19 mai 2025

PARCOURS

Dernier des treize enfants d’un couple d’ouvriers, Georges Navel (1904-1993) raconte son enfance en Lorraine, notamment la période de la Première Guerre mondiale alors que le front est proche de leur domicile. À 12 ans, il remplit et signe seul le formulaire de la Croix-Rouge pour être évacué en Algérie, et voir du pays.

Il raconte leur vie quotidienne, les déboires professionnels des unes et des autres, leurs déménagements, sa détestation des prêtres depuis que l’un d’eux l’avait giflé alors qu’il avait 7 ans, l’influence de son frère Lucien, « prolétaire conscient » et antimilitariste. Enthousiasmé par son livre d’Histoire, la déclaration de guerre en 1914, lui fait « l’effet d’une miraculeuse surprise », alors qu’il pensait être né trop tard. Elle lui parait pourtant moins gaie lorsque les tranchées se fixent à quelques kilomètres. Il entend des soldats accuser les capitalistes d’être « les vrais responsables de la guerre ». Certains prennent leur popote à la maison pendant quelques mois. Il rapporte très brièvement son séjour en Algérie, puis son retour à Lyon où sa famille s’est finalement réfugiée et où il intègre une « école libre ». Pour fuir le catéchisme et l’enfermement il convaincra son père de le laisser entrer en atelier et enchaîne dès lors les boulots. Il suit aussi son frère Lucien aux réunions de l’Union des syndicats, dévore bouquins et journaux, écoute, observe, discute et s’interroge : « Je ne parvenais jamais à croire fermement à la possibilité immédiate du communisme libertaire. Dans une société sans contrainte où l'argent cesserait de régler les rapports économiques, je me demandais si les trains arriveraient à l'heure quand les mécaniciens seraient libres de travailler selon leur bon plaisir. » Il confit aussi ses désillusions, son refus « de vieillir comme l’âne, en poursuivant une carotte ou des chimères, et dans une vie privée de sens, de faire carrière bourgeoise ou de bon travailleur jusqu’à la retraite et le ramollissement », sa tentation pour le suicide. Il fréquente un peu la colonie naturiste de Bascon, près de Château-Thierry, où son frère René s’est installé, découvre Paris, passe de poste en poste, retourne en Lorraine, se fait réformer par le conseil de révision : « Je contenais trop de bonheur pour vivre à la même place. » Il cherche à rejoindre les tribus insoumises du Maroc pendant la guerre du Rif en franchissant clandestinement la frontière espagnol mais s’arrête dans les Pyrénées où il trouve du travail. Avec des envies d’Amérique du Sud, il part pour la Côte d’Azur où il passe de chantier en chantier, nourri de Gorki, Panaït, London : « Vagabond l'homme qui voyage en gagnant sa vie, touriste le monsieur qui va où le mène sa curiosité avec les moyens d’un compte en banque. »

À 22 ans, il est déclaré « bon pour le service », s’échappe et doit vivre désormais discrètement, à l’écart de l’action politique et finit par se rendre aux autorités, après 7 ans d’insoumission, pour régulariser sa situation. En 1936, il obtient son passeport pour l’Espagne où il veut « prendre part aux luttes de barricades ou au travail dans la nouvelle vie » et arrive à  Barcelone. Engagé volontaire, il s’inquiète de l’absence de commandement : « je veux bien mourir mais utilement, combattre mais dans une action dirigée, sentir la présence d'un chef ». Comme beaucoup d’évocations, celle-ci sera brève. Malade, il est évacué et on le retrouve en 1939 à Fréjus. Puis il est mobilisé avant d’être affecté dans une usine d’armement en région parisienne, avant que les machines ne soient déménagées dans les Pyrénées, tandis qu’il se réfugie dans la montagne de Lure. « Même passagère, la position de spectateur est intolérable. Il faudrait fuir, toujours fuir comme avant vers l'amitié, l'amour, les livres, la musique si je l'aimais, Dieu si j'y croyais, s’abolir, être absent et pacifié. J'attrape par-là un mal de vivre qui me semble irréductible à tout ce qu'on pourrait garder de force d'utopie. Et j'en ai, n'en doutez pas. »


La frustration provoquée par la brusque interruption de nombreux épisodes n’enlève rien à la cohérence et à l’interêt de l’ensemble. Autodidacte très tôt conscientisé, Georges Navel se sert du fil autobiographique pour évoquer avant tout, et avec une grande force, sa condition ouvrière (et aussi paysanne). Ses souvenirs sont la matière première avec laquelle il compte éveiller ses lecteurs, mieux qu’il n’a pu le faire avec Sylvie, cette jeune femme avec laquelle il a partagé quelques années, et auprès de laquelle ses arguments s’essoufflaient.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



PARCOURS

Georges NAVEL

240 pages – 13 euros

Éditions Gallimard – Collection « L’imaginaire » – Paris – Février 2025

www.gallimard.fr/catalogue/parcours/9782073088413

Première édition : 1950


Du même auteur :

Contact avec les guerriers 

PASSAGES

PRÈS DES ABEILLES

(Recensions à venir)



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