« Il est plus que probable qu’une part des problèmes que nous rencontrons aujourd’hui ait pour origine l’inflation immaîtrisée de certaines représentations occidentales de l’environnement. Elles se caractérisent, pour simplifier, par une séparation radicale entre l’homme et la nature et favorisent sans doute, à travers une conception particulière de la place de l’être humain (plus exactement certains d’entre eux…) dans le monde, un esprit de domination qui tend d’ailleurs ses effets bien au-delà de l’objet premier. » Cette distinction figure dès la Genèse, puis est cristallisée par Descartes et par le positivisme scientifique au XIXe siècle. « On se présente (…) en dominateur de la nature alors qu’il nous est démontré tous les jours que nous en dépendons. » Les éléments qui composent l’environnement sont dynamiques, forment « des systèmes hautement élaborés » et interagissent à travers des corrélations à court, moyen et long terme, et des liens de causalités eux-mêmes enchevêtrés. Des sciences innombrables, de la géographie à l’économie, de l’anthropologie à l’histoire, de la philosophie à la sociologie, produisent sur lui des regards différents et neufs, qu’il convient d’articuler, dans toute leur complexité, ce qui ne manquera pas de faire surgir des contractions : une éolienne, par exemple, favorisera la réduction de gaz à effet de serre, mais sa construction aura des effets nocifs sur les écosystèmes.
Les données démographiques, alors que nous n’étions que 900 000 millions au début de l’ère industrielle, couplées avec les technologies et les innovations, contribuent à la modification de notre environnement, prélèvements et empreintes entrainant des conséquences désormais spectaculaires, au point qu’une nouvelle époque géologique a pu être identifiée et nommée anthropocène. Les sociétés sont passées
de l’hyperconsommation au gaspillage. « Tout un système publicitaire escamote ou enfouit, contourne, joue sur le fil ou au chat et à la souris avec les autorités de contrôle et de régulation. Il orchestre ainsi les ventes et alimente la pompe à produire, à grand renfort de substances et mécanismes additifs. Il huile et fluidifie les canaux et circuits et s’emploie à dissoudre nos dissonances cognitives à coup de “produits du terroir“ (plus souvent “terroir-caisse“ en vérité), de “compensation carbone“ et d’authenticité. » La volonté politique se manifeste par de belles déclarations d’intention qui s’édulcorent souvent lors de leurs traductions juridiques et avec l’apparition de multiples dérogations, exemptions, exceptions.
Laurent Fontbaustier propose d’introduire au coeur des démocraties, plus à même, selon lui, de « se réformer », « un nouvel espace-temps bousculant les institutions traditionnelles en rendant compte d’une manière inclusive des problématiques environnementales ». Il s’agirait de créer, en contrepoint des chambres parlementaires, « des assemblées d’experts sollicités en fonction des sujets abordés », qui pourraient disposer de droit de veto ou d’initiative, et pas seulement se contenter d’émettre des avis. Une représentation des animaux, des générations futures, pourrait être envisagée au sein des instances parlementaires, et même un « Parlement des choses » (Bruno Latour) pour défendrait les intérêts non-humains. Les décisions publiques devraient intégrer l’extrême urgence de la situation et le soucis du long terme, peu compatibles avec la logique électorale et la durée des mandats qui favorisent plutôt l’émotion. « La séparation des pouvoirs, vieille lune de la pensée politique, gagnerait à être réactivée et déclinée tous azimuts dans le cadre de la démocratie environnementale. » Il met toutefois en garde contre l’avènement d’une « démocratie de l’expertise » qui risquerait de réduire les prises de décisions à des réponses mécaniques aux injonctions environnementales, tandis que certains objectifs ne pourraient être atteints que sous un régime autoritaire ou dictatorial. Au contraire, une « délibération environnementale » dynamique serait une garantie de l’acceptabilité des solutions, à condition de fournir suffisamment d’informations sur l’ampleur et la gravité des enjeux. Cette « démocratie environnementale » serait nécessairement polycentrique, dialectique et continue.
Les théories du contrat social des XVII et XVIIIe siècle mettent en avant l’idée de sécurité et les Constitutions, même libérales, qui s’en inspirent reposent « sur un abandon consenti de souveraineté individuelle », sur l’idée d’une relativisation des droits et des libertés. L’introduction d’impératifs environnementaux s’accomplit sous formes d’objectifs, entre protection, préservation et conservation, ou bien de nouveaux droits fondamentaux. Il s’agit de transformer, « par l’outil juridique, l’ordre des fins dans nos sociétés politiques ». « L’écologie politique irriguant une telle constitution repose sur un certain “holisme“, une conception systémique globale enracinée dans les choses communes où nous prendrions place. » « En quittant notre état primitif, nous avions perdu en cours de route la nature, et voilà qu’il s’agit de “renouer“, avec pour horizon une utopie réaliste racontant de nouvelles manières d’“être(s)-ensemble“. » « L’essentiel est de comprendre que la préservation des éléments vitaux du monde est une exigence incommensurable. Sa tiède mise en balance avec les droits et libertés classiques (propriété, libre entreprise, aller et venir, etc.) n’est plus appropriée car l’environnement est situé sur un plan différent : il est en effet la condition même de possibilité de tous nos droits en tant qu’il conditionne la vie, sans laquelle le droit lui-même deviendrait impensable. En réalité, un environnement équilibré, sain et protégé est la première et ultime garantie de nos libertés. »
Renoncer à la conception utilitariste anthropocentrique de la nature, reconsidérer l’interdépendance entre l’homme et son « lieu de vie », nécessite de changer radicalement les standards de vie individuels. La nécessaire satisfaction des besoins physiologiques primaires doit être défini, ainsi que ses conditions de réalisation. Cette détermination oblige « à s’extraire d’un système de pur marché et d’un néolibéralisme économique en mal constant de discernement. Et l’on comprend pourquoi le “développement durable“ n’est aujourd’hui, dans le meilleur des cas, qu’une fable devenue en réalité oxymore. » Les question des transports, de l’habitat, de l’alimentation, doivent être abordées sous un angle moral, une fois révolue l’ignorance des citoyens, savamment entretenue, quant aux implications de leurs actes. Cependant, si une minorité affiche des bilans écologique et carbone intenables pour l’ensemble, une grande partie de l’humanité dispose encore d’une grande marge jusqu’à la sobriété. Si les technologies nous ont délivrés de pénibles sujétions, l’extension de leur emploi n’est jamais soumis à interrogation sur la soutenabilité de leurs conséquences. Les gouvernants ne mettent jamais en débat leurs décisions avant de poursuivre la course au progrès.
L’auteur prévient, en guise de conclusion, que refuser de changer notre organisation ou nous contenter d’un monde « soutenable », nous conduit droit dans le mur : « Le XXIe siècle sera écologique ou nous ne serons plus. »
Avec une plume d’une constante élégance, mâtinée de bons mots qui jamais ne sacrifient à la rigueur de l’exposé, Laurent Fontbaustier esquisse des pistes essentiellement juridiques. Si leur mise en place semblera bien aléatoire, même si aujourd’hui un tribunal administratif vient de condamner l’État français pour inaction climatique (à un euros symbolique et sans autre contrainte), il ne faut toutefois négliger aucune stratégie (à condition d’accepter de les envisager toutes). Le chemin qu’elles dessinent peut tout au moins constituer la base d’un système éthique défendable.
ENVIRONNEMENT
Laurent Fonbaustier
96 pages – 9 euros
Éditions Anamosa – Collection « Le mot est faible » – Paris – Janvier 2021
anamosa.fr/produit/environnement
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