La conception d’Iter a été ratifiée en 2001, et le choix du site français validé en juin 2005, contre la proposition japonaise concurrente, avec la promesse d’une augmentation de participation financière de 15%.
Isabelle Bourboulon explique avec force détails le principe scientifique d’un réacteur de fusion, supposé engendrer une énergie colossale. Si le deutérium est abondant car présent dans l’eau de mer, les réserves mondiales de tritium sont de l’ordre de 25 kilos. Or un futur réacteur industriel (celui-ci n’est qu’expérimental !) en consommerait 100 à 200 kilos par an, produisant 30 000 tonnes de déchets radioactifs. Les techniques de confinement magnétique et de chauffage sont certes maîtrisées mais pas suffisamment pour atteindre le seuil nécessaire : la puissance dégagée par la fusion reste encore inférieure à celle qu’il faut fournir. Les descriptions de ce chantier pharaonique et les caractéristiques des installations impressionnent par leur démesure. Le tokamak par exemple, la chambre à vide prévue pour accueillir la réaction, pourra recevoir 840 m3 de plasma, soit dix fois plus que le plus grand tokamak actuellement en activité. Le système magnétique chargé de confiner le plasma, sera constitué de 10 000 tonnes de câbles supraconducteurs et concentrera une énergie de 50 milliards de joules. Le chantier serait entré dans sa seconde phase de construction et 65% des éléments et des systèmes indispensables à la production du premier plasma seraient finalisés.
En 2006, le coût de la construction de la machine était évalué à 4,57 milliards d’euros, son exploitation à 4,8 milliards et son démantèlement à l’horizon 2040 à un demi-milliard. Accumulant les retards et les dépassement de budget, difficiles à évaluer car plus de 90% des contributions des pays partenaires sont en nature, le coût total est estimé, à ce jour, à plus de 40 milliards d’euros, voire 65 selon l’estimation du sous-secrétaire scientifique du département américain à l’énergie. La plupart des contrats sont attribués à des consortium dans lesquels figurent en bonne place Vinci, Engie, Ferrovial, Airbus, Industeel,… Les petites entreprises locales de BTP sont souvent dans l’incapacité de postuler à des marchés de 150 à 500 millions d’euros et ont rarement la trésorerie pour attendre d’être payées deux ans plus tard. La sous-traitance et l’emploi d’ouvriers détachés sont généralisés.
Les techniques sont considérées comme des « absolus se suffisant à eux-mêmes et permettant de régler tous les problèmes », alors qu’elles ne forment que des « intermédiaires entre la communauté des humains et le monde ». « On ne « produit » pas de l’énergie, laquelle est constante au sein de l’univers, on ne fait que parvenir à la capter, avec des instruments et des moyens divers. » Le taux de retour énergétique désigne le ratio entre l’énergie dépensée et celle utilisable. Au début de l’exploitation pétrolière, une unité d’énergie permettait d’en récupérer cent. Avec les gaz et pétroles de schiste, une unité n’en rapporte que 4,5 mais avec Iter, le coût est extravagant : la communication se garde de donner le coût réel des 50 MW qui permettront d’en obtenir 500, d’autant qu'en réalité 300 à 400 MW sont nécessaire à l’ensemble des infrastructures, bien plus que les 50 annoncés, correspondant à la seule puissance de chauffage du plasma. Les promesses d’ « énergie illimitée de la fusion » sont des mensonges qui évitent d’affronter la nécessaire remise en cause de nos modes de vie. Le propre du « technodiscours » est de brouiller les limites entre le réel et le souhaité.
« La construction d’Iter a été décidée en dehors de tout processus démocratique. » Les citoyens français et européens n’ont jamais été consultés à propos du financement d’une expérience aussi controversée et les incertitudes scientifiques ont été minimisées par des discours propagandistes. Le processus de fusion produira d’énormes volumes de déchets radioactifs (parois de la cuve du réacteur et composants internes). Le site de Cadarache est situé à 5,8 km de la faille sismique de la Moyenne Durance, l’une des plus actives de la région provençale. La toxicité du tritium a été sous évaluée : gaz léger, il s’enflamme au contact de l’air, fuit à travers les métaux et entre dans la chaîne alimentaire sous forme d’eau tritiée, pouvant alors se fixer dans l’organisme où il pénètre dans l’ADN des cellules.
La conclusion d’Isabelle Bourboulon est sans appel : « la fusion nucléaire, dont Iter n’est qu’une première étape expérimentale, est définitivement trop chère par rapport à l’efficacité attendue sur le plan de la réduction des émissions. » Plutôt que de « se résigner à financer à fonds (probablement) perdus une entreprise irréaliste », elle propose d’affecter cet argent au développement de l’efficacité énergétique (rénovation thermique, technologie de stockage,…) et des énergies renouvelables. Son enquête, fort sérieuse, fournit des informations essentielles pour la compréhension de ce projet en particulier et des enjeux des politiques énergétiques en général.
SOLEIL TROMPEUR
ITER ou le fantasme de l’énergie illimitée
Isabelle Bourboulon
Préface de Michèle Rivasi
162 pages – 12 euros
Éditions Les Petits matins – Paris – Janvier 2020
www.lespetitsmatins.fr
Isabelle Bourboulon a également contribué à :
Cité dans ce livre:
RépondreSupprimerBertrand Louart, ITER ou la fabrique d’absolu, 2006
https://sniadecki.wordpress.com/2011/11/22/iter-01/
Bonne lecture!