Certains écologistes considèrent que la démocratie est incapable de résoudre la crise écologique car elle ne permet plus de prendre en compte les intérêts du long terme, d’imposer aux citoyens des changements dans leur mode de vie destructeur, et qu’il est donc préférable pour le bien-être durable de l‘humanité de confier à une élite vertueuse le soin de mener la société sur le bon chemin. Les libéraux eux aussi revendiquent de plus en plus ouvertement la nécessité de contourner la démocratie. Prenant parfois la Chine en exemple, ils encouragent une évolution vers un despotisme libéral.
Les oligarques se définissent par le revenu et le capital. Tirant leur pouvoir de l’argent, on peut les qualifier plus précisément de ploutocrates.
Selon l’INSEE, le décile supérieur de la population, soit les 10%, constitue les riches. En 2007, leur revenu était supérieur à 3 000 euros pour une personne seule et 7 500 pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans, c’est-à-dire le double du revenu moyen de la population.
Le dixième de ce décile, soit les 1%, regroupe les très riches avec un revenu de plus de 7040 euros ou 17 600 pour un couple.
Les 0,1% constituent les « hyper-riches » avec 57 000 euros et 142 500 pour un couple.
À partir de 1980, les inégalités ont augmenté dans tous les pays occidentaux après des décennies de distribution stable des richesses. L’écart entre les revenus des riches et des hyper-riches s’est plus creusé qu’entre le riche et l’employé.
« Derrière le spectacle du jeu électoral, la politique réelle est définie en privé dans la négociation entre les gouvernements élus et les élites qui représentent de manière écrasante les intérêts des milieux d’affaires. » Hervé Kempf présente plusieurs « clubs » où ceux-ci se rencontrent régulièrement et discrètement : la Commission Trilatérale créée en 1973 par des « citoyens privés » du Japon, d’Europe et des États-Unis, le groupe Bilderberg fondé en 1952 afin de rapprocher les élites américano-européenne, le Forum économique mondial qui se tient chaque année à Davos depuis 1971. Il ne dénonce pas un complot mais des délibérations entre pairs visant à conforter une analyse commune et à définir des lignes d’action.
Il identifie trois formes de rapines : l’attribution de sommes conséquentes aux dirigeants qui quittent une entreprise même s’ils l’ont ruinée, l’augmentation indécente de leur rémunération y compris en pleine crise, le versement de bonus astronomiques aux tradeurs même en 2009 après le renflouement des banques par les États. Exemples à l’appui, il conclut que « le comportement de l’oligarchie est fondamentalement vicié, que sa morale est pervertie, qu’elle place son profit au-dessus de l’intérêt général. »
L’oligarchie a réussi la mise en coupe réglée de l’État. Celui-ci n’est pas ruiné comme dans les dictatures africaines mais les prélèvements sont « réglés » « sans tuer la bête ». Les concentrations ont donné naissance à de très grandes entreprises, très puissantes face aux États, renforcées par les privatisations qui facilitent l’acceptation du transfert des bénéfices publics dans leurs coffres. Après avoir rendu aux intérêts privés les entreprises industrielles, les gouvernements oligarchiques se sont attaqués aux activités de service (transports, énergies, télécommunications), encouragés par une Commission de Bruxelles poussant le principe de la concurrence jusqu’à l’absurde. La prédation des biens publics s’opère également grâce aux Partenariats Public-Privé » dont la Cour des comptes a estimé qu’ils n’offraient d’avantages qu’à court terme et s’avéraient finalement onéreux à moyen et long termes.
Agences de notation rémunérées par les entreprises mêmes dont elles évaluent la solvabilité, lobbying dont le budget a atteint aux États-unis en 2009 3,5 milliards de dollars, sont autant de moyens de pression sur les États.
Depuis qu’Edward Bernays a créé la science moderne de la persuasion de masse assise sur la manipulation des sentiments subconscients et des impulsions (voir : PROPAGANDA - Comment manipuler l’opinion publique), le libéralisme a transformé le citoyen rationnel en consommateur manipulé, passant d’une culture du besoin à une culture du désir, habituant les gens à vouloir de nouvelles choses, avant même que les précédentes aient été entièrement consommées. Avec l’essor de la télévision dans les année 1960, la société politique s’est transformée en « démocratie des apparences ». Le divertissement est la supra-idéologie de tout discours à la télévision. Les grands groupes de presse sont contrôlés par des grands groupes qui ont souvent des marchés avec l’État. Les voix réellement dissonantes sont rarement invitées à débattre. La jeunesse est la première victime du « conditionnement mental et politique permis par le contrôle des médias » : « sa culture vient prioritairement du petit écran, qui a favorisé tout à la fois sa niaiserie et son individualisme ».
« La course à la supériorité symbolique a pris le pas sur la lutte des classes, l’aliénation par les objets a remplacé l’aliénation par l’exploitation. »
Si l’abondance avait pu dissiper l’essentiel de l’énergie contestataire, la crise et le retour du spectre du chômage vient réduire au silence les discours critiques. La peur domine.
Hervé Kempf identifie trois scénarios possibles :
Dans le scénario oligarchique, la classe dirigeante refuse la logique de la situation et continue de proclamer la nécessité d’augmenter l’abondance matérielle par la croissance du PIB, ce qui entrainera l’aggravation de la crise écologique, l’augmentation des prix de l’énergie. Le blocage de la croissance entrainera des frustrations d’autant plus fortes que les inégalités croitront. Pour contrer le mécontentement, l’oligarchie stigmatisera migrants et délinquants et renforcera l’appareil policier pour réprimer par la même occasion les mouvements sociaux.
Dans le scénario de la gauche croissanciste, les dirigeants cherchent à corriger les inégalités au moins à la marge. Les tensions sont les mêmes et une partie de l’oligarchie est tentée de s’appuyer sur l’extrême-droite.
Dans le scénario écologiste, les dirigeants parviennent à convaincre les citoyens que la crise écologique est déterminante. La politique économique réoriente une part de l’activité collective vers les occupations à moindre impact écologique et à plus grande utilité sociale (agriculture, éducation, santé, culture, maitrise de l’énergie…). Le système financier est socialisé et les inégalités drastiquement réduites. Il s’agit d’inventer une démocratie sans croissance.
C’est cette option qui a bien entendu la préférence de l’auteur. Il conclut que nous ne sommes pas en démocratie mais « dans un régime qui n’en préserve les apparences que pour mieux la trahir ». Une large partie de l’oligarchie prépare un régime d’exception face aux troubles, sociaux et écologiques, intérieurs et extérieurs, que sa politique ne peut manquer d’entraîner.
Optimiste, il pense possible de résoudre le défi écologique et d’éviter le repli nationaliste, en suscitant les solidarités internationales pour imposer partout la réduction des inégalités. « Ce qu’il reste de démocratie est suffisamment vivace pour nous permettre de refuser la servitude. Appelons un voleur, un voleur; un corrompu, un corrompu; un menteur, un menteur. » Il n’apporte aucune solution clef en main : « La solution, c’est vous, c’est nous. » Il invite tout d’abord à résister et compte sur une « éthique du future » et un « idéalisme public ». « Du Kropotkine de L’Entraide au Marcel Mauss de l’Essai sur le don et à la common decency, la morale commune de George Orwell, la vertu - ce sentiment d’une droiture humaine tournée vers les autres - court comme un fil oublié mais insécable au long de l’histoire des inventeurs d’un nouveau monde. pour faire démocratie, il faut faire vertu, pour changer le destin écologique, il faut faire vertu. Vertu, un autre nom de l’humanité. »
On pourra reprocher son optimisme naïf paradoxal à croire à un changement paisible et raisonnable alors qu’il vient de décrire et dénoncer avec beaucoup de précision un système politique confisqué par des intérêts particuliers, son analyse n’en demeure pas moins intéressante.
L’OLIGARCHIE ÇA SUFFIT, VIVE LA DÉMOCRATIE
Hervé Kempf
194 pages – 14 euros
Éditions du Seuil – Collection « L’Histoire immédiate » – Paris – Janvier 2011
182 pages – 7,80 euros
Éditions du Seuil – Collection « Point essais » – Paris – Janvier 2013
Du même auteur :
8 octobre 2017
L’OLIGARCHIE ÇA SUFFIT, VIVE LA DÉMOCRATIE
Le capitalisme finissant glisse vers une forme oubliée de système politique qui n’est plus la démocratie (pourvoir du peuple par le peuple et pour le peuple) et pas encore la dictature (pouvoir d’un seul à des fins qui lui sont propres) : l’oligarchie (pouvoir de quelques uns, qui délibèrent entre eux des solutions qu’ils vont imposer à tous). Identifier le mal, c’est se donner les moyens de le guérir. C’est ce que propose Hervé Kempf avec cet ouvrage.
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