Si Machiavel a écrit Le Prince pour expliquer aux riches comment conserver le pouvoir,
Saul Alinsky décrit dans « Être radical » une méthode pour s’en
emparer. Il s’adresse à ceux qui veulent changer le monde et le faire passer de
ce qu’il est à ce qu’ils croient qu’il devrait être. Il explique comment créer
des organisations de masse capable de prendre le pouvoir et de le donner au
peuple.
« Ce pays
avec ses institutions appartient aux gens qui le peuplent. Ses habitants pourront
chaque fois qu’ils deviendront insatisfaits du gouvernement en place, exercer
leur droit constitutionnel pour l’amender ou leur droit révolutionnaire pour le
démembrer ou le renverser »
déclarait Abraham Lincoln dans son premier discours inaugural en 1861,
pourtant toutes les sociétés découragent ou pénalisent les idées et les écrits
qui menacent le statu quo prévalant,
si bien que les déshérités ne peuvent trouver des textes révolutionnaires que
chez les communistes. Toute idéologie repose sur la croyance en une vérité
première. Or, Saul Alinsky considère qu’il n’existe pas de vérité absolue, que
toute vérité est relative et changeante. Il recommande le doute et
l’incertitude. Il voit le monde tel qu’il est, pas comme il devrait être :
une course au pouvoir où la moralité n’est qu’une justification purement
verbale de l’opportunisme et de l’intérêt personnel. Il conseille de ne plus
raisonner selon la théorie de la causalité selon laquelle une cause produit
obligatoirement un effet et vice verse, mais d’adopter la théorie des quantas,
qui explique qu’une action peut déboucher sur plusieurs probabilités. Dès lors,
tout phénomène est perçu dans sa dualité. Rien n’est positif ou négatif car
tout est lié à son contraire.
Saul Alinsky divise la société en trois
classes :
-
les possédants déterminer à geler le statu quo,
-
les déshérités résignés et fatalistes mais
prêts à remettre en cause le statu quo
à la moindre étincelle,
-
la classe moyenne déchirée entre le désir de
préserver ce qu’ils ont et celui
d’opérer un changement dans l’espoir d’obtenir davantage, ce sont des
schizophrènes sociaux, économiques et politiques.
Profondément optimiste, il est persuadé que l’homme
finira par comprendre qu’il n’y a d’autre issue que dans le partage et la
tolérance, la moralité.
Il a une vision particulièrement pragmatique de
l’éthique de la fin et des moyens, considérant, comme l’écrivait Goethe, que
« la conscience est la vertu de l’observateur, mais sûrement pas celle de
l’homme d’action » et qu’il n’y a pas plus immorale que le refus
systématique de se donner les moyens d’agir. Son analyse de la question est
particulièrement détaillée. Il remarque, exemples à l’appui, que les jugements
en la matière varient selon la distance qui nous sépare de l’affaire, nos
positions politiques, le degré d’urgence, les moyens disponibles, le succès ou
l’échec de l’action, l’importance de l’enjeu,… Chacun veillant à toujours
couvrir ses décisions d’un voile de morale, on ne doit jamais juger de
l’éthique de la fin et des moyens en dehors du contexte de l’action. Il
conseille de savoir surtout s’adapter à tout instant aux circonstances. C’est
l’establishment qui écrit les lois et nomme les juges pour préserver le statu quo. Tout ce qu’entreprendront les
déshérités pour le remettre en question sera tenu pour illégal. C’est pourquoi ceux-ci
doivent veiller à faire appel à une « loi supérieure ».
Avant d’exposer les principes de sa méthode, Saul
Alinsky s’attache à définir certaines notions.
Le pouvoir est l’essence même, la
force dynamique de la vie. La corruption du pouvoir n’est pas inhérente au
pouvoir mais elle est en nous.
L’intérêt personnel
est le moteur de la vie politique. Toujours. Il faut l’admettre et cesser de
penser que l’altruisme et l’abnégation puissent, même ponctuellement, le
remplacer.
Une société libre et ouverte est fondée sur le
conflit, périodiquement interrompu par des compromis. Une société
dépourvue de compromis est une société totalitaire.
Il a fondé une école de formation pour organisateurs
dans laquelle ceux-ci suivent des cessions de quinze mois à plein temps pour
étudier les problèmes de la pratique, l’analyse des schémas de pouvoir, la
communication, la stratégie dans les conflits, la formation et la
multiplication des leaders de communautés. Les évènements deviendront des
expériences lorsqu’ils seront assimilés.
La fonction première d’un organisateur est de
susciter des questions qui dérangent. Il doit faire preuve d’imagination
constante, de sens de l’humour et d’irrévérence, être organisé, avoir une personnalité
forte pour pouvoir se passer de la
sécurité d’une idéologie.
La communication est un processus à double voie. Il
n’y a communication que lorsque les gens comprennent. Pour cela il faut faire
appel à leur expérience et donc prêter attention à ce qu’ils disent. Un
discours purement théorique n’aura qu’un impact très limité.
Pour que les gens s’intéressent à un problème, il
faut leur faire sentir qu’ils ont le pouvoir de changer une mauvaise situation.
Le pouvoir d’abord, le programme ensuite.
L’organisation doit être utilisée au maximum comme
un mécanisme d’éducation, mais éducation n’est pas propagande.
La tactique est l’art de savoir comment prendre et
comment donner. Saul Alinsky résume ce principe par l’image des yeux, des
oreilles et du nez. Si vous êtes nombreux, montrez le. Sinon, faites du bruit.
Et si vous n’êtes que quelques uns, empestez les lieux. Le pouvoir n’est pas
seulement ce que vous avez, mais aussi ce que l’ennemi croit que vous avez.
Il faut veiller à ne jamais sortir du champ de
l’expérience des membres du groupe et au contraire entrainer l’ennemi hors du
sien.
Il faut l’acculer à suivre à la lettre son code de
conduite et, dès que possible, le ridiculiser.
Les militants doivent éprouver du plaisir à
appliquer la tactique, c’est pourquoi elle ne doit pas trop trainer en
longueur. Il faut donc savoir tirer parti de tous les événements et maintenir
une pression constante pour provoquer des réactions.
La menace effraie généralement davantage qu’une
action elle-même.
Un handicap peut devenir un atout.
Une attaque ne peut réussir qu’à condition d’avoir
une solution de rechange.
Il faut savoir choisir sa cible, la figer, la
personnaliser et la polariser.
Saul Alinsky apprend à pratiquer un jiu-jitsu de
masse. Il illustre ces quelques règles d’exemples abondants et éclairants.
Il ne faut pas craindre l’emprisonnement qui permet
déjà de prendre un peu de recul par rapport à l’enchaînement des actions, tout
en dramatisant un conflit et renforçant considérablement la position des
leaders et leur identification avec la masse.
En conclusion, Saul Alinsky lance un appel à une vie
qui ait du sens en direction de la classe moyenne à laquelle s’identifient les
trois quarts de la population. Son action sera déterminante pour le changement
et pourrait provoquer la deuxième révolution américaine. Insécurisés dans un
monde qui change vite, ses membres s’accrochent à des repères illusoires qui
leur paraissent réels. Pourtant ils ont su s’organiser en utilisant la méthode
des procurations qui a permis de contraindre le système économique libéral à se
réformer. Les nombreux petits actionnaires ont su faire plier la société Kodak
notamment, l’obligeant à renoncer en partie à la discrimination.
Parue en 1971, cette méthode est la théorisation d’une
longue pratique. Sa lecture est d’autant accessible que de nombreux récits l’illustrent.
Autant d'idées immédiatement applicables. Si l’optimisme de son auteur n’a pas entrainé de bouleversements complets de la
société, il a certainement accompagné bien des conflits.
Un livre sans aucun doute utile.
ÊTRE RADICAL
Manuel pragmatique pour radicaux réalistes
Saul Alinsky
Traduit de l’anglais par Odile Hellier et Jean
Gouriou
Préface de Nic Görtz et Daniel Zamora
280 pages – 16 euros
Éditions Aden – Bruxelles – janvier 2012
Édition originale : Rules for radicals, 1971
Ça semble très intéressant et outil efficace pour tout changement de pouvoir qui soit le plus favorable aux classes desgeritrsd et le moins corrompu possible.
RépondreSupprimer