Dans ce discours, Élisée Reclus (1835-1905) revient
sur l’origine ancienne des principes anarchistes. De tous temps il y eu des
hommes unis qui collaborèrent à la naissance d’une société sans maîtres, sans
conservateurs officiels de la morale publique, sans geôliers ni bourreaux, sans
riches ni pauvres mais des frères ayant tous leur part quotidienne de pain et
se maintenant en cordiale union, non par l’obéissance à des lois mais par le
respect mutuel.
L’idéal d’une société pacifique est d’ailleurs un but commun à
beaucoup d’hommes généreux, appartenant aux religions, sectes, partis les plus
divers. Les anarchistes se distinguent par leur lutte contre tout pouvoir
officiel, sachant pertinemment que comme l’a formulé le poète hindou du Mahâbhârata il y a 3 000 ans :
« L’homme qui roule dans un char ne sera jamais l’ami de l’homme qui
marche à pied ! »
La morale ancienne reposait sur la terreur, la
crainte de Dieu. Les relations sociales s’articulent encore autour des rapports
de supériorité et de subordination. La domination est imposée par une
hiérarchie, obligeant chacun à s’incliner devant le supérieur et se redresser
fièrement devant le subordonné.
La morale anarchiste n’est pas un ordre auquel on se
soumet mais une partie de l’être. Il faut chercher âprement la vérité, trouver
le devoir personnel, apprendre à se connaître, faire continuellement sa propre
éducation, se conduire en respectant les droits et les intérêts des autres.
Cette conception est dans la logique de l’histoire,
de l’évolution de l’humanité.
Les Dieux et leur morale, peu à peu s’évanouissent.
La liberté de penser à fait de tout homme un anarchiste sans le savoir. Les
illusions sont dissipées par l’observation et l’expérience du travail
scientifique. Si elle fut tout d’abord aristocratique, elle s’étend désormais
dans les profondeurs de la société. Déjà le respect des puissants se perd et la
critique frondeuse gagne chaque jour du terrain. Le peuple ne croit plus à
l’origine sainte de la propriété privée et n’ignore pas que l’enrichissement
monstrueux est la conséquence d’un faux état social attribuant à l’un le
produit du travail de milliers d’autres.
L’anarchie n’est pas un exercice intellectuel, un
élément de dialectique, car il y a déjà eu, de tout temps, nombre de
réalisations concrètes. Des expériences de colonies libertaires et communistes
existent et dans la vie de tous les jours, la pratique anarchiste triomphe dans
l’entraide spontanée entre voisins.
Élisée Reclus utilise la belle métaphore du
capitaine d’un bateau que l’on pourrait croire « seul maître à bord »
alors que matelots, chauffeurs et mécaniciens s’organisent sans son aide, les
pilotes se succèdent, les cartes et la boussole dirigent réellement, de même
que le chenal à l’entrée du port.
S’il est une société chimérique, c’est bien le
pandémonium dans lequel nous vivons. Elle ne se défend pas par la raison mais
par la schlague, le cachot et l’échafaud. Si des violences seront nécessaires,
elles ne sont rien par rapport à celles imposées par les lois répressives et
les politiques de haine.
On ne peut que fortement que conseiller la lecture
de ce bref texte, d’une grande clarté. Son enthousiasme à penser que ses
adversaires, incertains, abandonneront le monde, peut faire plaisir à entendre mais
semblera naïf.
L’ANARCHIE
Élisée Reclus
58 pages – 2,60 euros
Éditions Mille et une nuits – Paris – janvier 2012
Discours prononcé en 1894 et paru pour la première
fois dans la revue Les Temps nouveaux
en mai et juin 1895.
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