Pour quoi faire ?

5 septembre 2022

L’ÉPOPÉE DELGRES

Un décret du 4 février 1794 avait aboli l’esclavage dans les colonies, mais en 1802, le Premier Consul Bonaparte le rétablit et expédia des troupes pour imposer l’application de sa loi, briser la volonté d’indépendance des Antillais. Germain Saint-Ruf retrace ces pages sombres et met en lumière la résistance des guadeloupéens, notamment de Louis Delgres et de ses compagnons, combattants méconnus qui firent le serment de vivre libre ou mourir.
À la veille de la Révolution française, la Guadeloupe comptait 89 823 esclaves, 13 712 blancs, « grands » et « petits », et 3 058 hommes libres (hommes de couleurs et noirs affranchis). En septembre 1789, parvinrent des nouvelles de la Révolution et notamment la proclamation solennelle des droits de l'homme et du citoyen, supposément universelle. Mais la bataille des libéraux, dans les Clubs comme à l’Assemblée Constituante, pour l’émancipation civique des hommes de couleur libres et l’abolition progressive de l’esclavage, s’avèrera surtout dogmatique et frileuse. Le texte voté le 8 mars 1790 pour modifier la législation coloniale, fut tellement ambigu qu'il mécontenta tout le monde et donna « le signal du désordre dans les colonies ». Après La Martinique et Saint Domingue, les esclaves, prenant conscience de leur force et fatigués d’être bernés par des promesses jamais tenues, tentent d’arracher leurs droits à l’occasion de plusieurs révoltes chaque fois noyées dans le sang. Les luttes intestines entre blancs, les Aristocrates d’un côté, qui complotaient avec les Anglais, et les Patriotes de l’autre, s’accentuent. Puis, « en France, l'action des masses parisiennes raffermissait la Révolution et arrachait au pouvoir ce que les bavards libéraux n'avaient pu obtenir » : le 4 février 1794, la convention nationale décrétait « l'esclavage aboli dans toutes les colonies » ! Mais le 11 avril, les Anglais débarquèrent à Gosier et s’emparèrent de l’île. Aussitôt, les Conventionnels désignèrent Victor Hugues pour la reprendre. Il constitua rapidement le bataillon de sans-culottes noirs, avec les esclaves qui désertèrent les plantations à son arrivée. Les colons, qui avaient appelé les Anglais pour les aider à défendre leurs privilèges prirent les armes à leurs cotés, contre la France. Victor Hugues installa un tribunal révolutionnaire ambulant qui guillotina jusqu'à ce qu’aucun royaliste ne reste en Guadeloupe. Il organisa une vie commerciale autonome et institua un système de fermage, donnant aux esclaves devenus paysans les propriétés confisquées des colons émigrés ou déportés.
Lorsqu’après le coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799), Napoléon Bonaparte nomme Desfourneaux pour s’attaquer aux avantages acquis par les Noirs, une conspiration d’anciens partisans de Victor Hugues, soutenue par la population, le destitue et nomme le Général Paris à sa place, jusqu’à l’arrivée des trois agents nommés par le Directoire, deux mois plus tard : Jeanne, Laveaux et Baco, accompagnés de deux hommes de couleur originaires de la Martinique : le chef de bataillon Delgres et le chef de brigade Pélage. Lacrosse est nommé Capitaine Général avec pour mission secrète de rétablir l’esclavage. Prétextant la découverte d’un complot, celui-ci fait procéder à des arrestations, de la plupart des officiers de couleur notamment, et des vexations qui mirent en route l’insurrection. Pélage en prend la tête mais avec la volonté de négocier, contre la volonté de la masse nettement plus méfiante. Delgres, Aide de Camp de Lacrosse au moment de la destitution de celui-ci, accepte de rejoindre leur cause à condition « que nous nous défendions, jusqu'à la mort à moins d'obtenir un traité qui couvre le passé et assure l’avenir ». Germain Saint-Ruf raconte comment Pélage, profondément attaché à la République et au gouvernement français, ne sut placer au-dessus de ses devoirs de « soldat français », l'intérêt de son peuple, à l'instar de Toussaint Louverture, et finit par le trahir. Tout en administrant la Guadeloupe, il tentait de rétablir les liens avec le Consulat. Après la paix définitive conclue avec l'Angleterre à Amiens le 25 mars 1802, la France préparait une gigantesque expédition pour rétablir « sans partage et au besoin par la force l’autorité du pouvoir central » dans les colonies. Richepance devait diriger celle contre la Guadeloupe et appareilla de Brest le 1er avril 1802, avec deux vaisseaux, quatre frégates, une flute et trois transports, montés au total par 3 410 hommes, rejoints par ceux de Lacrosse. Malgré les humiliations et le désarmement des forts et des casernes imposés à leur arrivée, Pelage demeure pourtant indécis, confiant, naïf et obéissant. Louis Delgres, qui a gagné son grade de lieutenant dans les combats contre les Anglais, puis en France ses épaulettes de chef de bataillon, comprend mieux la situation et s’oppose aux troupes esclavagistes. Il lance son cri de ralliement : « Vivre libre ou mourir » qui reçoit un immense écho, malgré sa conviction d’une issue fatale de leur lutte. La proclamation qu'il fait afficher sur les murs de Basse-Terre est « le testament d'un homme qui, préférant la mort à la servitude, s'engage consciemment, délibérément dans la voix choisie » tout en proclamant ses motivations : « Nous n'avons plus qu'à mourir bravement. Sachons accomplir ce devoir suprême. Notre mort nous fera illustres, nous ne mourrons pas entièrement. Nous nous survivrons sur l'océan des âges et nous léguerons nos exemples à suivre à ceux qui viendront après nous et qui, plus heureux, conquerront eux, cette liberté que nous n'avons fait qu’entrevoir. » Face à la puissance de l'armement ennemi, les Guadeloupéens opposent leur courage et leur détermination : les combats sont meurtriers. Delgres cependant doit se retirer au fort Saint-Charles, Richepance sollicite les anglais qui lui envoyent bombes et mortiers. Acculé, Delgres accompagné de 300 soldats se retirera vers les hauteurs du Matouba dans l’habitation d’Anglemont, qu'ils finissent par faire sauter pour échapper à la honte de l'esclavage, selon leur engagement, léguant à la postérité leurs exemples. La répression s'abat alors sur la Guadeloupe : exécutions, déportation. Et l'esclavage est rétabli pour près d’un demi-siècle. Ces nouvelles provoquèrent la levée en masse du peuple de Saint-Domingue. Le sacrifice de Delgres commençait à porter ses fruits.

Plutôt qu’une biographie de Delgres, comme le laisse entendre le titre de cet opuscule, celui-ci retrace plus largement l’histoire de la Guadeloupe sous la Révolution française, et rappelle qu’ « un peuple opprimé ne peut attendre son salut que de sa propre lutte. »

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

L’ÉPOPÉE DELGRES
La Guadeloupe sous la révolution française
Germain Saint-Ruf
154 pages – 16,50 euros
Éditions L’Harmattan – Paris – Mars 2004
www.editions-harmattan.fr/livre-l_epopee_delgres_la_guadeloupe_sous_la_revolution_francaise_1789_1802_germain_saint_ruf-9782858020461-3548.html


Voir aussi :

LANÇONS LA LIBERTÉ DANS LES COLONIES

LE CODE NOIR

TOUSSAINT LOUVERTURE - La Révolution française et le problème colonial

 





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