13 juillet 2021

LES VEINES DE LA TERRE – Une anthologie des bassins-versants

Florilège de textes du géographe Élisée Reclus, de l’ostréiculteur Hatakeyama Shigeatsu, du philosophe Gaston Bachelard, de l’écoféministe Vandana Shiva, du philosophe amérindien Ailton Krenak, du biorégionaliste Peter Berg. En réunissant ces écrits, les éditeurs contribuent à définir la notion de « bassin-versant » et à en donner une vision sensible à travers des réalités multiples. Ils entendent proposer un manifeste pour « fédérer les hydromondes », par-delà les États-nations : « une Internationale des bassins-versants » à partir des « veines de la Terre ».

Patrick Geddes (1854-1932) invitait à replacer nos lieux de vie au coeur des bassins-versants : « En descendant de la source à la mer, nous suivons l'évolution de la civilisation, de ses origines simples à ses résultats complexes ; aucun élément ne peut être omis. » La notion de « biorégion » apparait aux États-Unis dans les années 1970. Le journaliste Kirkpatrick Sale expliquait en 1985 que « la surface de la terre est organisée selon des régions naturelles plutôt qu’artificielles ». Il distinguait les « éco-régions », les « géo-régions » et les « morpho-régions », suivant une échelle de taille. Montrant comment les peuples amérindiens connaissaient aussi bien leurs terres que les écologistes modernes, il proposait que « les décisions finales relatives aux délimitations des frontières biorégionales et aux différentes échelles auxquelles créer les institutions humaines peuvent tranquillement être laissées aux personnes qui y vivent, à l’unique condition qu'elles aient accompli leur travail de perfectionnement de sensibilité biorégionale et qu'elles aient aiguisé leur conscience biorégionale. »

Le témoignage de l'ostréiculteur japonais Hatakeyama Shigeatsu qui replanta des arbres à 30 kilomètres en amont de la baie de Kesennuma pour faire face à la disparition de ses huîtres est fascinant : en se rencontrant, les habitants des côtes et de l’amont découvrent les préoccupations des autres et deviennent plus attentifs aux conséquences de leurs comportements.

L’ethnographe Deborah Bird Rose (1946-2018) a passé sa vie avec les Aborigènes du nord de l’Australie. Ses observations sont fort intéressantes : « Les peuples aborigènes australiens ont l'un des systèmes de parenté les plus complexes de la planète, et leurs sociétés sont vraiment fondées sur la famille. Tous les principaux aspects de la vie humaine y sont organisés par la parenté – gouvernance, justice, économie, événements marquants de la vie, et philosophie. Leur système de parenté déconcerte les attentes occidentales sur de nombreux points, l’un d’eux étant que celui-ci ne s'appuie sur aucun dualisme séparant de façon hiérarchique la culture humaine et le reste du monde naturel. La majorité des êtres vivants sont inclus à l'intérieur de ce système de parenté, et parce que la parenté est un domaine de l'éthique, la plupart des êtres vivants sont même intégrés à leur système éthique. »

Les biorégionalistes américains Peter Berg (1937-2011) et Raymond Dasmann (1919-2002) partent de l’exemple de la Californie, qui abrita quelques « 500 républiques tribales distinctes » pendant plus de 15 000 ans, d’après Jack Forbes, pour proposer que les bassins-versants naturels soit reconnus comme les éléments autour desquels les communautés s’organisent dans l'espace défini par elles-mêmes, en restreignant la croissance et le développement humain pour qu’ils correspondent aux limites des ressources en eau par exemple. « Les gens sont bombardés d'informations à propos du prix monétaire des choses, mais ils n'apprennent que rarement quoi que ce soit sur leur coût planétaire réel. »

« L’eau est source de vie. Tout le monde peut le comprendre, et pourtant nous vivons comme si c'était la moindre de nos préoccupations. L’eau est sacrée pour les peuples indigènes parce qu'ils savent que la vie n'est pas possible sans elle. L’eau, pour les pouvoirs politiques et économiques, est une ressource à gérer et exploiter dans l'intérêt exclusif des grandes et petites corporations nationales et multinationales. » Giuseppe Morretti explique que « réhabiter » désigne « la déconstruction d'une façon d'être arrogante et destructrice par rapport au territoire », « la récupération et la reprise de modèles, de manualités, de techniques et de relations qui rééquilibrent nos vies, nos activités, nos productions et nos échanges et les replacent en cohérence avec les capacités de charge de la biorégion sur le long terme », tout en permettant à la nature sauvage d'exister afin de pouvoir « entrer en contact avec la grammaire de la Terre ». « De même que les bassins fluviaux naturels, ceux de notre conscience sont désormais presque entièrement apprivoisés – réduits à des chenaux uniformes au travers desquels le message est toujours le même, à savoir : la présomption de croire en la capacité des êtres humains de se modeler et de modeler la nature parce qu'il s'agirait là de leur tâche, de leur devoir et de leur droit. »

Le poète Gary Snyder propose que les conseils de bassin-versant adopte le point de vue du saumon, par exemple, pour réhabiliter les rivières, convaincu que les accords imposés d’en haut n’iraient nulle part.

Revenant sur son observation de la Californie, Peter Berg qualifie d’ « anarchisme populaire » « l’éthos social » qui guide les échanges informels de voisinage, les relations généralement respectueuses entre les résidents d’une vallée, « la profondeur du système racinaire qui existe ici pour habiter le futur de façon soutenable » et sur la base d’un « engagement local à restaurer et conserver la rivière, les sols, les forêts, et la vie sauvage » et d'un développement de moyens pour satisfaire les besoins humains de façon durable et autosuffisante. « Cultiver une politique des lieux de vie doit se baser sur la réalité de ce qu'est la vie en un lieu donné. »

L'arpentage d'une rivière oubliée, l’Aygalades, par les habitants des quartiers nord de Marseille, est également rapporté.

L’écoféministe Vandana Shiva raconte comment se sont développés en Inde, de génération en génération, des systèmes d’autogestion durable de l’eau, avant la prise de contrôle de cette ressource par le gouvernement, sous le règne britannique. « Le système de droits communautaires est un impératif écologique et démocratique. »

Quant au philosophe amérindien Ailton Krenak, il rappelle que « la machine étatique agit pour défaire toute forme d'organisation sociale résistante, en cherchant à en intégrer les populations à l'ensemble de la société » et suggère que le rêve soit le point de contact entre ceux qui attribuent aux montagnes, aux fleuves, aux forêts le statut de ressources et ceux qui les considèrent comme des parents.

Ces textes fournissent des sources fort inspirantes de réflexions. Tandis qu’un précieux cahier cartographique propose une mise en couleurs des cours d’eau par bassin-versant qui donne une vision véritablement organique de la planète.



Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


 

LES VEINES DE LA TERRE
Une anthologie des bassins-versants
Édition établie par Marin Shaffner, Mathias Rollot et François Guerroué
162 pages – 12 euros
Éditions Wildproject – Marseille – Février 2021

wildproject.org/livres/les-veines-de-la-terre

 

Voir aussi :

IDÉES POUR RETARDER LA FIN DU MONDE

CHRISTOPHE COLOMB ET AUTRES CANNIBALES

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire