16 octobre 2017

NOUS NE FERONS PAS MARCHE ARRIÈRE

Un collectif de militants traducteurs marseillais a recueilli des témoignages de migrants et de militants à Vintimille pour que la barrière de la langue ne soit plus une frontière mais un outil de communication, de lutte contre la frontière.

L’espace Schengen est instauré en 1990 mais la liberté de circulation est restée limitée  aux marchandises et à une certaine catégorie de la population : les résidents européens. Pourtant, les États de l’Union européenne percevant l’immigration comme une menace, certaines frontières internes sont restaurées et font de nouveau l’objet de contrôles fixes et systématiques. Pour bloquer les flux migratoires avant leur arrivée en Europe et surtout avant leur départ, des accords sont conclus avec le Maroc, la Libye, la Turquie (qui doit toucher 6 milliards), afin de créer des camps de rétentions. C’est une externalisation des frontières. La procédure de Dublin contraint les personnes désirant demander l’asile en Europe à le faire dans le premier pays où elles sont contrôlées. Peu souhaitent rester sur les côtes où elles débarquent, en Italie ou en Grèce, préférant gagner l’Allemagne ou l’Angleterre. Beaucoup choisissent de se brûler les doigts pour rester maître de leur destin.

Comme le centre d’accueil de la Croix-Rouge collecte les empreintes, un deuxième lieu se constitue à Vintimille : le Presidio permanente No Border Ventimiglia, espace
autogéré de solidarité, de complicité et de lutte, qui dépasse le modèle assistancialiste de la Croix-Rouge. Les récits expliquent le soulagement inespéré d’être enfin « traité comme un être humain par d’autres êtres humains », de ne plus devoir sans cesse faire la queue pour obtenir quelque chose. Tout n’est pourtant pas idyllique et les auteurs ne cachent nullement les problèmes et les difficultés, bien au contraire. Ainsi lorsqu’un viol survient, ils relatent qu’une partie du Présidio, soucieuse de préserver l’image du campement, aura une réaction qui s’inscrit dans la « culture du viol ». Ils expliquent comment le système de dominations entrecroisées de race, de genre et de classe dans lequel nous vivons doit se combattre globalement : « affronter l’une de ses dominations, c’est se confronter à toutes les autres ».
Ils montrent également comment la militarisation de la frontière organise la répression sur une base essentiellement raciste : contrôles au faciès, arrêté interdisant la distribution de nourriture par mesure d’hygiène, les postes de police français tenus d’enclencher les demandes d’asile, raccompagnent les demandeurs à la frontière, sachant pertinemment qu’ils ne pourront se rendre au rendez-vous. L’État italien a recours aux interdictions de territoire pour éloigner les militants. En France, ils sont poursuivis pour « aide à l’immigration illégale ».
L’expérience, débutée en juin 2015, se termine le 30 septembre par l’évacuation et le démantèlement du campement par la police. Les migrants trouvent désormais refuge dans les églises. Celle de San Antonio de Roverino en accueille plus de mille.
Alfano, le Ministre de la Justice italien, va s’employer à évacuer le secteur de Vintimille, recommandant « un usage proportionné de la force » pour prendre les empreintes. Dès lors, les tentatives de passage vont se déplacer de la mer à la montagne, vers la vallée de la Roya. Plusieurs centaines d’habitants, sur les 7 000, s’impliqueront à différents degré pour aider.
En juin 2016, dans le cadre d’une manifestation, pour une vélorution sans frontière, l’ancien poste de douane de Fanghetto est occupé quelques jours. Une pancarte explique : « Apprenons à vivre ensemble comme des frères ou nous mourrons seuls comme des idiots ».
L’arrestation le 13 août de Cédric Herrou, rapidement devenu symbole de la lutte, donne une ampleur internationale à l’exposition médiatique.


Les nombreux extraits de témoignages donnent une réelle épaisseur vécue à ce brut rappel des faits. Les paroles que l’on retrouve, page après page, donnent un visage à ces anonymes, au-delà de leur nombre et de leur provenance.
Ils permettent aussi de comprendre les différentes approches militantes. L’association Roya Citoyenne recherche la médiatisation pour faire passer des discours de solidarité, ce qui renforce aussi la surveillance et rend les passages plus difficiles. Elle veut pousser l’État à assumer ses responsabilités.
Les No Border sont contre les frontières et contre l’État. Ils prennent des décisions collectivement en assemblée et s’auto-organisent, sans faire appel aux collectivités. Leur réflexion est plus politique, plus radicale, plus structurelle.
Les deux tendances se retrouvent pourtant dans la solidarité et sa mise en pratique individuelle. Ils cohabitent et collaborent la plupart du temps car c’est surtout leur objectif à long terme qui les différencie : améliorer le système existant ou le changer en bouleversant l’organisation sociale.

Expliquer en donnant la parole, tel est l’ambition de ce tout jeune éditeur. L’exercice est une fois de plus réussi.



 



NOUS NE FERONS PAS MARCHE ARRIÈRE
Lutte contre la frontière franco-italienne à Vintimille
Lucia Le Maquis
218 pages – 7 euros
Niet ! Éditions –  Le Mas d’Azil – Juillet 2017
http://www.niet-editions.fr/
L’intégralité des entretiens et textes utilisés se trouve sur le site du collectif :
https://maquistraductions.wordpress.com/2017/06/05/nous-ne-ferons-pas-marche-arriere-les-entretiens/



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