4 septembre 2023

GÉOGRAPHIE DE LA DOMINATION

Si l’histoire du capitalisme est étudiée et connue, sa géographie est plus rarement abordée. L’anthropologue américain David Harvey s’intéresse à son pouvoir de détruire et de construire, de reconfigurer les villes, de changer notre rapport au temps et à l’espace. Il souligne la nécessité d’encourager la production de « singularité culturelle locale » et les contradictions que celle-ci entraîne.
Une rente de monopole se fonde sur le contrôle exclusif de la part de propriétaires privés sur un article directement ou indirectement exploitable, unique et non reproductible. Un terrain peut posséder ces caractéristiques lorsque son usage devient indispensable à certaines activités. Il peut aussi être directement commercialisé pour son unicité. Une contraction apparait dès lors que la commercialisation détruit  peu à peu ses qualités uniques et qui constituent la base d’une rente de monopole. Par exemple, « plus l’Europe se disneyfie, et plus elle perd ce qu’elle possède d’unique et de spécial. La morne homogénéité qui va de pair avec la marchandisation pure efface les avantages monopolistiques. » La seconde contradiction tient dans la tendance au monopole à entraîner l'élimination des entreprises les plus faibles, contre laquelle la législation antitrust aux États-Unis et les commissions d'observation des monopoles en Europe ont d'ailleurs été mises en place. Le problème est de « maintenir des relations économiques suffisamment concurrentielles tout en préservant les privilèges de monopole qu'une classe ou des individus possèdent sur la propriété privée ». Au XIXe siècle les artisans étaient protégés de la concurrence sur les marchés locaux par le coût élevé du transport, jusqu'au développement de celui-ci. Mais le capitalisme tend à une « annihilation de l'espace par le temps ».
En partant de l'exemple des rentes de monopole des vins, selon le critère de « terroir » que l'union européenne cherche à préserver, et que remet en cause Robert Parker avec son Guide des vins, David Harvey montre comment « les prétentions monopolistique sont tout autant un “effet de discours“ et le produit de luttes que le reflet des qualités d'un produit ».
Une troisième contradiction surgit lorsque le soutien des artisans de la mondialisation à des projets locaux susceptibles de rapporter des rentes de monopole, suscite un violent mouvement de résistance.
Ainsi, une « gouvernance urbaine » construit des infrastructures physiques et sociales pour susciter une synergie afin qu'intérêts privés et puissances étatiques créent des rentes de monopole. Dans le champ des objets et pratiques culturelles, une construction discursive est donc à l'œuvre afin que le capital symbolique collectif et les marques de distinction propres à un lieu, par exemple, contribuent au pouvoir d'attraction sur les flux de capitaux, jusqu'à ce que son « irrésistible attrait engendre une marchandisation multinationale de plus en plus homogénéisante ». David Harvey accompagne son exposé de nombreux exemples, de Barcelone à Berlin.

Suivant la ligne tracée par Marx, il analyse ensuite les caractéristiques de la circulation du capital : l’expansion continue de la valeur des marchandises produites, l’application et l’exploitation du travail vivant dans la production, les rapport de classe (oppositions, antagonismes et luttes), la nécessité des changements technologiques qui renouvèlent sans cesse la productivité sociale du travail et visent à en écarter le travail vivant, révélant un antagonisme entre croissance et progrès et entrainant des crises, inévitables, etc. « Pour saisir le moment de crise comme une opportunité offerte au changement révolutionnaire, il est nécessaire de bien comprendre comment les crises se forment et se déploient. » Aussi s’emploie-t’il à expliquer l’accumulation primitive, la circulation du capital, la création du « capital fictif », en insistant sur les aspects géographiques (migration du surplus de force de travail des campagnes vers les villes, déplacement temporel du capital pour trouver des opportunités à l'absorption des surplus, etc.) pour notamment déterminer si le capitalisme peut résoudre ce dilemme interne grâce à l'expansion ou à la restructuration géographique.

À l’issue de son exposé théorique, il conclut que « le remplacement du mode de production capitaliste […] est une condition nécessaire à la survie de l'humanité », conseillant toutefois de ne surtout pas laisser « pareille tâche » à une seule classe ou communauté.

Petit cours de marxisme, complété par la dimension spatiale et géographique écartée par Marx. C’est très technique mais ravira les amateurs de théories économiques.

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier


GÉOGRAPHIE DE LA DOMINATION
David Harvey
128 pages – 12 euros
Éditions Les Prairies ordinaires – Collection « Penser/croiser » – Paris - Mars 2008 www.lesprairiesordinaires.com/geacuteographie-de-la-domination.html
200 pages – 14 euros
Éditions Amsterdam – Paris - Octobre 2018
www.editionsamsterdam.fr/geographie-de-la-domination-2/



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