Pour quoi faire ?

20 septembre 2019

300 000 ANS POUR EN ARRIVER LÀ


Homo sapiens a vécu paisiblement pendant 290 000 ans, jusqu’à ce qu’apparaissent l’agriculture et l’élevage, provoquant, en se généralisant, « une catastrophe comparable à la comète qui a fait disparaître les dinosaures ». En nous racontant le monde d’après l’effondrement et celui d’avant la « révolution » néolithique, en passant par les COP 1 à 45, Grégory Jarry et Otto T. nous invitent à réfléchir sans tergiverser aux enjeux actuels, non sans se départir de leur fameux sens de l’humour.



Alors que « le mode de vie chasseur-cueilleur est basé sur la coopération et l’entraide », « émerge une élite improductive et bien nourrie qui prend le pouvoir et structure la société en classes sociales ». On passe d’un mode de vie où l’on consacre trois heures par jour à chercher sa nourriture, à des projets de développement qui permettent à la population de se multiplier… en travaillant 12 heures par jour, en étant toujours malade, en mangeant toujours les mêmes trucs !
 



Et puis, le progrès s’est accéléré au point que toutes les courbes sont devenues complètement folles : PIB mondial, utilisation des ressources en eau, ventes de voitures et de smartphones, tourisme de masse, consommation d’énergie… avec pour conséquences directe la destruction de 90% de toute la vie contenue dans les océans, la déforestation des forêts primaires de la planète, la sixième extinction de masse qui anéantit 200 espèces animales par jour… Il fallait vraiment avoir « de la merde dans les yeux » pour ne pas comprendre que tout allait s’effondrer !

 



Le rôle des « sciences » économiques comme idéologie et l’instrumentalisation des religions dans le contrôle social des populations, l’utilité de « penseurs de génie » comme Gandhi, Martin Luther King, le dalaï-lama qui ont glorifié la non-violence et ainsi limité les révoltes efficaces, sont démontrés, toujours avec le même mélange d’humour et de rigueur scientifique.


Comme d’habitude avec les fictions et bien que l’envie nous démange grandement, nous ne déflorons pas en détails les ressorts de cette histoire truculente, afin de ne pas gâcher le plaisir des lecteurs, et nous nous retenons d’en dévoiler le dénouement (digne de Tarantino !) et les très nombreux gags.
Bande dessinée à proposer comme histoire universelle, en lieu et place des différents « romans nationaux ». Brillante synthèse des problématiques actuelles, de leur origine, de leurs conséquences si rien ne change. Condensé des connaissances scientifiques et historiques les plus récentes, les plus utiles pour comprendre où et comment va le monde, à une époque où l’excès d’informations empêche souvent leur connexion et entrave les tentatives de réflexions globales. Outil d’émancipation éminemment désopilant. Il ne reste plus, au lecteur éclairé, qu’à agir comme bon lui semble.




300 000 ANS POUR EN ARRIVER LÀ
Grégory Jarry et Otto T.
138 pages – 21 euros
Éditions FLBLB – Poitiers – Septembre 2019
http://flblb.com/




Voir aussi :

LE DERNIER QUI S’EN VA ÉTEINT LA LUMIÈRE : essai sur l’extinction de l’espèce.



Des mêmes auteurs : 

PETITE HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES - Tome 1 : l’Amérique française

PETITE HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES - Tome 2 : l’Empire

PETITE HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES – Tome 3 : La décolonisation

PETITE HISTOIRE DES COLONIES FRANÇAISES – Tome 4 : La Françafrique

PETITE HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

 


TROIS QUESTIONS À GRÉGORY JARRY ET OTTO T.

Ernest London : Avec « La Petite histoire de la Révolution française » vous envisagiez un soulèvement populaire (qui ressemble d’ailleurs en de nombreux aspects à ce qu’a initié le Mouvement des Gilets jaunes récemment). Avec cet album, vous faite l’hypothèse d’un effondrement. Même si votre récit entend bien évidemment provoquer sidération et prise de conscience, n’est-ce pas prendre le risque d’une dépolitisation du présent, que de considérer la catastrophe inéluctable ?

Otto T. : C'est la question qu'on se pose à chaque fois : est-ce que le livre va contribuer à une prise de conscience ou participer au grand brouhaha ? C'est aussi ce qui nous pousse à nous documenter et à tenter d'être le plus pertinent possible. Parfois on se pose même la question de l'humour : est-ce qu'en faisant rire sur des sujets graves, on ne participe pas à les banaliser ? Mais en même temps, la gravité nous ennuie. On a toujours l'exemple de « l'An 01 », le livre et le film, où Gébé a pu exprimer des choses profondes, politiques et philosophiques, tout en pratiquant l'absurde et la dérision. Le film a 45 ans, il est ressorti l’an dernier, et on a l'impression qu'il a été écrit hier.

Grégory Jarry : La catastrophe est déjà là, en prendre conscience c’est se mobiliser pour en limiter la portée et les effets. Notre livre tente de répondre à une seule question (déjà annoncée dans le titre) : comment en est-on arrivé là (alors qu’à priori rien ne prédestinait l’humanité à détruire la planète tout en s’auto-détruisant) ? Pour le dire autrement : qu’est-ce qui a merdé ? Ce n’est pas un nouvel opuscule pour alarmer sur la possibilité d’un effondrement, c’est un livre qui prend cette hypothèse pour point de départ, et déroule une fable dans laquelle les personnages n’ont plus rien à perdre  puisque l’effondrement a eu lieu). Tout ce qu’ils veulent, c’est se venger avant de crever, et ils veulent comprendre pourquoi ils n’ont d’autre choix que de prendre les armes pour le faire. Ce faisant, ils raisonnent sans tabou, sans les carcans dans lesquels la société nous place quand on s’interroge sur la possibilité de la violence. Donc à mon avis, c’est autant un livre sur la vengeance que sur l’effondrement. On se demande toujours ce que diront les générations futures quand elles verront ce qu’on a fait à la planète. Hé bien là, on a la réponse : elles se vengeront. Notre livre est aussi une sorte de western d’anticipation...


Ernest London : Votre approche de l’histoire est extrêmement synthétique, scientifiquement exacte et comique à la fois. Vous savez isoler et retenir les détails qui font sens et provoquent le rire. Comment définiriez-vous le procédé maintenant bien rodé que vous utilisez pour raconter aussi bien l’histoire des colonies, de la révolution française, du Texas et maintenant de l’humanité ? Et comment fonctionne précisément votre binôme, notamment lorsqu’un propos principal est développé tandis qu’une seconde narration est déroulée en parallèle ?

Grégory Jarry : Nous nous attaquons à des sujets à priori compliqués et à priori pas drôles pour essayer de les vulgariser tout en faisant rire, le plus souvent assez jaune. Pour ce faire, nous ne déroulons pas une histoire linéaire, nous faisons des livres en millefeuilles, une multitude de personnages et d’histoires se croisent, avec un ou plusieurs fils directeurs, avec aussi des liens entre les histoires et les personnages. Cette manière de faire sollicite davantage le lecteur, on essaye de s’en faire un complice (souvent grâce à l’humour) et c’est le lecteur seul qui tire ses conclusions sur le sujet présenté.

Otto T. : Dans Petite histoire du Grand Texas, puis Petite histoire des colonies françaises et Village Toxique, chacun de nous élaborait sa partie, je répondais au texte de Grégory à la façon du dessin de presse, en continuant son texte, en le complétant, parfois en le contredisant, ou en racontant autre chose. Sur Petite histoire de la Révolution Française, nous avons tenté un autre principe, où le texte raconte la révolution de 1789, et la BD raconte la révolution comme si elle se déroulait au présent. Grégory a alors pris la main sur le scénario de la partie BD, de façon à ce que ce principe un poil compliqué soit fluide à la lecture. Sur 300 000 ans pour en arriver là, nous avons travaillé de façon plus rapprochée, en faisant beaucoup d'allers-retours entre nous, car il y a 3 parfois 4 niveaux de narration dans le livre, et l’enjeu était que l'ensemble « coule » bien. Ce qui a été amusant pour moi, c'est d'entremêler mes bonshommes-patates utilisés dans les colonies, avec le style un peu plus réaliste de La Révolution. La mise en couleurs, élaborée par Guillaume Heurtault, est un élément également important pour la fluidité du récit.


Bibliothèque Fahrenheit 451 : La question de vos sources nous intriguent bien sûr particulièrement. Vos bibliographies sont relativement concises. Est-ce une volonté délibéré de ne pas vous laisser noyer par l’information ou n’avez-vous retenu que les plus pertinents parmi les nombreux ouvrages que vous avez pu consulter par ailleurs ?

Otto T. : Dans chaque livre que nous faisons ensemble, nous tenons à inclure une bibliographie et parfois une filmographie. C'est une façon de dire que nous nous positionnons aussi comme des vulgarisateurs, nous voulons transmettre des connaissances, et encourager nos lecteurs à aller compléter ce qu’ils viennent de lire en allant découvrir nos sources. Une grosse partie du travail de Grégory consiste à bien comprendre ses sources pour en restituer le pur jus, ceci étant, le pur jus est aussi subjectif, il y prend ce qui lui sert à construire son récit, c'est pourquoi c'est intéressant de compléter en allant explorer les ouvrages qu'il a utilisés. Bien entendu, on ne cite que les principaux ouvrages, il y a aussi des livres ou des textes pris dans la presse ou sur internet qu'on ne cite pas systématiquement. Ça nous est arrivé aussi de citer des sources qui nous avaient peu servi pour élaborer un ouvrage, mais dont on trouvait qu’elles étaient intéressantes à potasser après avoir lu ce qu'on avait raconté.

Grégory Jarry : Comme bon nombre d’auteurs qui écrivent sur l’effondrement en ce moment, ce livre a été enclenché par ma découverte de la collapsologie. A mesure qu’on avançait sur la question, il nous est apparu que Pablo Servigne et ses co-auteurs ont eu avant tout le mérite de mettre un mot sur quelque chose que beaucoup de gens ressentent depuis de nombreuses années. Ça ne fait pas d’eux des visionnaires, davantage d’excellents vulgarisateurs. La lecture de Pablo Servigne m'a conduit vers Derrick Jensen, éco-anarchiste américain qui fait le constat de l’effondrement du vivant depuis de nombreuses années, et là je me suis pris une grosse claque. Ouvrage après ouvrage, il dresse avec une effroyable acuité un constat tout aussi terrible que nos petits collapsologues bien de chez nous. De fil en aiguille, je me suis intéressé aux indiens d’Amériques, qui faisaient aussi le même constat, mais dès les débuts de la colonisation... Bref, à différentes échelles, on prévoyait ce qui est en train de se passer bien avant la publication du rapport de Rome. Ce qu’on a en face de nous aujourd’hui, c’est l’inéluctabilité de la chose, car les scientifiques l’ont documenté précisément. Tant que Tahca Ushte disait que les hommes blancs étaient dingues de piquer leurs terres et de tout détruire pour faire des autoroutes, ça nous rendait un peu triste pour les Sioux, mais maintenant c’est chez nous que ça se passe, maintenant c’est nous les Indiens et il n’y a aucune raison que cette civilisation ne nous fasse pas subir le même sort.




 


Lundi Matin publie sur son site l'intégralité de l'album :
Première partie,
Deuxième partie,
Troisième partie.



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