2 septembre 2021

VENTES D’ARMES, UNE HONTE FRANÇAISE

Au cours des années 1960, la France s’est dotée d’une doctrine concernant l’exportation de matériels militaires fabriqués par son industrie. En totale contradiction avec ses engagements internationaux et alors qu’elle se targue d’être la patrie des droits de l’homme, elle arme, dans une impénétrable opacité, les régimes parmi « les plus brutaux et les plus répressifs de la planète », lesquels s’en servent contre des populations civiles. Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle ont mené l’enquête.

À la fin des années 1950, la France ne parvient plus à vendre d’avions de combat aux pays développés, notamment ceux de l’Alliance atlantique, qui sont devenus la chasse gardée des États-Unis, et, devant trouver de nouveaux débouchés, se tourne vers les pays dirigés par des régimes totalitaires, dont certains font l’objets de sanctions internationales. « Ces choix, où la fin justifie donc des moyens qui ne s'embarrassent guère de morale, fonde une politique dont les promoteurs affirment qu'elle permet à la France d'assurer notamment son indépendance militaire. » Le livre blanc sur la défense nationale de 1972 justifie ces exportations par leur nécessité économique d'amortir le coût des investissements difficilement supportable par le budget de l’État, d'une part, et par la volonté d'émanciper ces pays en leur permettant d'assurer librement leur défense sans avoir recours aux puissances dominantes américaine ou soviétique. En 1970 et pour la première fois de son histoire elle devient le troisième plus gros vendeur d'armes mondial. Parmi ses quelques quatre-vingt clients figure l'Afrique du Sud, malgré une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU de 1963 interdisant toute livraison d’armes à celle-ci, l'Espagne franquiste, le Portugal de Salazar, engagé dans de sanglantes guerres coloniales en Angola, en Guinée-Bissau et au Mozambique, la Grèce des colonels, les dictatures chilienne, argentine et brésilienne.
En France, les ventes d'armes sont interdites par principe et nécessitent l'obtention de dérogations officielles délivrées par une commission gouvernementale dont les délibérations sont tenues secrètes. Au début des années 1970, cette activité emploie directement 270 000 salarié·es et assure du travail à des centaines d'entreprises sous-traitantes. L'État accorde à ces industriels d'importantes facilités financières et fiscales. Par exemple, à partir de 1968, une avance de 50 à 70% des dépenses d’étude, de mise au point et d’industrialisation, est accordée, remboursable au fur et à mesure des ventes à l’exportation.
Malgré les promesses de campagne du Parti socialiste, la France redevient, après l’élection de François Mitterrand, le troisième plus important marchand  mondial de matériels militaires et continue à livrer des clients peu recommandables.
En avril 2013, l'ONU adopte le Traité sur le commerce des armes (TCA) qui entrera en vigueur en décembre 2014. Les pays signataires s'engagent à n’autoriser aucune exportation contrevenant à un embargo des Nations unies sur les armes, ou si ils ont connaissance que celles-ci pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l'humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, se félicite de cette adoption.
Désormais, les dérogations pour permettre l'exportation des matériels militaires sont délivrés par le Premier ministre. Depuis l’an 2000, ce dernier remet  chaque année un « rapport » au Parlement qui ne précise ni le type ni les quantités d’armes livrées, ni à quelles fins elles sont utilisées : un dépliant à la gloire de l'industrie française de l’armement en quelque sorte.
Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle rapportent les maigres tentatives d’incitation à plus de transparence, de la part de quelques parlementaires plus ou moins entêtés. Ils racontent aussi comment François Hollande, en 2014, pressé par les alliés de la France au sein de l’Otan, a décidé, à contre-coeur, d’annuler la livraison de deux navires porte-hélicoptères à la Russie alors  que celle-ci venait d’annexer la Crimée. Ces bâtiments seront revendus à l’Égypte où le général Al-Sissi venait de prendre le pouvoir et de commettre des tueries, condamnées par les États-Unis qui suspendent leur assistance militaire, et le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne qui demande la suspension de toute livraison. D’autres contrats, représentant plusieurs milliards d’euros, seront signés, notamment pour vingt-quatre avions Rafale du groupe Dassault, qui n’avaient encore jamais été exportés.
La France vend également des armes à l’Arabie Saoudite qui a pris la tête, en mars 2015, d’une coalition pour mener une guerre au Yémen, où elles sont utilisées délibérément contre des civils. Le Premier ministre Manuel Valls défend cette décision au nom de la défense des entreprises et industries françaises qu’il serait « indécent » d’empêcher de commercer avec des pays certes « imparfaitement démocratiques ». Malgré la résolution adoptée par le Parlement européen, en février 2016, demandant un embargo sur les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, la France livrera pour 2,3 milliards d’euros, et acceptera d’autres commandes par la suite. Ainsi, malgré ses promesses de campagnes, la France redevient, pendant le quinquennat de François Hollande, le troisième plus important exportateur mondial d’armement. Alors qu’elles s’élevaient à 4,8 milliards d’euros en 2012, elles ont atteint 16,9 milliards en 2015.
Sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, le mensonge d’État va devenir « une espèce de discipline gouvernementale à part entière ». En octobre 2018, un rapport d’Amnesty International France accablant démontre que des armes vendues par la France ont servi à la répression sanglante de l’opposition égyptienne, et que les livraisons se sont poursuivies en sachant parfaitement que leur utilisation était en totale contradiction avec les engagements internationaux. Cette même année, un cabinet d’avocats, consulté par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) et Amnesty International France, prévient que la France s’expose à des poursuites notamment pour avoir « intentionnellement aidé ou assisté un gouvernement étranger à commettre un fait internationalement illicite », en l’occurence en livrant à l’Arabie Saoudite et à ses alliés, des armes utilisées au Yémen contre des civils. De même les entreprises françaises pourraient être poursuivies pour homicide involontaire et complicité de crimes de guerre. En dépit des multiples affirmations et démentis de Florence Parly, ministre de la Défense, elle, tout comme Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, était parfaitement informée, en particuliers par un rapport de la direction du Renseignement militaire daté de septembre 2018, que les armes livrées étaient utilisées au Yémen depuis 2015. En 2020, d’autres organisations ont remis un rapport de 350 pages à la Cour pénale internationale, documentant des frappes aériennes d’immeubles d’habitations, d’écoles, d’hôpitaux, de musées, au Yémen depuis 2015, impliquant des marchands d’armes français. Aucune réponse ni décision n’a, à ce jour, été apportée.
Entre 2016 et 2020, les exportations d’armes ont augmenté de 44% et au mois de mai 2021, l’Égypte a passé commande de trente nouveaux Rafale, pour 3,7 milliards d’euros, grâce à des prêts contractés auprès de banques hexagonales, garantis par la France à hauteur de 85% ! À peine élu, Joe Biden ayant décidé de suspendre les livraisons à destination des Émirats arabes unis, Emmanuel Macron compte se rendre prochainement dans la région pour récupérer des parts de marché.

Organisé en chapitre bref, cet essai ne noie pas ses lecteurs sous des torrents de chiffres (tableaux et graphiques sont regroupés en annexe pour ceux qui souhaitent plus de précisions), mais s’attache à démontrer la continuité de la doctrine française pour justifier le commerce de matériels militaires avec des régimes qui s’en servent contre des civils. Le cynisme comme raison d’État ! Ce réquisitoire est accablant. Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle contribuent à nous restituer notre à droit à savoir ce que l’État fait en notre nom.


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 

VENTES D’ARMES, UNE HONTE FRANÇAISE
Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle
194 pages – 14 euros
Éditions Le Passager clandestin – Paris – Septembre 2021
www.lepassagerclandestin.fr/catalogue/essais/ventes-darmes-une-honte-francaise/

 

Voir aussi :

LE MANIEMENT DES LARMES




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