22 novembre 2023

CIRCUIT COURT

C’est au Japon, dans les années 1960, suite à une grave pollution industrielle, que des mères de famille développent les teikei : « En échange d'assurer aux paysans une sécurité financière en achetant leur production par souscription, ceux-ci s’engagent à fournir des aliments sains et sans produit chimique. Un système alternatif simple, de distribution direct et qui émancipe de l'économie de marché. » En France, c’est un couple de paysans du Var, de passage chez leur fille à New-York, à l’occasion des fêtes de la fin d’année 1999, qui va rapporter ce principe dans leur ferme fragilisée par la grande distribution  et ouvrir, en 2001, la première association pour le maintien d'une agriculture paysanne, la première AMAP.
Tristan Thil et Claire Malary ont longuement rencontré Daniel et Denise Vuillon, aux Oliviades, leur « citadelle verte assiégée par le béton » près de Toulon, au coeur d’une zone commerciale dont il n’ont eu de cesse de défendre l’étendu à leurs dépends. C’est cette lutte qu’il raconte, ainsi que l’évolution de l’agriculture vers une industrialisation accélérée. Depuis 1804, ils sont la septième générations à s’occuper de cette ferme, depuis la distribution des terres au moment de la Révolution française, s’adaptant toujours aux événements et aux situations : vignes et oliviers, culture maraichère puis monoculture de l’artichaut. Beaucoup d’innovations ont été tentées, telle la plasticulture. La notion de primeurs permettait d’atteindre la rentabilité, avant d’être dépassée par les importations mondiales. Avec l’élargissement européen à l’Espagne, ses conditions climatiques meilleures et ses coûts de production plus bas, la concurrence devient sévère, pourtant la FNSEA y est favorable afin que les céréaliers français puissent exporter leur production. Les supermarchés ont fragilisé la vente directe sur les marchés. Toutes les coopératives maraîchères de Provence qui ont passé des accords avec les grandes surfaces pour que la production locale soit prioritaire, se sont cassé la gueule entre 1981 et 1988. Un monopole s'est constitué, en détruisant les réseaux existants pour prendre des parts de marché, en privilégiant les marchandises à bas prix via des centrales d'achat recherchant les marchandises les moins chères possibles dans le monde entier. « Toute la production, influencée par la demande de la grande distribution, allait vers une standardisation totale. Il n'y avait plus que trois variétés de tomates, deux variétés de courgettes, une seule variété de fraises représentait 85 % des fraises cultivées sur la planète… Une folie ! » Daniel et Denise Vuillon ont décidé d’aller dans la direction inverse. Puis, la mairie a modifié son plan d'occupation des sols, classant leurs terres cultivées en zone non agricole. Un article paru dans la presse nationale à propos des 140 variétés de tomates qu’ils cultivaient, a attiré l’attention du chef Alain Ducasse. Rapidement d’autres restaurants gastronomiques ont commandé leurs légumes. Ainsi, la grande gastronomie les a sorti des griffes de la grande distribution, sans pour autant les faire vivre sur l’année. Pour le passage à l’an 2000, ils s’envolent pour New-York, où vit leur fille, avec un contrebassiste de jazz. C’est là qu’ils découvrent une Community Support Agriculture (CSA), système de vente par contrat, entre fermiers en agriculture biologique et consommateurs, qui garanti la sécurité économique aux uns et la sécurité alimentaire aux autres, qu’ils vont rapporter dans leurs bagages et lancer un an plus tard, à l’occasion d’un débat sur la malbouffe organisé à Aubagne par ATTAC. À ce moment-là, la maladie de la vache folle sévit, parvenant à se transmettre à l’homme. Pour la première fois, on s’inquiète du contenu des assiettes. Cette remise en cause des modes de production et de consommation alimentaires tombait à point pour assurer le succès de ce nouveau modèle dont le principe est simple : « le prix est calculé sur la base de l'intégralité des charges de la ferme, rémunération du travail comprise, divisé par le nombre de familles que la ferme est en mesure de nourrir. Ça c'est le juste prix de la nourriture ». « Et sociologiquement, les adhérents de l’AMAP représentent l'ensemble de la société. »

En retraçant le parcours de ce couple face aux déboires subis par leur ferme, Tristan Thil et Claire Malary livrent une histoire économique de la condition des agriculteurs, en France, depuis l’après-guerre, bien plus large que celle de la première AMAP.
Bonus : des recettes sont dispersées au détour des chapitres.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


CIRCUIT COURT
Une histoire de la première AMAP
Tristan Thil et Claire Malary
128 pages – 23 euros
Éditions Futuropolis – Paris – Octobre 2023
www.futuropolis.fr/9782754833219/circuit-court.html




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