Au cours de l’été 2010, la gauche dénonçait la dérive droitière du discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, au nom de l’antiracisme. Après l’été 2012, la gauche revenue au pouvoir, a repris à son compte la politique de stigmatisation des Roms. En cinq articles et autant d’angles d’approche différents, cet ouvrage fait le point sur ce qu’il est désormais convenu de nommer « la question Rom », effaçant ainsi tout caractère politique.
Éric Fassin analyse pourquoi et comment une véritable « politique de la race » a été mise en place, dépassant les affrontements partisans habituels.
La disparition des clivages sur ce sujet pour s’accorder à gérer de façon pragmatique une situation que tous s’accordent à trouver difficile, a imposé un discours définissant sans aucun scrupule une « nature » Roms qui serait culturelle (sales, nomades, délinquants, inintégrables,…) et la raison bien réelle du « problème ». Tout un glissement sémantique contribue à dissimuler un véritable racisme institutionnel : c’est parce qu’ils sont ce qu’ils sont qu’il y a un « problème ». Après cinquante ans de bons et loyaux services, comme l’expliquait une « plaisanterie » circulant pendant l’été 2010, en pleine chasse aux Roms, les français d’origine maghrébine venait de passer le relais, comme boucs émissaires er responsables de tous les maux de la France.
Les Roms sont un groupe de population transfrontalière, vivant essentiellement en Roumanie et en Bulgarie, devenus européens en 2010. Cependant, les discours politiques et les commentaires des journalistes amalgament systématiquement d’autres populations (les roumains non-Roms seraient par exemple 3 ou 4 fois plus nombreux que les roumains Roms, en France) pour désigner « les Roms », définis arbitrairement par des critères supposés culturels.
Les stigmatisations créent une altérité indépassable, une frontière étanche. Il s’agit ni plus ni moins d’ériger au cœur de l’identité européenne, un groupe défini ethniquement en victime expiatoire. Le retour de la race en Europe c’est la négation de son histoire.
Leur nomadisme est forcé, tout comme la précarité de leur habitat. L’assimiler à une particularité culturelle relève d’une racialisation de la pauvreté.
Malgré leur faible nombre (12 000 pour toute la France !) qui n’est en rien comparable au « déferlement migratoire », une logique phobique est instaurée : leur mode de vie indigne les rendrait par nature inintégrables.
Les problèmes d’hygiène qui servent souvent d’arguments sont en réalité causés par le refus des collectivités d’assumer le ramassage des ordures. Les pouvoirs publics créent l’insalubrité qu’ils dénoncent en suite. Dans les discours, si rats et excréments indisposent les riverains, ils seraient encore une fois des éléments culturels « roms ».
Le refus d’accorder des inscriptions scolaires pourtant tout autant obligatoires, pour de fausses raisons administratives, relève d’une même volonté de créer des conditions insupportables.
Il s’agit de toujours les montrer moins humains pour justifier de les traiter de façon inhumaine et d’autre part de municipaliser la gestion du « problème » au nom de l’hygiène, de la sécurité des riverains,… pour le dépolitiser.
Le « riverain » devient une figure emblématique incarnant « les vrais gens » sinon « la France d’en bas », tout comme le « bobo » apparait comme un « droit-de-l’hommiste » éloigné des réalités du terrain, coupable d’angélisme. Une colère de proximité s’opposerait à une compassion à distance. Discréditer les militants contribue à dépolitiser le débat.
Ce soucis de répondre aux « vrais problèmes » servit dans les campagnes électorales pour les municipales à rejeter au second plan l’insécurité économique à laquelle il est plus difficile d’apporter des réponses. Cette inquiétude fabriquée de toutes pièces permet d’affirmer un « sentiment de souveraineté ».
Aurélie Fouteau a suivi pendant un an, la vie dans un bidonville en bordure de la N7, à Ris-Orangis d’abord, puis à Grigny. Elle rapporte en détails les nombreuses brimades de la municipalité qui enfreint délibérément le code général des collectivités territoriales en n’assurant pas le ramassage des ordures et ne recordant pas à l’eau les habitations pour prévenir les risques d’insalubrité, en entravant les inscriptions scolaires malgré les rappels de l’inspection académique sur son caractère inconditionnel et l’injonction de la préfecture.
Pour son article, Aurélie Windels a compulsé un certain nombre de cas d’installations de familles Roms dans des communes du Nord ou des quartiers de Marseille. Elle démontre comment la soit disant « colère des riverains » est loin d’être unanime. Quand elle n’est pas purement et simplement fabriquée, elle est le plus souvent instrumentalisée par des élus qui voient là une occasion de faire preuve de détermination et de compréhension. Chose bien plus difficile sur les dossiers habituels : logement, pouvoir d’achat, emploi… Sont décrétés « riverains » tout ceux qui expriment une exaspération, sur la place publique ou dans les médias, même s’ils ne sont pas directement concernés. Une tribune leur est offerte pour dérouler leur liste d’idées reçues sur une population qu’ils ne côtoient pourtant pas. Le terme « riverain » suffit à légitimer leurs propos : ils vivent à côté donc ils savent et s’ils sont en colère c’est qu’ils ont des raisons d’être « exaspérés ».
Les voisins, ceux qui résident réellement près des bidonvilles, se montrent au contraire bien souvent solidaires, compréhensifs et surtout beaucoup plus discrets. On ne les entend jamais. Souvent ils trouvent des solutions simples aux « nuisances ». Par exemple, comprenant que les fumées noires provenaient
Serge Guichard était adjoint à la mairie à Palaiseau lorsque des familles roms s’installent sur la commune. Comme il refuse de se faire complice de l’instrumentalisation politique et dénonce les mensonges du maire, son mandat va lui être retiré. Militant aguerri, il se verra intimidé, notamment par une assignation à comparaitre au tribunal pour « dépôt d’ordures sur la voie publique » suite une action démonstrative pendant laquelle il avait contribué à ériger un mur le long d’une route avec 2 000 sacs poubelles marqués du logo du Conseil général que celui-ci refusé de ramasser. Il raconte son deuil d’un engagement politique au travers de ses mandats et des difficultés notamment psychologique à poursuivre un combat militant dans l’isolement.
Pour terminer, la parole est donnée à des Roms, rencontrés place de la République, à Villebon-sur-Yvette ou dans l’agglomération lilloise. Ils racontent la réalité de leur quotidien, les brimades, les humiliations mais aussi les soutiens. Ils expliquent pourquoi ils sont ici et quels sont leurs projets.
Une petite « chronologie du pire » reprend un certain nombre de déclarations datant de 2010 à 2013 qui, ainsi rassemblées, achèvent de provoquer un sentiment de nausée.
Lecture absolument nécessaire pour aller au-delà des déclarations tapageuses et des successions de faits divers, pour comprendre.
ROMS & RIVERAINS : Une politique municipale de la race
Éric Fassin, Carine Fouteau, Serge Guichard et Aurélie Windels.
242 pages – 13 euros
La Fabrique Éditions – Paris – février 2014
http://www.lafabrique.fr/
À écouter et regarder, la conférence autour de l'ouvrage d'Éric Fassin et Aurélie Windels :
- Première partie
- Deuxième partie
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