23 août 2023

CAPI, INSOUMIS

Bien qu’il ait laissé bien peu de traces, Gérard Monédiaire retrace la vie de Jean Chazelas, jardinier corrézien né à Chamberet en 1882 et surnommé Capi, avec beaucoup d’hypothèses et de suppositions, de lacunes et de témoignages contradictoires. Avec prudence, il comble les trous de mémoire et retrace l’étonnant parcours de cet insoumis qui préféra s’enfuir, en Espagne puis aux États-Unis, plutôt que de rejoindre le front, en septembre 1914, de cet « homme intrépide qui désobéit afin de s'obéir à lui-même ».
Érudit et rigoureux, il ne laisse dans l’ombre aucun détail. Il raconte, par exemple, le développement des transports au XIXe siècle, précisant qu’avant l'apparition du chemin de fer il fallait trois jours pour faire le voyage de Limoges à Tulle et retour. Ainsi l’époque nous est-elle rendue dans toutes ses dimensions. Peu à peu, Jean Chazelas apparaît ainsi dans le paysage qui l’a vu naître. On ne sait pas s’il a passé ni obtenu son certificat d’étude mais on se souvient qu’il lisait beaucoup et qu’il recevait des journaux. Orphelin de père à huit ans, apte au service militaire qu’il effectue en 1908 à Tulle – après plusieurs ajournements – dans le 100e RI récemment déplacé de Narbonne car certains de ses conscrits avaient fraternisé avec « les gueux » pendant l’insurrection des vignerons du Midi en 1907. Il séjourne ensuite à Paris, puis au Havre, sans qu’on puisse connaître ses motivations. Gérard Monédiaire imagine, à chaque fois, les influences qu’il a pu recevoir, les personnalités qu’il a pu côtoyer : conférences de Sébastien Faure à Saint-Junien, de Louise Michel à Limoges, de Gustave Hervé à Tulle et Brive, nombreux anarchistes limousins, dont Rirette Maîtrejean, compagne de Victor Serge. Il relate également « l’attentat » qu’il commît contre l’église de Chamberet en 1903.
Le 16 septembre 1914, il est donc officiellement déclaré insoumis par l’administration, n'ayant pas obtempéré à l'injonction d’incorporation. Il se serait réfugié en Espagne où il aurait pu être accueilli dans un couvent, avant d’embarquer sur un navire pour rejoindre les États-Unis. En dehors de la mémoire collective des habitants de Chamberet, seul un document administratif de 1929 signale son arrivée à New York en 1917. Le recensement général de la population américaine de 1920 l'enregistre à la Nouvelle-Orléans, comme menuisier salarié au couvent des Ursulines. En 1929, Le Guide franco-californien du cercle commercial français de San Francisco indique son adresse à Burlingame, en Californie, où son neveu, Louis Mafreix, le rejoindra en 1926. Un autre document laisse deviner un voyage à Cuba sans pour autant permettre d’en déterminer la durée ni les motivations. À chaque fois, l’auteur extrapole, suppute et conjecture, avec beaucoup de réserves toutefois.
En 1935, au lendemain de sa cinquante-quatrième année, sa soeur reçoit, à Chamberet, siège de son domicile aux yeux des autorités militaires françaises, le courrier officiel annonçant sa radiation de l’insoumission. Il rentre donc en Corrèze où il se fait construire « une maison cossue sur une hauteur en limite du bourg » et où il n’épargnera pas sa parole dissidente lors des réunions publiques. Si son âge l’empêche de rejoindre le maquis pendant la Seconde Guerre mondiale, il rendra cependant quelques services à la Résistance et s'éteindra en 1963.

Biographie hypothétique mais profondément édifiante tant elle s’intéresse tout autant au contexte qu’au destin de ce paysan limousin, et explore souvent différents parcours possibles en l’absence d’indice. C’est aussi, une histoire des anarchistes qu’a pu croiser ou fréquenter Capi que nous livre Gérard Monédiaire.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 

CAPI, INSOUMIS
Corrèze, Californie, et retour
Gérard Monédiaire
320 pages – 21 euros
Éditions Plein Chant – Collection « Précurseurs et militants » – Bassac – Janvier 2019
pleinchant.fr/titres/militants/Capi.html

Voir aussi :

JE N’IRAI PAS : Mémoires d’un insoumis

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