Paul Jorion compte trois menaces qui pèsent sur nous :
une crise environnementale due à l’épuisement
des matières premières combiné au réchauffement climatique, une crise de la
complexité causée par l’interaction entre des facteurs multiples qui
compliquent l’émergence de solutions et une crise économique et financière générée
par une « machine à concentrer la richesse » alimentée par les
intérêts des dettes et la spéculation.
La théorie de la main invisible d’Adam Smith, censée
réguler naturellement l’économie, est désormais mise à mal. Depuis 50 ans, la
« peste de la marchandisation » envahit tout les domaines :
éducation, recherche, santé… C’est le juriste Alain Supiot qui dénonce
« la gouvernance par les
nombres », responsable de la recherche constante du profit, parfaitement
quantifiable, au contraire du bonheur, par exemple. Face à ce constat qui ne peut
que conduire au pire, Paul Jorion regrette que jamais « le Prince ne fut
philosophe ou n’écouta le philosophe ». Il pointe un certain nombre de
dysfonctionnements :
- 1975 vit la victoire du court-termisme quand fut
décidé d’aligner les intérêts des dirigeants des grandes entreprises à ceux des
investisseurs, au moyen des stock-options. Dès lors, l’avenir fut sacrifié au
présent.
- La croissance n’est nécessaire que parce qu’elle
permet le paiement des intérêts. Pour sortir de cette logique exponentielle
insoutenable, il faut régulièrement déclarer faillite ou instaurer une forme de
servage. Au choix !
- L’une après l’autre, les nations ont abrogé, dans
la seconde moitié du XIXème siècle, les lois prohibant la spéculation !
- Les salaires versés contre le travail sont
comptabilisés comme une charge mais pas les dividendes distribués aux
actionnaires.
- La prétendue « science économique » qui
a remplacé l’économie politique, obscurcit délibérément la réalité en la
complexifiant pour masquer sa dimension idéologique.
- Un réseau de contrôle global des entreprises
repose sur 147 compagnies transnationales dont la puissance économique est
supérieure à celle des États. Les trois quarts sont des établissements
financiers.
Dès lors ce n’est plus le « bien commun »
et l’intérêt général qui sont la préoccupation des gouvernements. Par exemple,
les institutions européennes requièrent un vote à l’unanimité pour l’adoption
de mesures progressistes et seulement majoritaire pour les décisions
réactionnaires. Des systèmes de cliquet sont discrètement mis en place pour
rendre les décisions irréversibles. La démocratie est réellement enchaînée.
L’absence de réaction ne peut que déboucher sur une tragédie.
Sociologue et anthropologue, Paul Jorion développe
ensuite sa théorie en empruntant autant à la neurobiologie qu’à la philosophie.
Une découverte récente démontre que la volonté est
illusoire. La conscience n’est efficiente qu’une demi à dix seconde après une
action, décidée instinctivement en dehors de tout raisonnement. Ce
fonctionnement inhiberait sa capacité de réaction. Par ailleurs, l’homme
n’étant pas immortel, il ne sait s’empêcher d’hypothéquer l’avenir.
Puis, s’appuyant notamment sur Freud et Nietsche, l’auteur
conclut que la raison est un leurre qui, de plus, tue l’action. Depuis Socrate,
triomphe une forme d’optimisme théorique qui relève souvent du credo ou de la machine à fabriquer du
syllogisme. Seule la fraternité serait réellement capable de proposer une
représentation dynamique du destin humain capable de renverser la tendance à la
destruction des conditions de vie de notre espèce sur terre.
Il considère l’extension inéluctable d’ici deux à
trois générations. Elle pourrait d’ailleurs être un progrès, une simple étape
de l’évolution vers l’ère post-humaine : l’homme n’aurait alors servi qu’à
faire advenir des machines intelligentes, débarrassées de ses propres
imperfections.
Le tournant décisif ne pourra être pris que si le
genre humain passe à l’âge adulte. Mais la lucidité seule n’interrompra pas l’évolution
séculaire dans la prédation.
Rendre compte du contenu d’un tel ouvrage demeure
une grande frustration tant nombre d’exemples et d’arguments pertinents durent
être omis pour ne pas nuire à la clarté de la synthèse. On ne peut que trop en
conseiller la lecture complète.
LE DERNIER QUI S’EN VA ÉTEINT LA LUMIÈRE :
essai sur l’extinction de l’espèce.
Paul Jorion
288 pages – 19 euros
Éditions Fayard – Paris – mars 2016
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En effet, un ouvrage à lire, dont vous défendez très bien la pertinence du propos. on voit une illustration de tout cela, y compris les "cliquets", dans l'évaluation généralisée et les ravages d'une certaine façon d'user des "ressources humaines", au niveau de l'entreprise, et des services de soin, dirigés par des statistiques et des algorithmes, ou, plus simplement, par des règles bureaucratiques appliquées par des imbéciles.
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