31 janvier 2022

CONTRE ATTAQUE (revue)

Nantes révoltée mue : la revue adopte un format plus grand, un papier plus confortable, change de nom pour mieux livrer ses analyses sur la situation actuelle, « voir plus clair dans le brouillard et affronter la tempête »,… contre-attaquer ! Ce numéro hors série propose de comprendre le fascisme qui vient, de (re)découvrir la Commune de Paris, de décrypter quelques concepts économiques, d’observer (et d’imiter) la nature qui se défend,…

Dans un article d'une grande clarté conceptuelle, les auteurs rappellent que « le rôle historique du fascisme est d'étouffer la colère sociale, de maintenir l’ordre », que son histoire est celle d'une « bourgeoisie radicalisée ». « En cinquante ans, l'extrême droite a […] conquis l'hégémonie culturelle, colonisé les médias, imposé ses idées dans tout le champ politique. Dans ce contexte putréfié, un candidat pétainiste sans parti ni appareil autre que la chaîne de télévision d’un milliardaire peut directement partir à l'assaut du pouvoir. Et même s’il s’effondre, ce qui est possible, il a déjà gagné la bataille des idées. » On retrouve plusieurs anciens militants du groupe néofasciste Occident, dissout en 1968, au sein de l'empire Bolloré. Mais déjà, le fasciste Patrick Buisson était conseiller du président Sarkozy et le politicien d'extrême droite Paul-Marie Coûteaux rédigeait les discours de Fillon. Le 19 mai 2021, des syndicats policiers ont manifesté devant l'Assemblée nationale, soutenus par le ministre de l’Intérieur, tandis que communistes, socialistes et écologistes défilaient avec Le Pen et Zemmour : « cette gauche qui avait déjà trahi tous ses idéaux faisait désormais bloc derrière une police radicalisée ». Alors que des procédures judiciaires se multiplient contre les mouvements sociaux, l'extrême droite se militarise en toute impunité. Des membres des différentes forces armées, rémunérés par l’État, ont fait sécession. Depuis plus de six ans, nous vivons dans un état d'exception permanent, que le philosophe Giorgio Agamben compare au processus observé en Allemagne à la veille du nazisme. « Le fascisme n'est plus un mouvement de masse. » « Ce néofascisme peut s'imposer par les urnes, sur fond d'abstention de masse et de passions tristes, en terrorisant des retraités rivés devant leurs écrans et quelques Blancs en panique morale. » Si la bourgeoisie hésite encore, se contentant du néolibéralisme autoritaire en place, « l'option fasciste est envisagée pour gérer le désastre écologique, la crise du capital, les agitations inévitables ». « Ce n'est pas officiellement la dictature, mais la fiction démocratique s'est évaporée. Ce n'est pas encore le fascisme, mais la fascisation est évidente. » Le soulèvement ou la barbarie, rien n’est pourtant encore joué.

Quelques grandes figures antifascistes sont données en exemple : Germaine Berton, Lucie Aubrac, Émilienne Mopty, Madeleine Riffaud,… puis l’historienne Ludivine Bantigny, longuement interviewée, rappelle que les fascismes historiques ont été financés par le patronat industriel et financier dans le but d'éradiquer la lutte des classes et le mouvement ouvrier organisé. Les pouvoirs en place ne parvenant plus à gouverner par le consentement, doivent recourir davantage à la répression. « C'est dans ces moments de crise que le néofascisme peut reprendre des forces, par une politique délétère et systématique du bouc-émissaire fantasmé en ennemi –migrants, étrangers, musulmans –, de tout ce qui pourra détourner l’amertume, le ressentiment et la colère loin de leurs causes réelles. Un procédé favorisé par la banalisation politique et médiatique de thèmes obsessionnels jusqu'alors réservés à l'extrême droite. » « Cette extrême-droitisation généralisée a tendance à faire passer le RN et Marine Le Pen pour modérés, ce qui est une abjection idéologique. »

Sont analysées les situations particulières, à Lyon, « la ville de Jean Moulin, mais aussi celle de Klaus Barbie », et à Nantes où les autorités semblent avoir opté pour une « stratégie de la tension », le pouvoir utilisant les nervis d’extrême-droite comme « une force supplétive », pour mater les contestations difficiles à canaliser.

Le dossier historique sur la Commune, véritable « vengeance d’État », se conclut par le rappel d’une déclaration de Macron, justifiant une luxueuse cérémonie à Versailles, « symbole monarchiste » : « Versailles, c’est là où la République s’est retranchée quand elle était menacée. » La République de Macron, c’est la « République de l’Ordre », « celle des riches, des flics, des réactionnaires, celle qui déteste les pauvres et veut les maintenir à leur place ».

L’article consacré à Claude Cahun (1894-1954), rappelle qu’en 1935, les surréalistes s’unissent autour de Georges Bataille pour fonder le groupe Contre-attaque, « une réponse pulsionnelle et concrète à la montée des fascismes ». Discrète source d’inspiration, mais symboliquement très forte, pour toute l’équipe de la revue. Un autre, aussi succinctement qu’efficacement, analyse la crise sanitaire, rappelant que nous traversons une « syndémie » plutôt qu’une pandémie, « c'est à dire l'entrelacement de maladies, de facteurs biologiques, sociaux ou environnementaux, qui, combinés ensemble, provoque des conséquences incalculables », le « symptôme d'une crise sociale, économique, écologique, sanitaire ». Plutôt que de s'attaquer aux véritables causes sanitaires, les gouvernants gèrent la situation avec des moyens de répression et de contrôle inédits dans l'histoire de l’humanité : « Le COVID est l'occasion d'une expérimentation grandeur nature de dressage du cheptel humain. » Entre des pages toujours aussi abondamment illustrées, par des photos de slogans notamment, on peut aussi trouver une collection de sabotages, un démontage en règle des fausses vérités assénées par les économistes, quelques actes (magnifiques) de résistance de la nature et des exemples de violences judiciaires à l’encontre des dominés, une longue liste de recommandations de lectures,…

Avec la même limpidité, la même capacité d’analyse et de synthèse que celles déployées au quotidien sur les réseaux sociaux, Nantes révoltée fournit des clés de compréhension du présent, des armes d’autodéfense critique, des pieds-de-biche pour imposer un autre futur et beaucoup d’enthousiasme, tout aussi nécessaire en ces temps plus propices à l’abattement.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier

 

CONTRE ATTAQUE (revue)
Collectif
68 pages – 4 euros
Éditions Nantes Révoltée – Nantes – Hiver 2022

contre-attaque.net/boutique-test/revue-contre-attaque/

 

Voir aussi :

NANTES RÉVOLTÉE – Numéro 0

NANTES RÉVOLTÉE N°3 - Mai/juin 2018

NANTES RÉVOLTÉE – Numéro 4 - Nos désirs font désordre

 






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire