21 juillet 2021

CURE-BISSAC – La symphonie en sabots

Lorsqu’Élie Simoneau, tâcheron et violoneux dans les noces, petit-fils de celui qui répondait au sobriquet de Cure-Bissac (Crève-la-faim), est élu directeur de l’Harmonie municipale de Richelieu, il entreprend de composer une symphonie à la gloire de son grand-père et de tous les siens, « culs-terreux » et « mangeux d’ail », « toute cette couée de gueusards venus avant lui », « tous ces bêcheux-éborgneurs de lèche tirant dans les brancards ou cassés en deux sur la terre », « valets, bêtes de somme ne sachant ni lire ni écrire ». Il devra affronter les moqueries et l’incompréhension.

Georges David, fin observateur de la vie rurale, narre avec beaucoup de justesse et dans une langue « vivante », les années d’apprentissage de Simoneau, avec sa « gueule taillée à coup de serpe et [s]on air d’avoir toujours perdu quatorze pains dans le four », sa rencontre avec Gertrude, puis ses efforts pour « s’élever avec la musique », pour transposer ses émotions sur le papier à chandelle, son obstination face à l’hostilité et aux sarcasmes, lui qu’on traitait toujours de fainéant. « Entendre ce que les autres n’entendent point ; créer des sonorités ; pouvoir dire son rire ou son chagrin d'homme dans trois couplets et un refrain ou dans une symphonie avec chœur ; écrire, lui, Simoneau qui sentait l'écurie aux vaches, des musiques d'une grande simplicité, comme le Sanctus de Beethoven, entendu un matin de Pâques à la cathédrale de Tours, comme le solo de cor d’Egmont. » Il sera soutenu par de Braslou, « Richelais de race », ancien receveur de l’Enregistrement et président de l’Harmonie : « Bon courage, mon vieux. Tu n'as pas fini de graffigner des papelards. Ils m'ont toujours fait rire, ceux qui parlent de la joie d'extirper quelque chose d'une sensibilité ou d'un cerveau… Et dis-toi bien que tu n'arriveras probablement jamais à rien, que les lauriers de ton champ ne seront guère que des lauriers-sauce — et encore ! — et que tu rencontreras, route faisant, plus de sourire en coups de couteau que de compliments bien tournés. Mais tu t'en fous, parce que tu vibres comme une chanterelle. Tu as raison de t'en foutre. »

Georges David donne la parole aux « mangeux d’ail », une parole vivace et vibrante qu’il adopte et emploie pour donner à voir et entendre une réalité crue. Avec cette chronique, cette tranche de vies, il témoigne et rend hommage à ceux d’en bas, ceux qui peinent à gagner leur « bougresse d’existence ». Splendide !


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 

CURE-BISSAC
La symphonie en sabots
Georges David
Postface de Jean-Kely Paulhan
176 pages – 15 euros
Éditions Plein Chant – Collection « Voix d’en bas » – Bassac (16) – Septembre 2018
www.pleinchant.fr/titres/Voixdenbas/DavidCureBissac.html
Publié pour la première fois par les éditions Rieder – 1930

 

 

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