8 octobre 2024

COMMENT LES RICHES RAVAGENT LA PLANÈTE

Adaptation en bande dessinée et actualisation d’un ouvrage paru en 2007, qui n’a rien perdu de ses vertus pédagogiques, au passage. 

Cette forme pousse Hervé Kempf a faire preuve d’encore plus d’esprit de synthèse. Ainsi, l’histoire de l’humanité, de l’apparition de l’agriculture à la révolution industrielle, nous est-elle racontée sur les couloirs du métro où Juan Mendez place ses dessins (entre deux publicités pour des produits de luxe). Pour donner une pleine perception des amplitudes, le décor est lui aussi utilisé : si la courbe qui suit l’évolution des émissions de CO2 commence sur la bibliothèque du salon, elle se poursuit, au XXe siècle, sur la façade de l’immeuble. L’utilisation d’une baignoire permet de comprendre on ne peut plus clairement quel est le volume d’émission maximum pour limiter le réchauffement à 1,5°, mais aussi que le rythme du ralentissement nécessaire n’est pas simple à obtenir (surtout quand, en réalité, son augmentation se poursuit !) : on ne coupe pas un robinet d’un coup. Si cette préoccupation majeure occulte trop souvent l’effondrement de la biodiversité, celui-ci est ici, rapidement mais tout aussi efficacement, évoqué.


Les arguments des « négationnistes » de tout poil (de Trump à Sarkozy, en passant par Jancovici, n’en déplaise à son fans club) n’ont pas besoin d’être analysés : une citation bien choisie suffit. La question écologique rejoint alors la question sociale, avec l’augmentation record des inégalités. Si, jusque dans les années 1980, celles-ci ont diminué, grâce à des impositions des hauts revenus qui paraîtraient aujourd’hui scandaleuses (de 50 à 80%), elles n’ont cessé, depuis, de s’accroitre, avec s’extension de la mondialisation à l’ensemble de la planète, à l’intérieur des pays tandis que la différence entre ceux du Nord et du Sud diminuait. Les hyper-riches, ceux qui gagnent plus de 81 000 euros par mois, représentent 6 500 personnes en France, soit 0,01% de la population, et 80 000 dans le monde.
Pour expliquer leur responsabilité, Hervé Kempf en appelle à Thorstein Veblen (1857-1929), économiste américain qui théorisa la rivalité ostentatoire, à partir du potlatch pratiqué par les peuples amérindiens. Une jeune chercheuse, Ashley Mears, a montré comment les clients des « boîtes de nuit pour gens très riches », rivalisent en gaspillant plus de champagne que leur voisin. Dans chaque classe sociale, il y a rivalité pour se distinguer des autres membres, en imitant ceux de la classe supérieure, qui, en définitive, « déterminent le mode de vie idéal dans une société donnée », lequel relève essentiellement du gaspillage. Comme le résume parfaitement la chercheuse Beatriz Barros : « Tant que les milliardaires sont érigés en modèle de réussite, ils sapent le consensus nécessaire pour éviter la catastrophe climatique ». 



Loin d’entendre les conclusions des études scientifiques, de reconnaître leurs responsabilités et de renoncer à leur consommation, tous croient en une solution magique et technologique, qui, quelle qu’elle soit, ne sera pas opérationnelle demain, sans aucune certitude pour après-demain, et impliquera encore plus de destructions pour obtenir toujours plus de matériaux. Ceci leur permet toutefois de fabriquer « un futur en intégrant la catastrophe écologique ». L’auteur dénonce l’idéologie de certains d’entre eux,  s’autoproclamant « surhommes », rompant avec l’idéal humaniste et universaliste : « Ces gens veulent éteindre les Lumières, celles allumées par Voltaire et Rousseau. »
Face à la guerre menée par les capitalistes, contrôlant la politique par un régime oligarchique, très habillement maquillé en démocratie, et les contestations par une fuite en avant sécuritaire, Hervé Kempf prévient que le changement ne se fera pas tout seul. Si Thomas Piketty pense que les transformations institutionnelles peuvent être imposées par des mobilisations démocratiques et sociales, l’historien Walter Scheidel rappelle cependant que « la démocratie n'est jamais parvenue à atténuer les inégalités ». Dès lors, l’auteur suggère, en définitive, un vaste éventail stratégique allant de  l’écologie politique au sabotage, sans oublier l’expérimentation post-capitaliste.
Le parti pris humoristique de l’illustrateur contribue certainement à rendre le propos moins pesant. On reconnait, ici ou là, des photos emblématiques ayant inspiré quelques un des dessins les plus forts : ces golfeurs impassibles devant l’incendie de forêt, par exemple.

Hervé Kempf réussit brillamment la jonction entre la lutte des classes et la lutte environnementale. Bien que traduit en une douzaine de langues, l’ouvrage initial n’a pas su changer le cours des choses. Peut-être cette BD, en décuplant encore son lectorat, parviendra-t-elle à atteindre un point de bascule dans l’opinion. Un appendice en forme de tutoriels pour activistes serait alors le bienvenu, à l’instar de cette discrète méthode pour dégonfler (sans risque) les pneus des SUV.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 


 

COMMENT LES RICHES RAVAGENT LA PLANÈTE
Et comment les en empêcher
Hervé Kempf et Juan Mendez
128 pages – 20 euros
Éditions du Seuil – Paris – Septembre 2024
www.seuil.com/ouvrage/comment-les-riches-ravagent-la-planete-herve-kempf/9782021552508


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1 commentaire:

  1. Coucou ! Merci pour cette chronique, je ne connaissais pas cet ouvrage. Je trouve que ces dernières BD il y a des BD de non-fiction/documentaires qui sont tout simplement incroyables !!

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