La Révolution française inscrit l’éducation « publique » et « nationale » dans ses préoccupations. Lepeletier de Saint-Fargeau propose alors de « former des hommes, propager des connaissances » dans une école « commune à tous et universellement bienfaisante ».
L’enseignement primaire national est mis en place en 1833 sous Guizot et la gratuité pour les plus pauvres existe depuis 1816. Avec Jules Ferry l’école est soustraite au clergé : la laïcité la connecte au projet républicain. Ses lois de 1881-1882 officialisent une école à deux vitesses : un système gratuit accessible à tous les enfants jusqu’à 13 ans et un système socialement sélectif, payant, de « lycées » qui comportent des petites classes. « L’école de la IIIe République n’est donc pas une école unique, c’est une école des masses qui institutionnalise une sélection sur critères sociaux et maintient les privilèges d’une classe dominante. »
Jean Zay, ministre du Front populaire, tente une première harmonisation des filières, en supprimant l’enseignement élémentaires des lycées (payant).
En 1947, Paul Langevin et Henri Wallon impulse un vaste élan de démocratisation avec leur plan, figurant au programme du CNR, prévoyant d’imposer l’école unique, la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans, un élargissement du recrutement et une uniformisation du corps des enseignants. S’il resta lettre morte, il constitua pendant vingt ans la référence majeure. Nombre de réformes en découlent : le collège unique en 1975, le Bac professionnel en 1985, etc.
Dans les années 1980, la thèse de la « crise de l’école » installe dans l’espace public des oppositions et des notions caricaturales : pédagogie contre connaissances, méthode globale contre syllabique, l’instruction contre l’éducation, le niveau qui baisse, la perte d’autorité. « Les pédagogues deviennent les saboteurs de l’école. »
Les réformes actuelles font entrer l’école « dans l’ère de la contre-démocratisation scolaire », privilégiant les élèves des familles les plus favorisées qui compenseront « les méthodes de gavages » par une ouverture culturelle et auront préparé leurs enfants aux apprentissages scolaires :
- Méthodes de lecture et de mathématiques pour le cycle élémentaire, confisquant l’expertise pédagogique des enseignants « au nom d’une déférence absolue, pour ne pas dire béate, aux neurosciences et sciences cognitives ».
- Réécriture des programmes du lycée professionnel en deux mois au lieu de deux ans et demi précédemment.
- Ceux de maternelles pourraient se résumer aux apprentissages dits « fondamentaux » au mépris des apprentissages de la socialisation, du jeu et de la construction d’un rapport progressif aux apprentissages scolaires.
L’idéologie néolibérale semble avoir installé ses évidences jusque dans les écoles et recoupe désormais « la fameuse méritocratie républicaine : amener les individus à sortir de leurs zones de confort et à se surpasser, jouer de la concurrence, classer, hiérarchiser, récompenser et sanctionner les plus rétifs. La méritocratie relève du mythe de l’égalité des chances offerte aux enfants. En réalité, elle « instaure des inégalités perçues comme justes par les enfants en échec, et par leurs parents, puisqu’ils ont intériorisé que l’école leur donnait les mêmes chances qu’aux autres. » La note est son « outil de base », conçu comme instrument de classement. « La note est la monnaie de l’école et sa valeur n’est fonction que de l’organisation de l’économie scolaire. La note est donc la valeur attribuée à un travail fourni en contexte concurrentiel. » Les élèves qui s’en sortent, sont « ceux qui se conforment le plus aux attendus d’un système scolaire qui leur est familier », ceux-ci se transmettant héréditairement et assurant « la perpétuation d’un système scolaire qui assigne à résidence sociale ses participants ».
L’école n’est pas la source unique de la reproduction des inégalités sociales mais celles-ci se reproduisent « malgré » l’école. Les gouvernements successifs, depuis trente ans, n’ont pas su remédier à ces effets structurels, faute d’avoir su trancher entre l’accompagnement individuel et la compensation collective, nourrissant une défiance vis-à-vis de l’école publique et servant la cause de ceux qui souhaitent s’en débarrasser.
Laurence De Cock reproche aux partisans de l’école à domicile de nier « l’idée d’une société solidaire unie par et pour le politique, selon un contrat démocratique tacite : je dois la possibilité de mon existence comme sujet politique à la tienne, et inversement ». « Soustraire un enfant à l’école publique sans autre raison que nos propres frustrations sur la lenteur de ses progrès, c’est contribuer – même à son corps défendant – à la démanteler toujours un peu plus en occultant l’intérêt du plus grand nombre. » Avant de passer en revue quelques pédagogies alternatives, elle fixe une ligne de démarcation entre celles dont la finalité est la transformation sociale et celles qui sont focalisé sur le bien-être de l’enfant. La plupart des écoles qui les mettent en place sont privés, hors contrat et demandent jusqu’à la moitié d’un Smic mensuel pour une inscription.
Maria Montessori a développé une pédagogie axée sur la manipulation d’objets facilitant les apprentissages notamment de la lecture, de l’écriture et des mathématiques. Elle s’adressait au départ aux enfants considérés comme « attardés ». Elle s’est opposée à Célestin Freinet à propos de la condamnation des dictatures allemandes et italiennes au nom de la neutralité des enjeux éducatifs (mais surtout pour pouvoir poursuivre ses activités en Italie). « Montessori est devenu une marque, une étiquette permettant à une certaine bourgeoisie de brandir fièrement son refus de se soumettre aux règles de l’école républicaine inadaptée à ses enfants. L’inadaptation a changé de côté. »
Céline Alvarez, couplant Montessori et les neuro-sciences, illustre une « dérive patente de ces pédagogies alternatives devenues les adjuvants d’un système néolibéral, où tout pousse à la performance et passe par la croyance en les vertus magiques des objets et de la techniques ».
« La pédagogie d’un Célestin Freinet est conçue pour l’école publique. Elle est centrée sur le travail et la coopération. Rien à voir avec le simple épanouissement individuel par la réussite prôné par des pédagogies plus individualistes et technicistes. »
Si les recherches sur les neurosciences sont très stimulantes, leur instrumentalisation par le pouvoir agit comme un substitut à toute réflexion sur les déterminations sociales et complète la logique méritocratique : l’échec pourra désormais être attribué à un dysfonctionnement du cerveau et donc pathologisé, justifiant la suppression de toute redistribution des richesse pour pallier les inégalités sociales, puisque ces dernières ne sont plus considérées comme déterminantes.
Des écoles, inspirées par Summerhill, sont « en décalage complet avec toutes les réflexions sur la centralité du travail et de la contrainte portées par des pédagogues convaincus que l’émancipation passe par la transmission de savoirs et par l’effort ».
L’émancipation, selon la définition « réjouissante » de Paolo Freire, passe par « la conscientisation des rapports de domination dans le cadre des interactions sociales » et par « le dépassement de ce rapport de domination pour l’abolir, condition première de l’égalité et de la démocratie ». Ce terme est actuellement dévoyé, mot prétexte de l’entreprenariat. « Émanciper reviendrait donc à favoriser la libre entreprise de soi-même, se dépasser, chercher (et jouir de) l’espace de liberté construit dans l’émulation par la concurrence. S’émanciper serait donc un projet individuel visant à quitter sa condition préalable pour rejoindre le cercle des puissants.» Pour Freire, à l’inverse, l’émancipation ne peut être que collective et « ne vise aucunement à s’élever dans la hiérarchie puisqu’il s’agit d’en abolir l’existence ». Une école émancipatrice est nécessairement publique, gratuite, obligatoire et laïque. Le caractère public de l’école n’est pas une « adhésion aveugle à un modèle républicain catéchisé » mais une « responsabilité collective de garantir le droit à l’école sans condition ». La laïcité doit « redevenir un principe d’ouverture à l’altérité et d’accueil généreux et bienveillant de la différence culturelle » et non pas « un blanc-seing donné à un traitement discriminatoire des élèves », une « méfiance quasi systématique à l’encontre des enfants héritiers de l’immigration post coloniale ». Un « racisme structurel » prive d’école des enfants rendus « invisibles » par un système complexe de rejet par l’administration française. Un enfant rom sur deux, par exemple, n’est pas scolarisé. La catégorisation culturelle essentialise, autour du postulat de la perpétuation de la « culture d’origine », et a remplacé le prisme social et, à terme, fait disparaître la priorité donnée à une politique sociale destinée à compenser les inégalités.
Depuis Bourdieu, la sociologie éclaire l’origine des inégalités : un enfant socialisé tout petit dans un contexte saturé d’apprentissages maîtrisera parfaitement les codes scolaires, comprendra d’emblée les consignes d’exercice et l’implicite de ses professeurs avec qui s’instaurera une connivence culturelle. L’enfant dont les apprentissages en milieu familial ne recoupent pas les codes scolaires n’arrive pas avec moins de « capacités » ou d’ « aptitudes » mais il aura besoin d’une explication des attentes de l’école.
« À trop vouloir réduire l’école à son rôle de transmission des savoirs, on obère son rôle comme espace de socialisation politique ; mais à trop surinvestir l’école comme une antichambre de la société, on oublie la puissance émancipatrice des savoirs. Comme souvent, c’est sur une ligne de crête que se trouve la piste idoine. »
Laurence De Cock défend les savoirs comme « leviers d’émancipation collective » et l’école comme « expérience de la solidarité et de la délibération, c’est-à-dire comme propédeutique de la vie en démocratie ».
En redéfinissant l’école, Laurence De Cock interroge sa place et son rôle dans la société. Son texte éclaire les enjeux des débats (et des réformes) actuels, au-delà des polémiques souvent caricaturales.
ÉCOLE
Laurence De Cock
98 pages – 9 euros
Éditions Anamosa – Collection « Le Mot est faible » – Paris – Août 2019
https://anamosa.fr/
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DANS LA CLASSE DE L’HOMME BLANC
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