17 mars 2021

JOURNALISME

Fort d’un parcours atypique, Olivier Villepreux interroge la notion de journalisme, alors que les principaux médias appartiennent à des groupes financiers ou industriels, que l’information défile en continu sur nos écrans et que le « droit d’informer » s'est élargi aux non-professionnels, lesquels s'imposent pas nécessairement de respecter certain nombre de préalables éthiques avant de livrer une nouvelle.
La dernière élection présidentielle aux États-Unis a permis de mettre en valeur la presse « légitime », celle qui, déployant son savoir-faire, sapait la propagande de Donald Trump en établissant des vérités. Pourtant le travail journalistique, de vérification de l’information et de contre-expertise, coûte cher alors qu’une large partie de la population est plus sensible à des informations moins nuancées, plus courtes, plus immédiates. Seul le droit général et la jurisprudence restreignent le droit d'informer un large public. La Cour européenne peut examiner en dernier recours la légitimité de la diffusion d'une information, notamment dans un intérêt supérieur aux éventuelles contraventions au droit national qui ont permis son obtention.
« L'État légifère rarement sur le droit de la presse qui est constitutionnellement garanti. » Cependant, l'article 24 de la loi de sécurité globale, basculé ensuite à l'article 18 du projet de loi contre les séparatismes, entendait contrôler et punir la diffusion d'images de policiers dans l'exercice de leurs fonctions lorsqu'elle portait atteinte à leur « intégrité physique ou psychique ». Dans la mesure où existait déjà un arsenal législatif pour la protection des policiers, cette loi était clairement une atteinte au droit à la liberté d’expression.
Olivier Villepreux considère que « la sacro-sainte, mais fumeuse, garantie d’objectivité » ne peut être un critère de définition du journalisme. D’une part, il ne saurait y avoir de neutralité puisqu’il y a toujours une intention dans le choix d’un sujet, d’autre part, le respect de la déontologie tient autant à la bonne volonté des journalistes et à leurs employeurs.
Il estime, de la même façon, que la carte de presse, le statut, ne sont des garants suffisant puisque la majorité des journalistes se retrouvent salariés de « solides capitalistes aux orientations politiques et intérêts clairs » dont ils devraient être fondés à dénoncer les pratiques affairistes et d’influences. La presse d’entreprise et de communication entre également dans ce cadre, tout comme les médias de propagande (« Le Média » de la France insoumise, CNews où se produit Éric Zemmour). Il rappelle que selon les voeux du Conseil national de la Résistance, transcris dans les ordonnances de 1944, la presse devait être indépendante du pouvoir gouvernemental, un instrument de culture plutôt que de profit commercial. Pourtant ces idéaux n’ont pas tenu longtemps. Placée sous perfusion financière de l’État, la presse s'est rendue dépendante de ces aides. Dès 1947, pour affaiblir les journaux communistes et socialistes, le privé est revenu en force (avec Jean Provost, puis Robert Hersant). « En grande partie inappliqués, les textes de 1944 furent modifiés en 1986 par le gouvernement Chirac, favorisant le début de la concentration des médias livrés aux mains d'hommes d'affaires conservateurs. »
L’auteur consacre un chapitre au gâchis que représente la numérisation de l’information. « Aucun grand patron de presse n'a investi dans cette nouvelle technologie suffisamment pour en tirer parti. On s'est contenté d'utiliser le réseau d'abord comme vitrine élargie afin d'attirer de la publicité et de réduire la distance entre éditeur et lecteur. Durant la période où cette extension du journal papier était gratuite, les directeurs de rédaction ont été naïfs, se contentant de reproduire des articles en ligne, ou pire, de les enrichir, mais entre-temps des plates-formes commerciales se sont créées et ont drainé toute la valeur de la publicité, exploitant des échelles d'exposition bien supérieures aux possibilités d'un seul journal. De fait, la presse n'a plus eu de publicité pour elle. Elle n'a pas su sécuriser son biotope en créant ses propres réseaux sociaux, ses plateformes, ce que pourtant d'autres entreprises ou institutions ont réalisé. » « La presse n'a tiré aucun avantage de ses économies sur les coûts d'impression et diffusion. » Paradoxalement, avec la profusion d’informations, le lecteur trace son propre chemin dans la jungle numérique, validant ses convictions au lieu de les confronter à des idées contraires. « Il fait de son journal un miroir de lui-même. » Pour les journalistes, internet a accéléré le processus de fabrication, les rendant peu prospectifs, immobilisés devant leurs écrans, nourris d’informations diffusées par des agences et des moteurs de recherches dominants. Un plafond de verre s’est créé, notamment dans le relais systématique de la parole politique, même lorsque celle-ci véhicule des contre-vérités. Après l’affirmation d’Emmanuel Macron en mars 2019 : « Il n’y a pas de violences policières », il a fallu des mois pour que se construise un contre-discours dans les médias. Aussi, le journalisme est-il plus perçu comme un « agent de liaison ou, pire, une caste de penseurs publics professionnels et autoproclamés » plutôt que comme un défenseur des droits.
Olivier Villepreux, qui a appris le métier « sur le tas », n’appartenait à aucune « promo » et ne possédait pas les mêmes codes que ses confrères en débutant, décrit le formatage des écoles de journalisme qui « créent une souplesse mentale qui permet de s'adapter habilement d'un média à l'autre, de manière à conserver son métier davantage qu'à le réinventer ». Il pointe également le recours à des « spécialistes » en remplacement du travail d’analyse des journalistes.
Il conclut que seraient aujourd’hui nécessaires des « journaux ou médias référents qui imposent à leurs salariés un code de conduite plutôt qu’une carte de presse », ainsi qu’une clarification pour mettre fin à la confusion des métiers (animateurs, commentateurs et présentateurs ne pratiquent pas le journalisme).

Excellent état des lieux sur une profession, une pratique, un « mot trop large pour ceux qu’il désigne » et vaste questionnement des différents écueils qui entravent l’approche « au plus juste, au plus près de la vérité ».

Ernest London
Le bibliothécaire-armurier



JOURNALISME
Olivier Villepreux
117 pages – 9 euros
Éditions Anamosa – Collection « Le mot est faible » – Paris – Mars 2021
anamosa.fr/produit/journalisme/

 

 

 

 

 




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire