Il reproche aux progressistes leur « sentiment d’infériorité » : autodépréciation, sentiments d’impuissance, tendances dépressives, défaitisme, culpabilité, haine de soi, etc. Ils n’ont pas confiance en leurs propres capacités et demandent à la société de résoudre les problèmes des individus. Ils préfèrent rendre la société responsable de la disparité entre les individus et rejettent les explications génétiques des capacités ou du comportement humains parce qu’elles font apparaître des inégalités entre les gens. De plus, ils manifestent une agressivité importante et un goût certain du pouvoir. Ils ne sont pas les révoltés qu’ils s’appliquent à paraître car ils s’efforcent continuellement de penser, ressentir et agir selon les règles de la société et souffrent de cette « sursocialisation ».
Les êtres humains ont un besoin d’ « auto-accomplissement », dont le processus comporte quatre composantes : un but, un effort, une réalisation et, moins identifiable, l’autonomie. « Dans la société industrielle moderne, la satisfaction des besoins matériels ne requiert qu’un minimum d’efforts. Il suffit de suivre une formation qui dispense un petit savoir-faire technique, puis d’arriver à l’heure au travail et de déployer le peu d’effort nécessaire pour conserver ce travail. Une intelligence moyenne et, par-dessus tout, la soumission : voilà tout ce que la société demande, ensuite de quoi elle prendra soin de vous, depuis le berceau jusqu’à la tombe. » Les gens ne satisfont plus leur besoin biologiques de façon autonome mais « en fonctionnant comme des rouages d’une énorme machine sociale ». C’est pourquoi la société moderne est encombrée d’ « activités de substitution », afin de diriger les gens vers un but artificiel à poursuivre, grâce à la publicité et au marketing notamment, et, surtout, pour qu’ils retirent un « sentiment de réalisation » de ces activités dans lesquelles ils conservent une grande autonomie. L’autonomie, élément constitutif de l’auto-accomplissement, n’est pas forcément indispensable à tous, mais nécessaire à beaucoup, dans la poursuite de leurs buts et l’acquisition de l’estime de soi, la confiance et le sentiment de puissance. Parce que la société moderne a perturbé le processus permettant aux gens de mener à bien leur auto-accomplissement et que les formes d’auto-accomplissement artificielles sont pour beaucoup insuffisantes, elle a engendré des problèmes sociaux et psychologiques.
La liberté, c’est « la possibilité de mener à bien le processus d’auto-accomplissement, avec des buts réels et non pas artificiels comme ceux des activités de substitution », c’est disposer de la maîtrise « des questions vitales de sa propre existence », c’est avoir le pouvoir « de dominer ses conditions de vie ». « Le degré de liberté de l’individu est davantage déterminé par la structure économique et technologique d’une société que par ses lois ou son organisation politique. » Des droits constitutionnels ne sont pas suffisant pour garantir une société libre.
Une société étant un système complexe dans lequel toutes les parties sont en corrélation, il n’est possible de changer une partie importante de manière durable sans que les autres ne soient également changées. Un petit changement de saurait suffire. Les conséquences sont difficilement prévisibles, c’est pourquoi une nouvelle forme de société ne peut être projetée sur le papier et échappe au contrôle rationnel. De plus, la société industrielle-technologique se renforce constamment en limitant la liberté individuelle, en contraignant les gens « à adopter des comportements de plus en plus étrangers au comportement naturel de l’homme ». C’est pourquoi, « pour modifier durablement le cours de la vie sociale dans n’importe quel domaine important, une réforme est insuffisante : il faut une révolution. »
Une nouvelle technologie peut sembler au départ inoffensive et être souvent l’objet d’un choix mais elle transforme ensuite la société de manière à ce que les gens se trouvent contraints de l’utiliser. Le système technologique ne peut que se développer toujours plus, et la liberté sans cesse reculer. Pourtant, au cours des prochaines décennies, il subira des tensions considérables liées aux problèmes écologiques et économiques, qui pourront l’entraîner à sa perte ou l’affaiblir suffisamment pour qu’une révolution soit victorieuse.
La société moderne, plutôt que d’abolir les conditions de désagrégation sociale, préfère neutraliser les individus avec des antidépresseurs et des psychotropes, l’industrie du divertissement et l’éducation. Le contrôle technologique des individus, introduit progressivement comme « solution rationnelle » aux problèmes, pourrait supprimer les limites de l’endurance humaine qui restreignait son développement, et s’installer sur la presque totalité des comportement humains afin d’assurer sa propre survie. Sinon, le système s’effondrera, laissant à l’humanité une nouvelle chance.
Theodore Kaczynski conclut son analyse par une claire incitation : « Nous devons tout d’abord travailler à aiguiser les tensions sociales afin de précipiter l’effondrement du système ou, en tout cas, l’affaiblir suffisamment pour qu’une révolution devienne possible. Il est nécessaire ensuite de développer et de propager, en prévision d’un moment où le système sera suffisamment affaibli, une idéologie opposée à la technologie et au système industriel. » Comme toute révolution a deux ambitions, détruire la forme ancienne de la société et en construire une nouvelle, il propose « la Nature comme idéal positif », la nature sauvage, « tout ce qui de la vie sur Terre ne dépend pas de la gestion humaine et qui échappe au contrôle de la société organisée ». « La Nature est un contre-idéal parfait à la technologie. » « Pour la sauver, il n’est pas nécessaire de fonder une quelconque utopie chimérique ou un nouvel ordre social. La nature prend soin d’elle-même : c’est une création spontanée qui existait bien avant l’homme, et pendant de nombreux siècles des sociétés variés ont coexisté avec elle, sans trop l’endommager. » Dans la société qui émergera des ruines du système industriel, les gens vivront proches de la nature et l’autonomie locale augmentera. L’idéologie révolutionnaire devra être présentée de façon plus ou moins élaborée selon à qui elle s’adresse. « L’Histoire est faite par des minorités agissantes et déterminées, non par la majorité, qui a rarement une idée claire et précise de ce qu’elle veut réellement. » Il conseille aux révolutionnaires d’éviter d’assumer le pouvoir pour que les privations à venir soient attribuées à l’échec du système industriel et non à leur politique. « La révolution doit être mondiale. Elle ne peut pas s’accomplir sur une base nationale. » « Tant que le système industriel n’est pas entièrement anéanti, sa destruction doit être l’unique objectif des révolutionnaires. Tout autre but risquerait de leur faire gaspiller leur énergie et détourner leur attention du but principal. » Il met également en garde les révolutionnaires contre une collaboration avec les progressistes qui, lors des révolutions passées, les ont trahis et se sont emparés du pouvoir. De plus « l’idéologie progressiste est totalitaire. Partout où le progressisme est en position de force, il cherche à envahir le monde recoin de la vie privée et à modeler toute pensée. »
Nous nous attarderons peu sur la personnalité et le destin de l’auteur qui n’ont que trop occulté le contenu de son texte pour laisser le lecteur seul, en tête à tête, avec celui-ci. Radical !
LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE ET SON AVENIR
Theodore Kaczynski
130 pages – 7 euros
Éditions de l’Encyclopédie des nuisances – Paris – Janvier 1998
L’AVENIR DE LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE précédé du MANIFESTE DE 1971
Theodore Kaczynski
215 pages – 18,30 euros
Éditions Climats – Paris – Octobre 2009
130 pages – 14 euros
Éditions Libre – Paris – Septembre 2022
www.editionslibre.org/produit/manifeste-la-societe-industrielle-et-son-avenir-theodore-kaczynski-edition-revisee/
Paru initialement le 19 septembre 1995 dans The New York Times et The Washington Post
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