4 mai 2022

LA POÉSIE SAUVERA LE MONDE

« La poésie sauvera le monde, si rien le sauve. Au reste, elle le sauve chaque jour de son indignité. » Considérant le « déni actuel de la poésie », le repli de poètes, intimidés et culpabilisés, « hors du champ historique, social et politique », Jean-Pierre Siméon ne revendique ni respect, ni bienveillance ou bienfaisance. Il entend restituer cette boussole à notre monde, comme position éthique autant qu’« état de conscience à vif », afin de nous libérer des représentations du réel et de nous montrer les voies d’une insurrection des consciences.

« La poésie relève d'abord dans un principe premier et fondateur d'incertitude. Elle est donc d'abord un scepticisme, je veux dire une quête de l'ouvert qui récuse l'immobilisation tant dans le pessimisme arrêté que dans l'optimisme béat. » « La poésie illimite le réel », réfute « toute clôture du sens que la langue opère en dénommant pour identifier ». Elle subvertit la langue commune, la charge d’intensité pour qu’elle livre autre chose que « le compte-rendu tautologique des évidences ». « Tout poème est un concentré d'humanité, qui révèle à chacun son altérité, c'est-à-dire son affinité avec l'autre et l'arrachant ainsi à sa petite identité personnelle de circonstance, le relie. La poésie est en quelque sorte un espéranto de l’âme humaine. » « C'est le gage d'une liberté irréductible que de ne pouvoir être assigné à résidence dans une identité close et grotesquement sinon violemment réductrice que le jeu social et surtout la logique d'un pouvoir qui a besoin d'ordre et de maîtrise pour s'exercer, imposent. »
« La poésie n’est pas un communiqué, elle n’informe de rien : elle interroge. » « Plus une société est antipoétique, plus la poésie devient l'argument théorique majeur de sa contestation. »
Si le poème dérange par son « étrangeté irréductible », lorsqu'il semble exiger un effort, celui-ci n’est jamais conceptuel, car il ne demande jamais que de l’attention. « Le poème, vecteur d'intensité, nous rebranche proprement à la vie quand, inversion paradoxale, être “connecté“ou, tiens, “branché“ (relié au récit-script de l’actualité), nous enferme dans des figurations apocryphes du réel. »
Dans une société soumise à la logique du divertissement, la poésie se définit comme un acte de conscience, une force d’objection, un acte de résistance contre l'oppression de l’imaginaire. À l’opposé d'un impératif de compréhension immédiate, totalisante et sans marge d’incertitude, par un lecteur passif qui ne comprend que ce qu'il sait déjà, un poème exige d'investir une polysémie infinie puisque augmentée des valeurs, de l’humeur, des attentes du moment de chaque lecteur, lequel doit être créateur de sens, co-créateur du poème. « La lecture active du poème ouvre et libère la conscience. Or la conscience libre fait le citoyen libre. Donc la poésie est la condition d'une cité libre. »
Bien que depuis toujours la raison d’être de la poésie soit de « donner à voir », elle est plus que jamais confrontée à la suprématie de la lecture du réel par l’image alors que celle-ci n’en livre bien sûr que la surface, qu’« un double spectral » : « la poésie est l’irréductible adversaire de la clôture du regard qu’organise la civilisation du divertissement » et « tout poème est un grain de sable dans les rouages de la grande machine à reproduire le réel tel qu’il est », qui fait appel à l’expérience sensible du monde, à la mémoire sensorielle du lecteur. « La poésie est la perpétuelle insurrection de la conscience contre l'oubli que l'homme fait de lui-même dans sa marche hâtive. C'est bien de cet oubli que le poème nous sauve quand il nous rappelle à l'ordre du sensible. » Jean-Pierre Siméon revendique la poésie comme « projet politique » parce qu’elle est capable de provoquer une subversion des représentations et un bouleversement de la conscience : une émotion, c'est-à-dire une « émeute intérieure qui emporte dans son élan les représentations fossilisées dans le concept et la convention ». Il incite, pour commencer, à l’usage de la métaphore.

 Ce réquisitoire contre « une langue asservie et appauvrie », cette « logorrhée organisée », est sans appel. Animé d’un sentiment d’urgence, Jean-Pierre Siméon brandit haut l’étendard de la poésie, en mode « défense et illustration ». « Vivre en poète sur la terre, ce serait simplement cela : lutter pied à pied contre les forces qui poussent à l'exil pour habiter la vie entière et lui demeurer fidèle jusqu'à la mort. Nous n'avons qu'une alternative : vivre chez Circé, en hommes-porcs, une vie morte, ou reprendre le grand large, êtres du désir invincible aimantés par l'ouvert et amants du plein vent. Vivre en poète et trouver le sens imprévu ou perdre bientôt notre humanité. »

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


LA POÉSIE SAUVERA LE MONDE
Jean-Pierre Siméon
98 pages – 15 euros
Le Passeur éditeur – Collection « Hautes Rives » – Paris – Mai 2015
www.le-passeur-editeur.com/les-livres/litt%C3%A9rature/la-po%C3%A9sie-sauvera-le-monde/

114 pages – 5,90 euros
Le Passeur éditeur – Collection « Le Passeur poche » – Paris – Mars 2017

www.le-passeur-editeur.com/les-livres/le-passeur-poche/la-po%C3%A9sie-sauvera-le-monde/



 

 

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