À partir des concepts forgés par les situationnistes (spectacle, aliénation, séparation), ce texte propose une analyse des symptômes d’une société régie par la valeur et la domination. Il encourage à déserter le travail et l’aliénation spectaculaire.
Marx, dans la perspective de l’émancipation du genre humain, a identifié et critiqué la forme dominante et déterminante de l’aliénation des temps modernes : le capitalisme. Depuis, l’argent a gagné tous les esprits, l’économie s’est imposée « et la terre se consume sous les feux de l’artifice ». « La destructivité du capitalisme n'est pas accidentelle, ou périphérique, ou seulement sociale ou seulement écologique ; elle est ontologique ; elle s'étend à tout ce qui touche et transforme l'argent : qu’il s'agisse de la nature ou de l'agir humain. » En même temps, Marx avalise « le rationalisme réductionniste de la science séparée » et « la vision choisifiée de la nature qui en découle », la « chosification dominatrice de l'autre (la nature, les femmes, les travailleurs) et « la “justification“ de son exploitation, au fondement originel de la valeur ». Il place l’aliénation au centre de son étude de la dépossession économique, comme perte de liberté : « Je ne peux posséder qu’en me dépossédant de l’autre et des autres/en dépossédant l’autre et les autres ».
Les situationnistes refusèrent ce monde « résultant de la falsification universelle s’étendant à grande vitesse à toute réalité, falsification qu’ils définirent comme spectacle ». « Le spectacle, ce sont tous les procédés illusionnistes qui transforment les objets, les choses et les situations en marchandises afin de les rendre désirables seulement en tant que marchandises. » Pour échapper à la conscience de sa misère existentielle, le spectateur doit devenir un arriviste, parvenir à « incarner la fausse conscience satisfaite ». Son aliénation relève de la servitude volontaire.
L’observatoire situationniste regrette que depuis 1967, date de parution de La Société du spectacle de Guy Debord, la critique radicale se soit dispersée, analysant les rouages de la fabrication de celle-ci, mais en perdant un point de vue unitaire. « Puisque nous vivons dans la société du spectacle, et qu’elle produit industriellement hypnose, fétichisme, passivité, sur fond de falsification de tout, il est nécessaire de subvertir les normaux ; déstabiliser les bonnes et les fausses consciences, détecter leurs failles et contribuer à aider les regards de ceux qui ont assez dormi à supporter à la fois la poussière laissée par les marchands de sable et la lumière qui cherche encore son siècle. » La « civilisation industrielle » est le moyen de cet asservissement et une société de spectacle durable serait encore plus mensongère. « Le greenwashing fonctionne comme une idéologie, au sens de Marx : ce n'est pas tant un mensonge délibéré qu'un phénomène structurel d'inversion de la réalité dans la conscience commune. »
Les auteurs considèrent et regrettent que « les situationnistes restaient prisonniers du schéma marxiste d’un développement en soi positif des techniques, qu'il s'agissait seulement de libérer d'un asservissement à la domination en les détournant vers un usage créatif maîtrisé par tout un chacun. » Ils précisent toutefois que « ce n'est pas la technique qui aliène, c'est l'aliénation qui s'est équipée techniquement ». Plutôt qu’industrielle, ils soutiennent que cette société est technologique, c’est-à-dire artificielle. Dés lors, le premier démantèlement à mener est celui « du faux en tant que tel dans toutes les têtes ». Citant tour à tour Aristote, Ellul, Mumford, Anders, ils expliquent que le problème est la domination du savoir sur le faire, explorent « le fondement idolâtre de l’idéologie du progrès », suggèrent de freiner « toutes les industries ne répondant pas à des besoins fondamentaux », en attendant de trouver des alternatives non industrielles et de les liquider. Les bases de l’ingénierie des machines subsistantes seraient rendues accessibles à tous, en vue de leur appropriation théorique et pratique.
Le langage du spectacle est également évoqué, « perpétuel éloge de l’image », réduction de l’universalité des significations pour « générer des apartés qui formeront ensuite un vaste apartheid linguistique ». « Cet alignement du langage sur les lois du spectacle rend comique, ou insupportable toute tentative d'entrer dans la nuance et la complexité, ce qui doit achever de mettre l'intelligence au chômage. »
L’observatoire situationniste propose ensuite d’élargir la question de la valeur au-delà du seul angle économique, critiquant l’obstination de Marx à démontrer son lien avec le travail et le scandale de la confiscation de la part de « richesse » produite par le travailleur, alors que « seul l’argent est la valeur ». C’est le commerce qui crée la valeur, aucunement le travail. Le don, « pratique anéconomique », a été remplacé par le commerce qui ne se soucie que de ses intérêts, aliénant les choses, les êtres et leurs relations. « L'essence de l'argent est l'annexion du monde par les riches » car si l’eau devient rare, ceux-ci croient avoir légitimement le droit, parce qu’ils la payent, d’en posséder, d’en user, d’en abuser. « La légitimité est tout entière annexée par la légalité économique. »
La révolution se fera par l’instauration naturelle de la grève sauvage : « Pour que la joie demeure et soit partagée […] nous n’iront plus au chagrin. »
Les auteurs dénoncent également « un certain essentialisme » qui, sous prétexte de libération des « hommes » et des « femmes » des stéréotypes, les enferme dans leur détermination biologique. Si celle-ci ne peut pas déterminer « ce que nous ressentons », elle ne peut pas non plus nier la dimension biologique. Pour être en accord avec sa totalité, il faut « s’accorder à soi à travers un périple d’émancipation personnelle radicale », de tous les stéréotypes, échapper aux rôles que cette société impose, à « la prégnance de l’apparence sur la construction identitaire ».
L’absence de domination permettra à l’anarchie de refleurir. « L'anarchie n'est rien d'autre que la nostalgie tournée vers le présent de la vie qui recommence à chaque instant. »
Salutaire expérience de réactualisation des outils conceptuels pour armer les esprits critiques.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
REMÈDE À TOUT
(de la nature exacte de l’aliénation planétaire et de comment y remédier)
Observatoire situationniste
144 pages – 15 euros
Éditions Quiero – Forcalquier – Novembre 2024
www.quiero.fr/spip.php?article353
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