Pour quoi faire ?

8 mars 2017

SUR LE CONTRÔLE DE NOS VIES


Dans l’Angleterre du XVIIe siècle puis dans les colonies nord-américaines au siècle suivant, une grande partie de la population ne voulait être gouvernée ni par un roi ni par un parlement. Pourtant, le système constitutionnel qui résulta de la révolte des fermiers des colonies fut conçu pour « protéger la minorité des nantis de la majorité » comme l’écrivaient James Madison, le principal rédacteur de la constitution et John Jay, premier magistrat de la Cour suprême.
Au XXe siècle, les peuples sont étrangers au système, cantonnés au rôle de spectateurs apathiques, passifs et obéissants, autorisés périodiquement à choisir parmi les représentants du pouvoir privé.

Noam Chomsky rappelle que de la même façon, dans le domaine socio-économique, il y a 150 ans en Nouvelle Angleterre, le travail salarié était considéré comme une véritable forme d’esclavage par une grande partie de l’opinion (y compris Abraham Lincoln, Le Parti  Républicain et le New York Times) qui stigmatisait la dégradation et la soumission induite par le système industriel naissant et arguait que ceux qui travaillaient dans les manufactures devaient en être les propriétaires.

Au XXe siècle, l’industrie des relations publiques a créé des besoins artificiels, enrégimenté l’opinion publique en suscitant une philosophie de la futilité afin que les gens acceptent leur existence dépourvue de sens et asservie, oublient l’idée subversive de prendre le contrôle de sa propre vie. Ce projet d’ingénierie sociale s’applique à saper la sécurité, par exemple en créant la menace de mutation professionnelle, en renforçant la flexibilité du marché du travail, en supprimant les avantages et les droits acquis.

La crise de la dette est une construction idéologique attribuable aux programmes politiques de la Banque mondiale et du F.M.I. des années 70 : c’est à la population de rembourser à travers de sévères mesures d’austérité l’argent le plus souvent accaparé par des dictatures. D’ailleurs, le montant de la dette latino américaine correspond grosso modo au montant de la fuite des capitaux hors d’Amérique latine. Pourtant, selon les principes capitalistes, c’est bien à l’emprunteur de payer et aux prêteurs de prendre le risque. Ainsi, la dette inique est une arme de contrôle puissante. Grâce à elle, la politique économique nationale de la moitié de la population mondiale est dirigée par les bureaucrates de Washington.
La terreur effective disparaissant à la fin des les années 80 en Amérique latine, une culture de la terreur résiduelle l’a remplacée, détruisant les espérances, domestiquant les aspirations de la majorité qui a renoncé à toute idée d’alternatives aux demandes des puissants. Ce fut une réponse à l’équivalent mondial de la peur de la démocratie au plan national.

En 1945 fut signé à la demande des États-Unis la Charte économique des Amériques instaurant la fin du « nationalisme économique sous toutes ses formes » (c’est-à-dire de la souveraineté). Depuis, les Latino-Américains doivent éviter un développement industriel « excessif », susceptible d’entrer en compétition avec les intérêts des États-Unis. Il est désormais inacceptable de mettre en place « des politiques visant à une distribution plus équitable des richesse et à élever le niveau de vie des masses ». La liberté d’accord, mais celle de faire les bons choix.
Les tentatives de prendre sa vie entre ses propres mains au Guatemala, au Honduras, au Salvador, à Cuba, à Haïti, ont été détruites par le terrorisme et l’étranglement économique.


John Dewey, le principal philosophe politique d’Amérique affirmait que la démocratie perdait de sa substance lorsque la société était dominée par un « féodalisme industriel ».
Il y a un siècle était accordé aux sociétés les mêmes droits juridiques qu’aux personnes, processus qui ressemble fort à ce qui se mettait en place à l’époque avec l’idéologie centraliste qui allait ôter le pouvoir des mains des travailleurs pour le confier au parti, au comité central puis au chef suprême.
Le conflit entre souveraineté populaire et pouvoir privé est tel qu’a été signé à Montréal le « protocole de sécurité biologique » instaurant la souveraineté du producteur en stipulant que les importations ne pourront être interdites que sur la base de preuve scientifique et non seulement au nom du principe de précaution. Par ailleurs les pratiques de fixations des prix relèvent du monopole, appliquées en vertu de mesures protectionnistes inscrites dans les accords dits de libre échange. Ainsi, des dizaines de millions de personnes meurent dans le monde chaque année de maladies curables du fait de menaces de sanctions commerciales qui empêchent les États de produire des médicaments qui sauveraient ces vies à une fraction du prix décrété par le monopole.

Le système de Bretton Woods a été conçu par les États-Unis et l’Angleterre dans les années 40 pour réglementer les taux de change et contrôler les flux monétaires. Ils s’agissait de mettre fin à la spéculation ruineuse et nocive et de restreindre la fuite des capitaux car le libre flux des capitaux instaure un « parlement virtuel » du capital mondial qui a un pouvoir de veto sur les politiques gouvernementales qu’il juge irrationnelles : le droit du travail, les programmes d’éducation et de santé. Son démantèlement au début des années 70 a permis l’explosion du capital spéculatif à très court terme, écrasant complètement l’économie productive.

La destruction du système économique d’après-guerre s’accompagne d’une attaque contre la démocratie effective sous le slogan TINA (There Is No Alternative) qui n’est qu’une supercherie. L’ordre socio-économique qu’on impose est bien le résultat de décisions prises par des institutions. Les décisions peuvent être modifiées, les institutions changées sinon renversées et remplacées, comme cela c’est vu tout au long de l’histoire.


Loin d’être une simple dénonciation, la démonstration de Noam Chomsky est redoutable car elle s’appuie essentiellement sur les propos parfaitement lucides des instigateurs de ces politiques. Synthétique et instructif.






SUR LE CONTRÔLE DE NOS VIES
Noam Chomsky
66 pages – 6,10 euros
Éditions Allia – Paris – août 2003

Transcription d’une conférence prononcée à Albuquerque (Nouveau Mexique) le 26 février 2000.



Du même auteur : 
11/9 – AUTOPSIE DES TERRORISMES

L’AN 501, LA CONQUÊTE CONTINUE


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LA FABRIQUE DE L’OPINION PUBLIQUE - La Politique économique des médias américains

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