23 septembre 2020

FRANTZ FANON

En août 1961, Frantz Fanon rencontre Jean-Paul Sartre, en compagnie de Simone de Beauvoir et de Claude Lanzmann. Ces trois journées d’intense discussion servent de prétexte à cette biographie dessinée. Fanon revient sur son parcours de psychiatre, son engagement dans la guerre d’indépendance algérienne et les luttes anticoloniales en général, deux sujets extrêmement liés. Plongée en image au coeur de sa pensée.
Il présente en substance ses oeuvres principales. Dans Les Damnés de la terre, qu’il considère comme « un livre de combat qui tente de jeter les bases d’un nouvel humanisme », il aborde la question de la violence, du soulèvement des masses rurales, des trahisons possibles de la bourgeoisie nationale, de la culture populaire, du rôle de l’intellectuel. Il ambitionne « l’avènement d’un homme neuf, libéré de l’esclavage et du colonialisme, fier d’une conscience de soi retrouvé ».
Sa vision du monde découle de sa connaissance de la souffrance psychiatrique et de sa pratique de la clinique : « Les colonies sont des lieux d’enfermement à ciel ouvert dont la décolonisation nous permettra de sortir…. ». « Si vous ne prenez pas en compte la négation politique et sociale dont sont victimes ces nord-africains qui vivent dans des taudis et crèvent de solitude, comment voulez-vous comprendre quoi que ce soit à la souffrance muette de leur chair ? Ils sont les victimes de la ségrégation et de l’indifférence, pas les “primitifs“ sales et lubriques que veut encore voir en eux la plus archaïque des psychiatries. » Silencieuse mais ne perdant pas une miette des échanges, Simone de Beauvoir note que « Fanon envisage la révolution comme un soin ». En effet, s’il conçoit le soin de la maladie mentale sur la base de l’idée de choc, en traitant la maladie par un choc thérapeutique, pour dissoudre ce qui a été pathologiquement reconstruit suite à un choc neurologique, il propose de répondre à l’aliénation produite par le choc de la colonisation, par sa dissolution dans la révolution, armée ou pas. « L’engagement révolutionnaire sous toutes ses formes est un soin : la socialisation nouvelle de sujets aliénés, désormais responsables et historiquement agissants. »
Il s’oppose totalement à la conception de « négritude » de Senghor comme « justification féérique de son malheur » et estime que les noirs, dans leur douleur, se « contrefichent de leur “négritude“ ». Dans Peau noire, masques blancs, il affirme : « ma peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques ». Et s’il admet que Césaire a ouvert la voie d’une pensée neuve avec son
DISCOURS SUR LE COLONIALISME, il lui reproche de s’être fourvoyé en défendant la départementalisation.
Par ailleurs, il considère que « la violence désintoxique » et « restaure l’estime de soi ». La violence psychique, pulsionnelle, subie par le colonisé doit jaillir et se canaliser en violence politique.

Pour illustrer son propos, il revient régulièrement sur des épisodes de sa vie : la période de l’occupation en Martinique et comment il rejoint, âgé de dix-huit ans, la dissidence sur l’île de la Dominique, s’engage dans les Forces françaises libres, débarque à Saint-Tropez et participe à la bataille d’Alsace, ce qui lui vaudra d’être décoré de la Croix de guerre par le colonel Salan, futur putschiste et chef de l’OAS. En 1946, il s’inscrit à la faculté de médecine de Lyon. À l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban, en Lozère, François Tosquelles l’initie à la socialthérapie, « la possibilité pour les malades et le personnel hospitalier, médical ou pas, de coexister et de travailler ensemble au coeur d’une institution à visage humain à rebours des principes de l’enfermement asilaire ». « La désaliénation de l’individu passe par la prise en considération de son univers social et culturel de référence. » Après un passage par la Normandie, il est nommé à l’hôpital psychiatrique de Blida, près d’Alger où il va s’opposer aux théories pseudoscientifiques et racistes du professeur Porot qui prônent l’inégalité des races et font de l’indigène un sous-homme caractérisé par une « mentalité primitive ». À partir de 1955, la situation politique modifie son travail au quotidien. Avec un collègue qui partage ses idées politiques, il accueille des militants nationalistes traqués par les forces de sécurité. Il rejoint la résistance algérienne à Tunis l’année suivante, intégré au service de presse du FLN, et collabore au journal El Moudjahid à partir de fin 1957. Il raconte son soutien à Lumumba, en pleine crise séparatiste du Katanga, l’année précédente, quelques mois avant son assassinat. Il était également aux côtés de Félix Mounié « quelques heures avant son empoisonnement au thallium par les services secrets français ».


Romain Lamy met en scène (et en bulles) avec brio et beaucoup de chaleur, les dialogues écrits par Frédéric Ciriez, toujours très justes, vivants et savamment nourris sans jamais pécher par excès de didactisme. Certains moments de rêves, traités de façon déstructurés, tranchent, comme il se doit, avec le réalisme général. Tous deux réussissent à nous faire partager l’intimité de ce huis-clos. Excellente immersion dans l’oeuvre, le parcours et la pensée de Frantz Fanon, presque comme si lui-même se livrait à nous.



FRANTZ FANON
Frédéric Ciriez et Romain Lamy
234 pages – 28 euros
Éditions La Découverte – Paris – Septembre 2020
www.editionsladecouverte.fr


Voir aussi :

DISCOURS SUR LE COLONIALISME

CAHIER D’UN RETOUR AU PAYS NATAL

 

 

 

 

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