Auteur d’une thèse sur le Larzac (que nous lirons et chroniquerons prochainement), puis d’une bande dessinée sur l’histoire de cette « lutte paysanne », Pierre-Marie Terral, rencontré récemment, a accepté de répondre à quelques questions.
Ernest London : Partie de la défense de la propriété privée, la lutte des paysans du Larzac est devenue clairement antimilitariste et anti-étatique, revendiquant différentes formes d’autogestion. Qu’en est-il de cet héritage, sur le Larzac et dans la région ?
Pierre-Marie Terral : La lutte des paysans du Larzac s’est construite en réaction aux décisions de l’État, mais aussi en anticipant pour déjouer la volonté d’expropriation. Face aux interdictions de travaux et au gel des permis de construire, le mouvement du Larzac décide de réaliser ses projets et de bâtir collectivement et sans autorisation, jusqu’aux réseaux téléphoniques, sans oublier de développer les GFA (groupements fonciers agricoles). Il en résulte en 1981, une fois la victoire acquise, à la fois un difficile retour à la « légalité » ( dossiers administratifs, impôts…) et une volonté farouche de rester acteurs de leur territoire. La création en 1985 de la Société civile des terres du Larzac (SCTL) office foncier géré par la communauté d’habitants renouvelée de nouvelles arrivées est un élément clé.
Ernest London : Tu montres une très grande diversité parmi les opposants à l’extension, du camp militaire du Larzac, très loin de l’image réductrice qu’on en donne habituellement. Tu vis près de Rodez, à 90 km du plateau, où ta bande dessinée semble avoir rencontré un accueil enthousiaste et presque unanime. Cette lutte paraît désormais appartenir à la mémoire locale, au « patrimoine immatérielle ». Pour autant a-t-elle été dépolitisée, répondant peut-être à un besoin des Aveyronnais d’affirmer leur caractère déterminé, leur indépendance par rapport à un pouvoir central ? Ou bien cela correspond-il finalement au dépassement (relatif) des clivages initial ?
Pierre-Marie Terral : Lorsque j’ai grandi dans ce même département, cette lutte était en voie d’effacement. En 2011, le film « Tous au Larzac » de Christian Rouaud a contribué à la redécouverte et certainement également peut-être participé à cette image de beau combat dans un superbe paysage. Je ne nie pas que la bande dessinée puisse agir de la même façon, même si tel n’est pas l’objectif. Dans le département, où les élus conservateurs sont toujours majoritaires (conseil départemental, parlementaires…), le Larzac a toujours eu mauvaise presse dans les années 1980, 1990 et 2000, José Bové semblant cristalliser sur sa personne le rejet d’une personne allogène, bien qu’installé définitivement en 1976. L’arrivée de la légion étrangère au camp du Larzac en 2016 a été vue comme positive par les élus et une partie semble-t-il importante de la population, sensible à la manne économique. Ainsi, cette lutte, à mesure que son souvenir s’efface, devient peut-être plus « consensuelle », y compris en Aveyron qui n’échappe pas à un brassage plus important de sa population, mais je crois surtout qu’elle répond davantage aux préocuppations actuelles (difficultés du monde agricole, dérèglement climatique…).
Ernest London : Quelles leçons cette histoire d’une résistance paysanne peut-elle apporter aux luttes actuelles ? On a vu comment la gestion collective des terres a été empêchée à Notre-Dame des Landes par une obligation de déclarations individuelles. Les Soulèvements de la Terre ne se réclament pas de la non-violence mais proposent et mettent en œuvre un « désarmement » (symbolique) des industries polluantes. La notion de non-violence a-t’elle évoluée (de plus en plus « désarmée » par les discours dominant) ou bien un changement idéologique a-t-il bien eu lieu (entérinant l’impuissance des méthodes « traditionnelles ») ?
Pierre-Marie Terral : À chaque fois que je suis allé dans une ZAD, de Sivens à Notre-Dame-des-Landes, de Roybon à Bure, le mot « Larzac » a le plus souvent constitué un laisser-passer. Sans qu’il s’agisse d’un modèle, ce combat est un exemple de construction collective durant 10 ans. Sur le plateau même, la génération des installés durant la lutte et « néos » venus après, la génération porteuse des combats de la Confédération Paysanne (OGM, mobilisation contre l’OMC donnant lieu au démontage du Mc Donald’s de Millau), a évolué vers une « non-violence active », tout en assumant les actes commis à visage découvert avec des poursuites en justice faisant partie de l’action politique et de sa médiatisation. De nombreuses luttes actuelles, confrontées aux mêmes problèmes, redécouvrent des formes d’action similaires, celles-ci étant en permanente réinvention.
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