18 mai 2022

LES ZOOS DANS LES ALBUMS JEUNESSE

Le zoo est avant tout la confirmation éclatante de la grande rupture anthropologique qui nous a mené dans une impasse : les humains s’étant abstrait de la nature, la donnent à voir dans des cages, puis l’ayant détruite dans sa partie la plus « sauvage », prétendent ainsi la conserver.

Si le zoo pose déjà question en soi, sur la vision de la nature que nous souhaitons faire découvrir à nos enfants, ses diverses représentations dans les albums pour enfants interrogent tout autant. Nous en avons analysé quelques uns mais la première question à se poser reste quand de même : pourquoi lire un album sur les zoos à un enfant ?




CHEZ NOUS
Jin Joo et Jin Kyung
40 pages – 14,90 euros
Éditions La Joie de lire – Genève – Août 2021
www.lajoiedelire.ch/livre/chez-nous/
Initialement publié par Goraebaetsok, 2015
À partir de 5 ans ?

Un discret petit oiseau nous invite à visiter les demeures confortables et luxueuses des animaux du parc zoologique d’une métropole. Les petits plats ont été mis dans les grands pour que ceux-ci se sentent à leur aise : cocktails à volonté au bord de la piscine pour les éléphants, trône somptueux pour la famille lion et même un tapis de course pour le guépard ! Pourtant, comme tous le rappellent d’une même voix : « Chez nous, c’est ailleurs. » Deux rabats s’ouvrent alors sur une double page élargie, dévoilant une gigantesque savane désertée.
Telles des publicités mensongères, les illustrations somptueuses montraient un paradis qui se révèle être artificiel. Si le propos est plutôt bien amené, avec beaucoup de subtilité, laissant au lecteur sa nécessaire part d’interprétation, la chute reste quand même bien brutale et démonstrative. Dommage.




LA BALEINE QUI VOULAIT VOIR LA MER
Troy Howell et Richard Jones
40 pages – 12,95 euros
Éditions Kimane – Paris – Mai 2019
Titre original : Whale in a Fishbowl, Random House LLC, New York, 2018
À partir de 3 ans ?
 

Une baleine bleue ne connait que son bocal, dans lequel elle vit coincée au milieu de tout le reste, « les gens… stressés, impatients, tracassés. Les voitures… agglutinées, rugissantes, embouteillées ». Quand elle bondissait hors de l’eau, elle apercevait un paisible petit bout de bleu à l’horizon, par-delà les immeubles. Son coeur alors bondissait tout également sans qu’elle comprenne pourquoi.
Un jour, une petite fille lui expliqua que sa vraie maison n’était pas ici. Elle sauta alors plus haut qu’elle ne l’avait jamais fait, si bien que la page du livre doit se déplier pour suivre son mouvement. Comme quoi, montrer la liberté dans un album pour enfants n’est possible qu’en sortant du strict cadre de celui-ci.
Le jeune lecteur sera sans aucun doute en empathie avec l’animal prisonnier. Le ton juste et précis est servi par des illustrations qui jouent sur le contraste du bleu et du gris. La simplicité a parfois aussi du bon.




LE SINGE
Davide Cali et Gianluca Foli
Adapté de l’italien par Alain Serres
32 pages – 20,20 euros
Éditions Rue du monde – Voisins-le-Bretonneux  – Octobre 2013
www.ruedumonde.fr/
Titre original : La scimmia, ZOOlibri, Reggio Emilia, 2013
À déconseiller à tout âge.

 

Un jeune singe, enfermé dans la cage d’un zoo, rêve de devenir un humain. Il commence à comprendre ce que disent les visiteurs et découvre comment siffler comme un oiseau à l’aide d’une feuille. Remarqué, il est soustrait à sa captivité et va apprendre à jouer du saxophone.
De quelque manière qu’on le prenne, cet album est problématique. Littéralement, il pousse l’anthropomorphisme récurent en littérature jeunesse un peu loin : pour échapper à sa condition animale, il suffirait d’acquérir une conscience de soi – soit ! – et de « singer » les humains. Non seulement la condition humaine serait enviable mais elle serait même préférable. Si l’on suit la métaphore de l’ascension sociale, ce n’est guère mieux : Bruno – ainsi se nomme le primate – en arrive à ressentir du dégoût pour ses origines et sa famille. « Ils sentaient mauvais. Ils sentaient le singe. » Le cliché raciste du musicien de jazz assimilé à un signe est tout juste évité grâce au parti pris de l’illustrateur de représenter l’animal… en blanc !
Bref, si les illustrations sont magnifiques, l’histoire recèle d’ambiguïtés pour le moins troublantes.




L’ÉTRANGE ZOO DE LAVARDENS
Thierry Dedieu
72 pages – 18 euros
Éditions du Seuil Jeunesse – Paris – Octobre 2014
www.seuiljeunesse.com/ouvrage/l-etrange-zoo-de-lavardens-thierry-dedieu/9791023503029
 

Le vicomte de Lavadens, noble désargenté, eu l’idée de créer un zoo tout autour de son château, histoire de se… remplumer ! La confiance qu’il su gagner de ses pensionnaires, permit à ceux-ci de profiter librement du parc, chaque soir, une fois les visiteurs repartis, et même de mener une véritable… vie de château.
S’il se montre fort bienveillant avec eux, on notera toutefois de la part du vicomte une certaine constance dans ses penchants paternalistes, puisqu’on nous dit qu’il continue à « visiter “ses“ gens » bien qu’il les ait congédiés depuis longtemps. C’est finalement l’habituel argument du zoo éthique que l’auteur nous sert discrètement.
L’obligation faite aux animaux de se vêtir lorsqu’ils arpentent les pièces du châteaux, relève d’une anthropomorphisation forcée : ils doivent renoncer à leur animalité pour fréquenter les humains. Quand aux masques dont ils sont affublés par la suite, s’ils sont présentés dans le récit comme une revendication de leur part, on devine leur réelle justification : donner à voir des monstres et des chimères, pour relancer l’intérêt du public (et les affaires), ni plus ni moins !
Si les images sont splendides, cet album reste très dérangeant à plus d’un titre.




LA TRAVERSÉE DES ANIMAUX
Vincent Cuvellier et Brice Postma Uzel
32 pages – 19,50 euros
Éditions Gallimard jeunesse – Collection Giboulées – Paris – Septembre 2020
www.gallimard-jeunesse.fr/9782075116817/la-traversee-des-animaux.html

 

 Un ours, un hibou, un pingouin, un crocodile, une gazelle, une hyène, deux singes, trois loups, un vieil éléphant, un grand échassier, une belette et un porc-épic s’évadent du jardin zoologique de Moscou, en compagnie du garde et de l’âne qui leur apportait l’eau, la viande et le foin.
Ce récit annonce d’emblée son ambition : le retour à l’état sauvage. Pourtant il rate
complètement le coche, tout comme pour la plupart des sujets qu’il prétend évoquer mais ne fait qu’effleurer de façon sentencieuse : la rationalité des hommes est opposée à l’instinct des animaux (l’ours n’a pas de plan, il veut seulement sortir), la notion de liberté (« je crois que c’est exactement la même chose » affirme le pingouin), la fin de l’oppression (lors d’un discours de l'ours, directement inspiré d’un « homme, petit, moustachu, barbu, l’air complètement fou, qui piquait de sa petite voix pointue le cerveau des hommes »), contredite plus tard par le même qui avoue accepter « qu’on le mette en cage »... à condition qu’on le regarde ! Le retour à l’état sauvage n’est finalement présenté que comme une disparition de leur capacité de parler !
Peut-être l’auteur a-t-il envisagé une critique politique sous forme métaphorique, mais la seule référence historique claire reste plutôt le clin d’oeil  à la Bérézina de l’armée napoléonienne. C’est comme s’il s’était égaré dans sa logorrhée, sans parvenir à tenir un discours ni développer ses embryons d’idées : même avec la fin, il semble ne pas aller au bout de son intention et passer à côté ! La mise en abyme demeure purement gratuite. Si l’évasion réussit, elle manque toutefois le but annoncé.
Les illustrations de Brice Postma Uzel sauvent toutefois en partie le projet. Elles réjouiront le lecteur, hommage malin à Nathalie Parrain et aux constructivistes russes.

 

 

1 commentaire:

  1. Merci pour ce "dossier". L'analyse est clairvoyante, et le constat amer. Ce que nous faisons aux animaux, nous le faisons à nous-mêmes. En nos dehors, en nos dedans.

    RépondreSupprimer