Eugène Cotte, né en 1889 dans une famille de paysans
du Loiret est très tôt révolté par une injustice infligée à sa sœur ainée qui,
séduite puis abandonnée, sera stigmatisée y compris par ses propres parents
pour avoir donné naissance à un enfant illégitime. La lecture des
« Misérables » de Victor Hugo le bouleverse et l’éclaire sur le
fonctionnement de la société en le laissant toutefois sur sa faim car n'y trouvant pas de propositions de changement.
L’observation de son milieu social avec l’inégale
répartition des richesses et des misères, achèvera de forger sa conscience politique
tant la propriété privée lui paraît inacceptable notamment sa transmission par
héritage : « Un homme en venant au monde vaut-il mieux qu’un
autre ? »
La rencontre de militants socialistes et anarchistes
des villages alentour l’amènera à la lecture de la presse syndicaliste,
notamment anarchiste, non sans jamais abandonner ses propres réflexions. Ainsi
il reproche aux syndicalistes d’avoir instauré une bureaucratie supplémentaire
et une centralisation, aux communistes d’escompter une révolution en renonçant
à l’émancipation des ouvriers par l’éducation, aux individualistes d’être
encore plus méprisant vis à vis des travailleurs et de chercher une
justification politique à leurs larcins.
Insoumis, il fuira la conscription et ira travailler
en Suisse. Arrêté lors d’un séjour à Lyon, jugé puis enrôlé, il s’infligera une
grève de la faim discrète pendant plus de 130 jours, pour simuler une maladie
et se faire réformer.
Titulaire du seul certificat d’étude, il livre le
récit de sa vie, de ses engagements, avec un rare regard critique et une
érudition politique parfois approximative mais extrêmement nourrie. On comprend
le contexte historique de l’entrée en guerre grâce à une description précise des
différentes tendances antimilitaristes ainsi que leurs évolutions. L’histoire
d’Eugène Cotte nous permet surtout de saisir comment peut naitre une prise de
conscience politique dans un milieu où, au début du XXème siècle, rien
ne l’encourage, pas même l’instruction publique. Développant une pensée théorique
personnelle, il veillera toujours à mettre ses actes en accord et ne sera
jamais dupe de ses inévitables contractions, notamment lorsqu’il rejoindra le
front en 1914 pour être aux côtés du peuple dans ses souffrances.
Blessé en 1916, c’est sur son lit d’hôpital qu’il
rédige son texte et le conclu par un puissant plaidoyer pacifiste : « le
seul moyen de vivre librement et paisiblement est d’abord de rendre les
richesses du pays au pays lui-même et non à quelques profiteurs qui vivent
grassement sur la misère des autres, et de vous organiser sans jamais prendre
de chefs qui vous tromperont toujours, ni abdiquer la plus infime parcelle de
votre volonté, ni de votre liberté, entre les mains de représentants et de
gouvernants. » « Si tu veux la paix, prépare la paix ! »
Eugène Cotte impressionne par son érudition et sa
lucidité. Son témoignage est autant une leçon de vie qu’un modèle d’exemplarité
tant il veilla à ce que toujours son existence soit en accord avec ses profondes
convictions.
JE N’IRAI PAS : Mémoires d’un insoumis
Eugène Cotte
242 pages – 15 euros
Éditions La Ville brûle – Montreuil – juin 2016
À noter l’excellent travail éditorial et notamment
de l’appareil critique qui vient préciser les nombreux détails contextuels et autres
références, sans jamais étouffer le récit.
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