20 janvier 2020

POUR UNE HISTOIRE AMÉRINDIENNE DE L’AMÉRIQUE

À six ans, Georges E. Sioui, enfant dans une réserve indienne, reçut sa première leçon d’histoire du Canada et apprit que ses ancêtres étaient des sauvages qui menaient une existence d’idolâtrie, de vol, de mensonge et de cannibalisme, dont eut pitié le Roi de France. Il devint historien, souhaitant contribuer à défaire deux idées reçues : la croyance en la supériorité de la culture et de la moralité européenne qu’il nomme « mythe de l’évolution », ainsi que le « mythe de la disparition de l’autochtone ». Il démontre  que « l’être culturel autochtone américain » n’est toujours pas prêt de disparaître et que l’unification idéologique de la société mondiale, l’ « américisation du monde », n’est pas celle que l’on croit.

La population aborigènes des Amériques est passé en 400 ans de 112 millions d’habitants en 1492 à 5,6 millions mais « ce sont les maladies épidémiques apportées par les nouveaux venus qui ont déterminé l’ « apocalypse américaine » ». « L’étude des raisons de la présence d’un milieu microbien si fertile dans l’un des deux mondes et, simultanément, de son inexistence dans l’autre, pourrait donner lieu à une redécouverte de la structure saine des sociétés humaines conformément aux lois de la nature ainsi que des causes (et des conséquences) de leur désorganisation lorsqu’elles oublient ces mêmes lois. » Le procès des microbes au lieu de celui de leurs porteurs pourraient déculpabiliser les hommes et laisser libre cours aux émotions étouffées qui paralysent « l’expression des sentiments de compassion et de respect ».

« Chaque humain possède en lui une vision sacrée, c’est-à-dire un pouvoir unique qu’il doit découvrir au cours de sa vie, dans le but d’actualiser la vision du Grand Esprit dont il est une expression. Chaque homme, chaque femme trouve donc sa signification personnelle dans sa relation unique avec le Grand Pouvoir de l’univers. Il n’y a pas de place pour un système de pensée organisé auquel l’individu doit se subordonner, telles que le sont les religions ou les idéologies politiques au services d’intérêts humains et matériels. » « Conscient des rapports sacrés qu’il doit aider, en tant qu’humain, à maintenir entre tous les êtres , l’homme du Nouveau Monde se dicte une philosophie grâce à laquelle l’existence et la survie des autres êtres, surtout animaux et végétaux, ne sont pas mises en danger. Il reconnaît et observe les lois et ne réduit pas la liberté des autres créatures. Il assure ainsi la protection de son bien le plus précieux, c’est-à-dire sa propre liberté. » Georges E. Sioui rappelle l’homogénéité linguistique des peuples de l’Ancien Monde, presque totalement isolé pendant une période très étendue, ainsi que leur conception du monde qui leur a épargné guerres économiques ou religieuses. Les peuples autochtones des Amériques n’exploitent pas ; ils ne domestiquent même pas les animaux. Les sociétés amérindiennes sont matriarcales et si les groupes nomades fondent leurs institutions selon un ordre patrilinéaire, ils demeurent matriarcaux dans leur conception idéologique et spirituelle du monde en grande majorité. Les traits typiques des sociétés gynocentristes sont la liberté et l’égalité, la bienveillance pour les étrangers, l’aversion pour toute espèce de restrictions. « La théorie patriarcale de l’évolution, toute raffinée et intellectualiste qu’elle soit, n’est, selon la pensée gynocentriste amérindienne, qu’une apologie du racisme, du sexisme et de ce que nous nommons « androcentrisme » et définissons comme une conception erronée de la nature qui fait de l’homme le centre de la création et qui nie aux êtres non humains (voire non masculins) leur spiritualité propre et leur importance égale dans le plan et l’équilibre de la vie. »

L’autohistoire amérindienne est une approche éthique de l’histoire qui considère que « les valeurs culturelles de l’Amérindien ont davantage influencé la formation du caractère de l’Euro-Américain que les valeurs de ce dernier n’ont modifié le code culturel de l’Amérindien ». La coercition et la guerre, marque des sociétés historiques comme le décrit Pierre Clastres, sont absentes des sociétés naturelles. À la lumière de l’autohistoire amérindienne, Georges E. Sioui remet en cause le mythe de la destruction de la Huronie par les Iroquois et celui de la dispersion des Hurons-Wendat, ceux de la cruauté et du cannibalisme. « Aux yeux des Amérindiens, le sacrifice humain n’a pas le caractère de divertissement social qu’il avait pour les Grecs et les Romains, chez qui les puissants s’offraient des spectacles de tuerie pour agrémenter leurs repas et leurs festivités. Il représente encore moins un acte punitif à caractère religieux ou politique. » « Le cannibalisme, qui aurait été pratiqué par les sociétés « primitives », est un produit de la pensée raciste des sociétés dites civilisées. » Il qualifie Lahontan (1666-1716) de « découvreur de l’américité » qui, dans son oeuvre, fait « un portrait d’une rare exactitude de l’idéologie américaine aborigène », « un procès intelligent des deux civilisations en présence, et dont les Amérindiens sont sortis vainqueurs ».

Quoiqu’en pensent certains, les amérindiens peuvent être source d’inspiration et de réflexions comme devait le reconnaître Benjamin Franklin lui-même, par exemple, au congrès d’Albany : « Ce serait une chose étrange que six nations de sauvages ignorants soient capables de concevoir le dessein d’une telle union et d’exécuter celle-ci de façon telle qu’elle a subsisté à travers les âges et continue à paraître indissoluble, alors qu’une semblable union s’avèrerait impossible pour 10 ou 12 colonies anglaises, dont le besoin est encore plus grand, qui pourraient donc en attendre encore plus de bénéfices, et qui doivent certainement avoir une égale compréhension de leurs intérêts. »




POUR UNE HISTOIRE AMÉRINDIENNE DE L’AMÉRIQUE
Georges E. Sioui
Préface de Bruce G. Trigger
162 pages – 29,95 $
Les Presses de l’Université de Laval/Éditions L’Harmattan – Collection « Intercultures » –  Saint-Nicolas (Québec)/Paris – 2004

POUR UNE AUTOHISTOIRE AMÉRINDIENNE
 166 pages – 13 €
Les Presses de l’Université de Laval – Collection « À propos » –  Saint-Nicolas (Québec) – Novembre 2018



 


Voir aussi :

DIALOGUES DE M. LE BARON DE LAHONTAN ET D’UN SAUVAGE DANS L’AMÉRIQUE

CHRISTOPHE COLOMB ET AUTRES CANNIBALES

 

 

 

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