21 juin 2021

TRAVAILLER, MOI ? JAMAIS !

Constatant que « le travail est source de toute misère, ou presque, dans ce monde », Bob Black propose de créer un « nouveau mode de vie fondé sur le jeu », qu’il nomme « révolution ludique ».
Il rappelle que toutes les vieilles idéologies conservatrices, même le marxisme « et la plupart des variétés d’anarchisme » croient aux vertus du travail et vouent à celui-ci un féroce culte, même si tous ne l’assument pas, pérorant sans fin sur les salaires, les horaires, les conditions de travail,… sans jamais parler du travail lui-même. « Les syndicats et les managers sont d'accord pour dire que nous devrions vendre notre temps, nos vies en échange de la survie, même s’ils en marchandent le prix. »
Considérant que « les loisirs sont composés du temps passé à se reposer des fatigues du boulot et à essayer frénétiquement, mais en vain, d’en oublier l’existence », il précise que l’alternative au travail n’est cependant pas seulement l’oisiveté. En effet, le travail est « la production effectuée sous la contrainte de moyens économiques ou politiques ». « La monotonie induite par son exclusivité obligatoire phagocyte tout son potentiel ludique » et une variété infinie d’humiliations, accompagnées de contrôles coercitifs permanents, désignés sous le nom de « discipline » écrasent la majorité des travailleurs. Tandis que le jeu est tout l’inverse, relevant de la gratuité.

Le travail bafoue la liberté car il n’y en a pas plus dans n’importe quelle dictature que dans la plupart des entreprises. La discipline à l’usine et au bureau, est la même que celle que l’on trouve en prison ou dans un monastère. D’ailleurs, comme l’a montré Foucault, prisons et usines sont apparues en même temps. Considérant qu’ « un travailleur est un esclave à temps partiel » , Bob Black n’hésite pas à qualifier notre système politico-économique de « fascisme d’usine ou d’oligarchie de bureau ».
L’obéissance, résultat d’une atrophie de l’autonomie et d’une peur irrationnelle de la liberté, est transmise dans les familles. Pourtant cette « éthique du travail » n’a pas plus de quatre siècle. L’auteur cite nombre de philosophes antiques qui partageaient un égal mépris du travail, rappelle que « les sociétés primitives contemporaines qu’on nous apprend à mépriser » ne travaillent qu’un jour sur deux, qu’un quart du calendrier des paysans français sous l’Ancien Régime était constituait de dimanches et de jours fériés, tandis que les paysans de la Russie tsariste consacraient entre un quart et un cinquième des jours de l’année au repos. « Obnubilés par la productivité, nos contemporains sont à l’évidence très en retard, en matière de réduction du temps de travail, sur les sociétés archaïques. » La croyance que la vie, dans les temps préhistoriques, n’était qu’une lutte désespérée et continuelle pour la survie, face à une Nature impitoyable, n’est que « le reflet des peurs que suscite l’effondrement de l’autorité gouvernementale au sein de groupes humains accoutumés à ne pas s’en passer ». Tout au long du XVIIe siècle, des colons anglais firent défection pour rejoindre les tribus indiennes mais jamais l’inverse. L’anthropologue Marshall Sahlins a démontré que les chasseurs-cueilleurs « travaillaient » en moyenne quatre heures par jour et que leur activité relevait plus du jeu.

Chiffres à l’appui, Bob Black montre comment « le travail peut nuire gravement à votre santé. En fait, le travail est un meurtre de masse, un génocide. » Il propose d’abolir le travail, de se débarrasser tout simplement de tout travail inutile ou nuisible, qui ne sert que « les desseins improductifs du commerce et du contrôle social », ou qui consiste en rien d‘autre qu’à brasser du papier, pour conserver uniquement ceux qui ont une fonction utile ou remplissent des besoins réels (alimentation, vêtements, habitat), « par une multitude de libres activités d’un genre nouveau ». Le couperet doit aussi tomber sur le travail productif, celui de l’armement, de la bouffe industrielle, de l’industrie automobile,… ainsi que sur le travail domestique. « En abolissant le travail salarié et en réalisant le plein-chômage, nous sapons la division sexuelle du travail. » « Pour se débarrasser définitivement du patriarcat, il faut en finir avec la famille nucléaire. » « Nous avons besoin des enfants comme professeurs, et non comme élèves », mieux exercés dans l'art de jouer que les adultes, ils pourront contribuer à la révolution ludique.
S’il ne veut pas de « robots-esclaves », il pense qu’il y a de la place pour des « techniques substitutives au travail humain », constatant toutefois qu’aucune invention destinée à économiser du travail humain n’a jamais réduit la totalité du travail effectif. Il s’inscrit dans la tradition de la pensée de Charles Fourier, pour réinventer la vie quotidienne, mettre en adéquation les activités utiles avec des individus qui les trouveront agréables à des moment choisis : « Le jeu généralisé mènera à l’érotisation de la vie. »

Joviale et ardente attaque qui s’inscrit dans la continuité de la critique du travail: « Prolétaires du monde entier, reposez-vous ! »

 

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


 
TRAVAILLER, MOI ? JAMAIS !
L’abolition du travail
Bob Black
Traduit de l’anglais (État-Unis) par Julius Van Daal
50 pages – 3 euros
Éditions L’Esprit frappeur – Paris –  Décembre 2005
Extrait de The Abolition of Work and Other Essays, paru en 1985
livrelibre.fr/esprit-frappeur/87-travailler-moi-jamais--9782844052215.html


Lire la traduction de cet article en néerlandais par Thom Holterman : libertaireorde.wordpress.com/2021/06/30/werken-nooit/

Voir aussi :

LE DROIT À LA PARESSE

LE REVEIL SONNE : PREMIÈRE HUMILIATION DE LA JOURNÉE

MANIFESTE CONTRE LE TRAVAIL

DÉPÔT DE BILAN DE COMPÉTENCES

MANIFESTE DES CHÔMEURS HEUREUX

ÉLOGE DE L’OISIVETÉ




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