenne et les autorités françaises ont toléré ces campagnes jusqu’en 2007, à l’issue d’un procès que la firme a su faire traîner pendant six ans.
L’auteur démontre comment le processus d’homologation des produits habilement baptisés « phytosanitaires », constitue « une véritable imposture » puisqu’il repose sur des données fournies par les entreprises chimiques, examinées par des « experts » plus ou moins compétents, plus ou moins courageux, plus ou moins indépendants. Par exemple, les études fournies pour le Roundup ont été conduites avec la molécule de glyphosate seule, qui n’a aucune fonction, pas même herbicide, en l’absence des adjuvants. « En France, comme dans la plupart des pays industrialisés, il n’y a pas d’intérêt et donc pas d’argent pour que les laboratoires conduisent des études épidémiologiques ou des contre-expertises scientifiques sur la toxicité des produits chimiques qui ont envahi notre quotidien. » On estime que sur les 2,5 millions de tonnes de produits phytosanitaires épandues chaque année sur les cultures de la planète, seulement 0,3% atteignent les organismes cibles et donc que 99,7% sont déversés dans l’environnement, les eaux et les sols.
En 1985, le docteur Richard Burroughs a été licencié de la Food and Drug Administration (FDA) pour s’être opposé à l’autorisation de mise sur le marché d’une hormone de croissance bovine, la somatotrope (BST), qu’il jugeait dangereuse. Il accuse l’agence d’avoir « sciemment fermé les yeux sur des données dérangeantes » pour protéger les intérêts de Monsanto. Il explique très clairement comment l’hormone a des effets sur l’homme, par la consommation du lait des vaches traitées, entrainant la prolifération de cellules notamment. Le taux de cancer du sein chez les femmes américaines a augmenté de 55% après la mise sur le marché de cette hormone et le taux de grossesses gémellaires de 31,9%. L’agence a modifié ses critères de réglementation en créant le « risque gérable » et a interdit d’étiqueter le lait naturel comme étant « sans hormone », empêchant le consommateur de choisir. Le gouvernement autorisait une molécule qui augmentait de 15% la production laitière des vaches au moment même où il dépensait 1,8 milliards de dollars pour envoyer à l’abattoir 1,5 millions de vaches, pour en finir avec la surproduction qui durait depuis 25 ans ! Les vaches, transformées en « usine à lait », pompent sur leurs réserves et dépérissent rapidement. Elles sont incapables de vêler ou donnent naissance à des veaux monstrueux.
L’invention des OGM constitue « l’une des plus grandes machinations de l’histoire agro-industrielle ». La manipulation génétique « brise la barrière des espèces ». Or les gènes agissent en interaction avec d’autres et il ne suffit pas de les extraire d’un organisme, de les transférer dans un autre pour qu’ils expriment la protéine, et donc la fonction sélectionnée. Ils sont intégrés à l’aide d’un « canon à gènes » sans aucune précision sur leur emplacement, de façon complètement aléatoire. Pour échapper à la réglementation sur les additifs alimentaires qui imposent tests toxicologiques et étiquetages, les OGM seront considérés comme identiques à leurs homologues naturels selon le « principe d’équivalence en substance », alibi sans fondement scientifique qui tente d’imposer l’idée que les « biotechnologies » constituent la prolongation d’un savoir-faire ancestral. Marie-Dominique Robin rencontrent les quelques scientifiques qui ont pu réaliser des expériences contradictoires, sachant que les semences sont protégées par le « secret commercial ». Ainsi, non seulement des pommes de terre transgéniques ne sont pas équivalentes aux pommes de terre traditionnelles, mais elles ne le sont pas entre elles, ce qui permet de conclure que la manipulation génétique n’est pas une technologie, puisque ce processus ne produit pas les mêmes effets lorsqu’on le répète dans des conditions identiques.
C’est Robert Shapiro, nommé PDG de Monsanto en avril 1995, qui va « faire basculer la vieille entreprise chimique dans l’ère des « sciences de la vie » » avec comme mot d’ordre « Nourriture, santé et espoir ». Pourtant la technique « Terminator » qui vise à empêcher les agriculteur à ressemer une partie de leur récolte pour les contraindre à racheter chaque année des semences, en manipulant les plantes pour rendre leurs graines stériles, va considérablement ternir l’image de la firme et faire chuter sa valeur en bourse car elle menace directement la sécurité alimentaire d’un milliard et demi de personnes.
Jusqu’en 1980, les brevets ne concernent que les véritables inventions, pas les découvertes, et exclus les organismes vivants. Un jugement de la Cour suprême des États-Unis ouvre la porte à la « privatisation du vivant ». Dès lors, une « taxe technologique » est due pour l’utilisation des semences, accompagnée d’un engagement à ne pas ressemer l’année suivante une partie des graines récoltées, sous peine de lourdes amendes. Mais la pollinisation croisées des plantes OGM et de leurs parents conventionnels est inévitable, et la « police des gènes », constituée par des détectives de l’agence Pinkerton, impitoyable. Par ailleurs, la réduction de l’usage des pesticides été valide durant les trois premières années qui ont suivi la mise en culture des OGM en 1995 puis la consommation totale d’herbicide a augmenté de 30%, certaines « mauvaises herbes » deviennent résistantes, l’insertion violente du gène perturbe la capacité productrice de la plante faisant perdre 8,87 dollars par acre aux producteurs de soja transgéniques par exemple, les exportations américaines vers l’Europe et le Canada se sont effondrées sous la pression des consommateurs obligeant le gouvernement à subventionner considérablement le revenu de ses paysans : 12 milliards de dollars entre 1999 et 2002 puis 180 sur les dix années suivantes.
Bien que le Mexique ait déclaré en 1998 un moratoire sur les cultures de maïs transgénique, une étude publiée en 2001 révélait que le maïs criollo de l’État d’Oaxaca était contaminé par les gènes Roundup ready et BT. Au Paraguay comme au Brésil, Monsanto a fourni des semences de soja transgénique en dépit des interdictions, contraignant les gouvernements mis devant le fait accompli, à les légaliser, puis a réclamé des royalties. Alors qu’un hectare cultivé fait travaillé cinq personnes au Paraguay, un seul ouvrier est employé pour 25 hectares semés de soja RR. Ceci explique que 100 000 personnes quittent chaque année la campagne pour s’installer en ville. 70% des migrants partent à cause du soja. Depuis 1995, le Paraguay importe plus d’aliments qu’il n’en exporte. Monsanto, comme ses concurrents, est engagé dans « une stratégie impérialiste, voire dictatoriale, qui vise à soumettre politiquement les peuples par la voie de l’étranglement alimentaire ».
Monsanto a réalisé un « vrai hold-up sur le coton indien ». Introduit en 1995 en dépit du principe de précaution, le coton Bt est responsable de 3 suicides de paysans endettés par jour en 2005 : les rendements sont catastrophiques et le cours du coton s’est effondré à cause des subventions américaines à ses agriculteurs.
Le domaine du vivant relève de la Convention de Genève sur la biodiversité, signée à Rio de Janeiro par deux cents pays et qui affirme que « les ressources génétiques sont la propriété exclusive des États, qui doivent s’engager à les préserver et à organiser un partage équitable de l’exploitation des savoirs traditionnels qui leur sont liés ». Pourtant le gouvernement américain a intégré aux accords du GATT en 1994 les droits de propriétés intellectuelles dans le but que les multinationales s’emparent des ressources génétiques de la planète.
Résultat de quatre années d’enquête extrêmement rigoureuse, cet ouvrage remarquable n'autorise plus aucun doute sur les méthodes et les intentions de Monsanto.
LE MONDE SELON MONSANTO
De la dioxine au OGM, une multinationale qui vous veut du bien
Marie-Dominique Robin
Préface de Nicolas Hulot
374 pages – 20 euros.
Éditions La Découverte et Arte éditions – Paris – Mars 2008
392 pages – 13 euros.
Éditions La Découverte et Arte éditions – Collection « Poches essais » – Paris – Mars 2009
De la même auteure :
10 novembre 2018
LE MONDE SELON MONSANTO - De la dioxine au OGM, une multinationale qui vous veut du bien
Fondée en 1901 à Saint-Louis, dans le Missouri, Monsanto fut une des plus grandes entreprises chimiques du XXe siècle, spécialiste notamment des plastiques, polystyrènes et autres fibres synthétiques, avant de devenir le premier semencier de la planète, propriétaire de 90% des OGM cultivés dans le monde. C'est d’ailleurs pourquoi 70% sont résistants au Roundup, l’herbicide vedette de Monsanto que la firme a toujours présenté comme « biodégradable et bon pour l’environnement ». Pollution, manipulation, collusion avec les administrations, corruption, Marie-Monique Robin enquête sur les coulisses de la multinationale.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire