2 septembre 2023

APPEL

En octobre 2003, une brochure de 96 pages est imprimée clandestinement et diffusée de la main à la main à des milliers d’exemplaires, appelant à la sécession, à l’établissement d’un ensemble de foyers de désertion et à la constitution d’une force singulière, sensible et située. Julien Coupat présente ce texte devenu introuvable qui, entre activisme et militantisme, tente de trouver un chemin. Quelques autres permettent de l’éclairer et d’en mesurer l’écho jusqu’à aujourd’hui.

« Devant l'évidence de la catastrophe il y a ceux qui s'indignent et ceux qui prennent acte, ceux qui dénoncent et ceux qui s'organisent. Nous sommes du côté de ceux qui s'organisent. » D’emblée, les auteurs (ou l’auteur ?) assurent vouloir aller « à l’évidence », sans prendre « la peine de démontrer, d’argumenter, de convaincre ». Ils se démarquent du « folklore protestataire » des contre-sommets, de la colossale paralysie de certains activistes, de la suractivité de certains militants. « Tout se passe comme si les gauchistes accumulaient les raisons de se révolter de la même façon que le manager accumule les moyens de dominer. De la même façon c'est-à-dire avec la même jouissance. »
L’ennemi, baptisé « l’empire », n’est pas « une conspiration planétaire de gouvernements, de réseaux financiers, de technocrates et de multinationales ». Il est partout « où règne la situation normale », « partout où ça fonctionne ». Dès lors, s’organiser c'est « faire consister la situation. La rendre réelle, tangible. » Cette position s'affirme comme une double sécession : avec le processus de valorisation capitaliste et avec tout ce qu'une simple opposition à l'empire impose de stérilité. « Pour faire bref, nous dirons qu'une telle position empreinte aux Black Panthers pour la force d’irruption, à l'autonomie allemande pour les cantines collectives, au néo-luddites anglais pour les maisons dans les arbres et l’art du sabotage, aux féministes radicales pour le choix des mots, aux autonomes italiens pour les auto-réductions de masse et au mouvement du 2-juin pour la joie armée. »

Il ne s'agit pas de contester ni de revendiquer mais de se constituer « en force matérielle autonome au sein de la guerre civile mondiale ». « Le problème avec les revendications, c'est que, formulant des besoins dans des termes qui les rendent audibles par les pouvoirs, elles ne disent d'abord rien de ces besoins, de ce qu'ils appellent de transformations réelles du monde. » À la conception classique de la politique qui entérine l'impuissance face au désastre et le triomphe du « libéralisme existentielle », il s’agit d’opposer une contre-offensive, de construire un mouvement révolutionnaire. L'activisme c'est « la mobilisation perpétuelle au nom de l'urgence » à laquelle nous ont habitués gouvernements et patrons. Il demeure « à l'intérieur du régime de l'urgence », sans réel espoir d'en sortir ou de l’interrompre, sans se donner les moyens d'établir des mondes habitables, d’« entraver concrètement l'avancée du désert ». Quant au vieux militantisme, il demeure imperméable aux situations.
« Les techniques politiques du capitalisme consistent d'abord à briser les attaches où un groupe trouve les moyens de produire d'un même mouvement les conditions de sa subsistance et celles de son existence. » Les métropoles contemporaines concentrent leur utilisation jusqu'à « rendre criminelle la plus petite tentative de passer outre les rapports marchands ». Au-delà d'une réappropriation des moyens et des savoirs il s'agit de « construire les conditions où une offensive peut s'alimenter sans s'éteindre, d'établir les solidarités matérielles qui nous permettent de tenir ».
Le « commerce des indulgences » est fustigé : la « pensée Max Havellar » ou « le chèque à Amnesty » qui donnent bonne conscience et persuadent d’un « engagement ». Plus d’ennemis, seulement des problèmes. « La neutralisation est une caractéristique essentielle de la société libérale. »

Il s’agit d’établir « un ensemble de foyers de désertion, de pôles de sécession », des formes d’agrégation collective : squats, communes, etc. Le communisme n’est pas un système politique ou économique, c’est l'élaboration « entre ceux qui vivent ensemble des modes de partage, des usages », c'est l’expérience du partage des besoins. Pour cela, il est nécessaire :

  • d’empêcher la recomposition de la gauche, « partie intégrante des dispositifs de neutralisation propres à la société libérale » qui maintient en place l'ensemble des illusions qui nous paralysent,
  • d’étendre ce processus de communication, de « catastrophe naturelle » en « mouvement social », en rendant « habitables » les situations d'exception,
  • de porter la sécession jusque dans les secteurs vitaux de la machine.



Les autres textes éclairent la genèse de celui-ci et la rupture survenue avec le mouvement altermondialiste, après Gènes et le 11 septembre qui permit « une reprise en main générale ». Le tract I 💣 NY, distribué à New-York en février 2002 explique ne pas vouloir d'un autre monde, fut-il écologique et équitable, mais bien de « ce monde comme chaos », « le chaos qui émerge dès que le management s’effondre ». Apparaît aussi la première occurrence du titre d'un livre postérieur : « L'insurrection qui vient est celle des enfants perdus, ceux qui, avec leurs gestes gauches, tentent maladroitement de toucher au communisme dans une ville sous occupation. » Un autre tract distribué à Barcelone à l'occasion d'un sommet européen, dénonce les « contre-sommets comme stade ultime du tourisme de masse ». Un autre encore s’oppose à la campagne de soutien à Paolo Persichetti, ancien membre des Brigades Rouges, kidnappé et extradé, laquelle maintient les illusions démocratiques en s’inscrivant dans la défense du droit et de la légalité. La lutte anticarcérale et la métropolisation de Lille sont d’autres occasions de mettre en lumière cet antagonisme et de dessiner la voie proposée.


Cette publication salutaire des éditions Divergences démontre la pertinence et l’acuité de ce texte écrit il y a tout juste 20 ans, combien il imprègne désormais bien des discours, et trace des pistes pour échapper à notre impuissance.


Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


APPEL
Et autres textes suivis d’effets
Anonyme
Présentés par Julien Coupat
190 pages – 12 euros
Éditions Divergences – Paris - Août 2023
www.editionsdivergences.com/livre/appel-et-autres-textes-suivis-deffets



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire