8 janvier 2025

ROBIN DES BOIS

Trois spécialistes de la littérature médiévale, William Blanc, Justine Breton et Jonathan Fruoco explorent la figure de Robin des bois à partir des textes publiés depuis le XIVe siècle, puis de ses multiples adaptations au cinéma et à la télévision, en bandes dessinées et jeux vidéo. La culture de masse américaine lui a assuré une popularité internationale, comme « paradigme international du banditisme social », selon la formule d’Eric Hobsbawn, mais aussi comme expression d’une nostalgie réactionnaire pour un monde « d’avant » ou d’un discours nationalisme, voire anticommuniste.


Ils explorent tout d’abord la dualité entre mythe et réalité. Durant le Moyen Âge, la légende s’est insinuée dans les récits populaires et les ballades chantées par les yeomen – ces paysans propriétaires terriens, formant un groupe social intermédiaire –, devenant symbole d’espoir pour les démunis face à la tyrannie des riches et des puissants, « un modèle de rébellion légitime qui raisonnait avec les aspirations du peuple ». Ils soulignent également son association avec le carnavalesque qui permet une remise en question des conventions, un dévoilement des hypocrisies sociales et offre un espace de libération et d'expression créative. Robin des Bois s’est imposé comme figure majeure de la tradition festive de mai, à la sortie du Moyen Âge, à travers les pièces des Mummers (aujourd’hui synonyme de « mimes »), puis le puritanisme de la Réforme protestante a eu raison de ces jeux, non sans rencontrer de résistance. « Ce que montre Robin des Bois, ce qu'il exemplifie, pour ceux dont il est le héros, ce n'est nulle autre que l'idée selon laquelle on peut se sortir d'une situation devenue insupportable par la rébellion. » D’ailleurs, voleurs en tous genres suivent son exemple et invoquent son prestige comme en témoignent les registres judiciaires en Angleterre, ainsi que des actes de contestation sociale, justifiant la récupération politique du mythe par les classes dominantes. Chroniqueurs (à partir du XVIe siècle) et dramaturges (dans les derniers années du règne d’Élisabeth Ier) commencent par l’anoblir : il abandonne la contestation sociale pour devenir défenseur du pouvoir régalien du roi Richard. Au XVIIe et XVIIIe siècles, les broadsides, ballades imprimées sur une feuille et vendues bon marché dans les rues, ont considérablement accru sa popularité, avant d’être progressivement remplacés par les chapbooks, ancêtres des livres de poche.

L’intérêt pour l’Angleterre médiévale renait avec les prémices de la révolution industrielle puis, à la fin du XIXe siècle, l’attrait pour les textes relatifs au folklore anglais, qu’aurait étouffés la culture dominante « normande ». Découverte et publication d’un manuscrit par Thomas Percy, parution en deux volumes d’une anthologie Robin Hood élaborée par Joseph Ritson en 1795, du poème de John Keats et surtout d’Ivanhoé de Walter Scott en 1819 et de Robin Hood ou la forêt de Sherwood de Thomas Love Peacock en 1822. William Morris fait exception parmi les socialistes anglais en citant une ballade consacrée à Robin dans Un Rêve de John Ball, en 1886, le désignant comme l’origine d’une longue tradition révolutionnaire.

Aux États-Unis, la légende est adaptée aux problématiques sociales et politiques contemporaines, notamment la défense de la forêt et d’un passé idéalisé contre les usines des grandes villes. Les grands espaces sont dépeints comme « les seuls endroits où la liberté politique s'associe à la liberté de mouvement », « des refuges non plus contre l'arbitraire royal, mais contre celui du capitalisme, comparé par beaucoup à un nouveau féodalisme ». La légende de Jesse James est inscrite dans celle de Robin des bois, comme « chevalier du crime » capable de tenir tête au capitalisme nordique (par le Sud !) et aux « barons voleurs », au trop-plein d'État et de taxes. Joaquim Murrieta est lui-aussi transformé en Robin des Bois moderne, luttant contre le racisme et la richesse des Blancs anglophone. Puis le romancier Johnston McCulley s’en inspire pour créer le personnage de Zorro, noble qui combat l’autoritarisme du Mexique, plus acceptable pour le public américain abreuvé à la « théorie des germes germaniques », selon laquelle la démocratie parlementaire est un héritage ethnique réservé aux anglo-saxons.


Le cinéma permet à l’archer de Sherwood d’entrer dans l’ère de la culture populaire audiovisuel, en premier lieu avec la version de Fairbanks, réalisée en 1922, puis celle de Michael Curtiz en 1938, avec Errol Flynn, produite par les studios Warner, dont le patron est un ferme partisan du New Deal de Roosevelt, qu’applique, dans le film,… Richard Cœur de Lion ! Dans les années 1950, des versions conservatrices apparaissent à leur tour, reprenant le thème de la résistance à l’impôt. Les progressistes répondent, à partir de 1956, à travers une série télévisée en 143 épisodes, produite en Angleterre pour échapper à la censure, traitant des abus de pouvoir des riches. La Rose et la flèche, sorti en 1976, dénonce un despote qui entraîne ses soldats dans une guerre sans fin, alors que les États-Unis viennent tout juste de se retirer du Viet-Nam. Etc. Ces interprétations traduisent un conflit entre deux visions du monde : « celle où la liberté de quelques-uns est valorisée au-dessus de tout, y compris du bien-être des autres et de la sauvegarde de la planète, et celle où une juste répartition des richesses induit un équilibre des pouvoirs ».


En France, jusqu'au XIXe siècle, d'autres célèbres bandits empêchent l’émergence de Robin, y compris dans des traductions de textes dans lesquels il est remplacé par Mandrin ou Cartouche. L’historien Augustin Thierry contribuera à ancrer durablement le personnage dans le camp progressiste, en le présentant comme un révolutionnaire. Des romans d’Alexandre Dumas au feuilleton télévisé Thierry La Fronde, en passant par la série en bande dessinée publiée par Vaillant ou la chanson du groupe Téléphone, Ex-Robin des Bois, adaptations en tous genres ou simples mentions dans le débat public, sont scrupuleusement analysées. Comme d’ordinaire, impossible de reprendre ici, dans son ampleur et son exhaustivité, l’inventaire effectué.


Enfin, les auteurs s’intéressent à l’évolution de ces aventures vers le jeune public, y compris à travers les jeux vidéo, celle de Marianne et des quelques autres personnages féminins, et au thème omniprésent du travestissement, de la simple inversion carnavalesque au brouillage des genres.


Alors que le personnage de Robin pourrait sembler homogène et immuable, il fut l’enjeu d’une bataille culturelle que se livrèrent, au fil des époques, progressistes et réactionnaires. Cette étude remarquable, loin de se contenter de retracer avec minutie ce conflit littéraire et idéologique, se déploie sur un champ largement plus vaste que cette seule trame, pour aborder bien d’autres thèmes, jusqu’aux plus inattendus.


Ernest London

Le bibliothécaire-armurier



ROBIN DES BOIS

De Sherwood à Hollywood

William Blanc, Justine Breton et Jonathan Fruoco

Préface de Michel Pastoureau

432 pages – 13 euros

Éditions Libertalia – Montreuil – Novembre 2024

www.editionslibertalia.com/catalogue/ceux-d-en-bas/robin-des-bois-de-sherwood-a-hollywood



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SUPER-HÉROS


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