17 octobre 2023

INSURGÉ·ES !

Le Musée-bibliothèque, devenu Musée d’art et d’histoire Paul Éluard de Saint-Denis, possède l’un des fonds majeur sur la Commune de Paris, enrichissant ses collections depuis la première exposition publique en France qu’il lui a consacré en 1935. Le catalogue de celle qui s’y est tenue il y a quelques mois, reprend le principe du parcours qui donne la parole à des historiens, des artistes, des témoins, et met en dialogue les documents de 1871 avec des regards contemporains pour souligner l’actualité des questionnements qui ont traversé cet événement.
Photos, gravures, affiches anciennes se mêlent ainsi à des documents plus récents, rejoignant l’intention d’Ernest Pignon-Ernest qui afficha d’immenses dessins de corps meurtris sur les marches du Sacré-Coeur à l’occasion de premier centenaire en 1971, ou du collectif Raspouteam qui colla en 2021 des clichés pris pendant la Commune, reproduits en grand format, sur les murs des lieux qu’ils représentent. Le manuscrit des derniers chapitres de L’Insurgé de Jules Vallès, retrouvé dans les années 1980 dans le fonds de la bibliothèque municipale, rencontre ainsi une photographie de Sergio Vega prise dans le Mato Grosso il y a une dizaine d’année, honorant « l’esprit révolutionnaire de ces jours mémorables où un groupe hétéroclite de gens de gauche s’était rassemblé pour revendiquer le droit de se gouverner eux-mêmes ». C’est l’essence même de ces événements qui ne cesse d’être interrogé et mis en résonance. Ainsi, l’historienne Michèle Riot-Sarcey, par exemple, rappelle qu’« en détournant imperceptiblement le sens des mots donné par les acteurs de l’histoire eux-mêmes, les fondateurs de la IIIe République substituèrent la démocratie républicaine dite représentative – fondée sur la délégation de pouvoir – à l’idée communaliste de République démocratique et sociale. La république tout court, ou chose publique, se délesta de la démocratie réelle, ou pouvoir du peuple, pour devenir le gouvernement de quelques-uns sur l’ensemble de la population. » L’attention portée aux individus qui l’ont vécu, célèbres ou anonymes, confirme cette volonté de présenter une histoire incarnée.

La place accordée aux mots ne cessent de multiplier les points de vue pour ne jamais laisser le lecteur/visiteur à sa seule contemplation, puisqu’il s’agit de l’inviter à ne pas s’en tenir à la seule immersion historiographique mais à considérer sans cesse l’actualité brûlante des questionnements d’alors. Car, si « au yeux de [Walter] Benjamin, l'essentiel est que la Commune “met un terme à l'illusion selon laquelle la tâche de la révolution prolétarienne serait d'achever l'œuvre de 1789, en étroite collaboration avec la bourgeoisie. […] la bourgeoisie n'a jamais partagé cette erreur“. La Commune, héritière de 1793, fait partie de ces moments qui rompent le continuum de l’histoire, de ces “constellations où l'Autrefois et le Maintenant se rencontrent“ et qui rouvrent le cours du temps. »

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier



INSURGÉ·ES !
Anne Yanover et Laure Godineau
96 pages – 12 euros
Coéditions Libertalia et Musée d’art et d’histoire Paul Éluard de Saint-Denis – Montreuil – Décembre 2022
editionslibertalia.com/catalogue/coeditions/insurge-es-commune-1871



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