Chaque mois depuis 1954, Le Monde diplomatique aborde avec le recul nécessaire des sujets d’actualité ou d’autres dont on parle moins. Indépendant financièrement, fort de ses dix-neuf traductions diffusés dans trente pays, il continue à produire un journalisme engagé, « permettant de comprendre le monde dans l’espoir d’en infléchir le cours. » Chaque mois, nous rendrons compte désormais ici de quelques uns de ses articles.
L’intervention du sociologue Bernard Friot mérite amplement d’être lu et ses propositions alimenteront sans aucun doute les débats. Il invite à rompre avec « quarante années de batailles perdues parce que menées dans les termes imposés par l’adversaire. » Il conseille aux contestataires de Macron et du monde qu’il incarne, de changer radicalement de stratégie, de ne plus se positionner en victimes du capitalisme réclamant une plus juste répartition des richesses mais en producteurs de celles-ci. Le discours capitaliste identifie la production aux seules activités menées dans le cadre de la subordination à un employeur propriétaire de l’outil de travail, en vue de la mise en valeur d’un capital, alors que dans la loi de 1946 sur la mise en place de la sécurité sociale, par exemple, Ambroise Croizat avait érigé l’éducation des enfants par leurs parents au rang de travail productif. Ceux qui déterminent quelles activités constituent ou non un travail détiennent le pouvoir sur la production. Bernard Friot propose l’instauration de caisse spécifiques, alimentées par des cotisations prélevées sur la valeur ajoutée pour permettre d’attribuer trois nouveaux droits : un salaire à vie qui entérine pour chacun le statut de producteur de valeur (et non de richesse), la propriété d’usage des outils de travail et la participation aux instances de coordination de l’activité économique.
Difficile de comprendre la crise catalane sans la resituer dans son contexte historique. Sébastien Bauer nous explique dans son article que la Constitution provisoire de 1978 n’a jamais évolué mais a au contraire été sanctifiée. La société espagnole est restée bloquée au statu quo de cette transition démocratique, compromis entre démocratie et franquisme pour éviter que la guerre civile ne reprenne. La transformation économique, sociale et culturelle est manifeste, notamment grâce à l’entrée dans le marché commun en 1986, mais elle masque l’absence de réformes constitutionnelles. M. Rajoy exploite la stratégie de la tension, en transformant un problème politique en un problème juridique, plus pour tenter de sauver son parti que pour résoudre la question catalane.
L’article sur les APL et l’habitat social est vraiment intéressant car il permet d’avoir en même tous les éléments pour comprendre l’enjeu de la réforme actuelle et de la mettre en perspective des précédentes. En 2017, plus de six millions de ménages touches une APL, pour un montant moyen de près de 300 euros par mois. Le risque inflationniste dont en accuse cette aide pour justifier sa baisse n’est pas si évidente car les études ne tiennent pas compte de la hausse qualitative des logements ni du déficit de l’offre. Même en l’admettant, la baisse des APL ne provoquerait pas de baisse mécanique des loyers, notamment dans les zones en tension où la demande excède l’offre. La réforme Macron n’est guidée, comme les précédentes, que par un soucis d’économie budgétaire. Elle est inédite car elle ne s’attaque plus au bénéficiaires jugés illégitimes mais va mettre à contributions les bailleurs sociaux. Leur manque à gagner serait de 1,4 milliards d’euros, soit les trois quarts de leur capacité d’investissements dans la production de logements neufs. 250 000 emplois dans le BTP seraient menacés. « Si le coût des APL s’est envolé, c’est avant tout parce que les revenus des ménages n’ont pas suivi l’inflation immobilière. »
Si la sortie du nucléaire s’avère incertaine dans les pays riches, elle est encore moins à l’ordre du jour dans les pays en difficulté, même si les installations présentent des risques majeurs.
La centrale nucléaire de Metsamor subvient à 40% des besoins des Arméniens. Mais le gouvernement dissimule les conclusions alarmantes d’un rapport daté de 1992 et signé par quatre chercheurs de l’Académie des sciences russes : elle est construite à proximité immédiate (cinq cent mètres) d’une faille tectonique. En 1988, une secousse de magnitude 6,9 sur l’échelle de Richter détruisit la ville de Spitak située à 70 kilomètres au nord, tuant 25 000 personnes.
Au Mexique, les médias nationaux dépendent à 70% pour leurs financements des achats d’espace publicitaires par les institutions publiques. Pour les journaux locaux, cette dépendance atteint 90%. Les journalistes qui rechignent à se montrer complaisant avec le pouvoir disparaissent. Depuis le début de l’année, onze ont été assassinés. Cent pour cent de ces crimes restent impunis. Un second article décrit un niveau de fraude rare dans la plupart des scrutins. C’est pourquoi Mario Vargas Llosa a pu affirmer que « la dictature parfaite n’est pas la Cuba de Fidel Castro : c’est le Mexique parce que c’est une dictature tellement camouflée qu’elle semble ne pas en être une. »
Au prétexte de lutter contre l’encombrement des cours d’assise, 60 à 80% des affaires de viol poursuivies en France sont requalifiées en agressions sexuelles, voire en attentats à la pudeur, c’est-à-dire en délits, pour être jugés par les tribunaux correctionnels. Souvent au mépris des victimes et de leur besoin de reconstruction et pour le traitement de la récidive.
LE MONDE DIPLOMATIQUE N°764
Novembre 2017
28 pages – 5,80 euros
Éditions Le Monde diplomatique – Paris – Novembre 2017
Sommaire complet : https://www.monde-diplomatique.fr/2017/11/
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