Aux États-Unis, on grandit en apprenant que les
américains font tous partie d’une belle
et grande famille, alors que dès le départ, ce fut un pays de riches et de
pauvres, de propriétaires terriens et de fermiers, de maîtres et d’esclaves. De
tous temps rébellions, soulèvements, émeutes de la faim dans les villes y ont
fait rage.
Comme l’armée de George Washington éprouvait des
difficultés de recrutement, les jeunes du Sud s’engageaient sous la contrainte
des fusils. Des mutinés par milliers furent exécutés pour l’exemple par leurs
propres camarades. Démobilisés après la révolutions, ils croulèrent ensuite
sous les taxes instaurées par les riches dominant les assemblées législatives
des États, sur les terres qu’on leur avaient octroyées en récompense. En 1786
et 1787, ils se sont insurgés contre les saisis de leurs fermes. Cette révolte
de Shays fut écrasée mais les pères fondateurs veillèrent, en rédigeant la
Constitution, à mettre en place un État fort, apte à réprimer les rébellions
des pauvres et des esclaves.
La plupart du temps, le gouvernement ne défend pas le
bien commun mais les intérêts de l’élite fortunée. Cependant, dans les années
1930 et 1960, des mouvements de protestation ont pu le contraindre à agir en
faveur des défavorisés et des démunis.
Les États-Unis entretiennent également le mythe
de l’exceptionnalisme, idée selon laquelle ils seraient uniques,
différents, supérieurs, incarnant la liberté et la démocratie et voués à les
apporter au reste du monde. Cet argument, depuis toujours, a été utilisé pour
justifier l’expansion territoriale. La « marche vers l’Ouest »,
l’achat de la Louisiane laissent entendre que ces territoires étaient vides et
dissimilent la violence envers les tribus autochtones qui y vivaient. La
« cession mexicaine » comme plus tard la libération de Cuba, des Philippines
(600 000 morts !) et jusqu’à l’Irak, masquent des guerres sanglantes.
Le
patriotisme américain
est entretenu pour empêcher toute critique du gouvernement, notamment en temps
de guerre, systématiquement assimilée à une attitude anti-patriotique.
Pourtant, la Déclaration d’indépendance affirme que les gouvernements sont
établis par le peuple et existent en vue de l’accomplissement de certaines
fins, dont le droit pour tous à la vie, à la liberté et à la recherche du
bonheur. Elle stipule que « Toutes les fois qu’une forme de gouvernement
devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer, de l’abolir
et d’établir un nouveau gouvernement. »
Pour amener la population à soutenir les guerres,
est également entretenue l’idée que la
force militaire serait le seul moyen de mener à bien un projet, par exemple
la lutte contre le terrorisme. Celui-ci n’est-il justement pas engendré par le
bellicisme des États-Unis qui indigne des millions de personnes dont
quelques-unes adoptent le fanatisme ? La commission d’enquête sur les
attentats du 11 septembre affirme noir sur blanc dans son rapport que le
ressentiment contre la politique étrangère américaine au Moyen-Orient est l’une
des causes fondamentale des actions d’Al-Quaïda. Howard Zinn conclu que lutter
contre le terrorisme par la guerre c’est lutter contre le terrorisme par le
terrorisme et qu’il faut renoncer à l’idée de guerre légitime, de guerre juste.
Les dirigeants ne pourront plus mener de guerre lorsque suffisamment de gens
manifesteront leur désaccord. Ils ne le pourront sans notre obéissance et notre
consentement.
Barack Obama, par exemple, ne peut mener de
politique intérieure audacieuse tant qu’il persiste à mener une politique
étrangère militariste. Le budget militaire draine 600 milliards de dollars.
Il faut cesser de croire en l’avènement d’un chef pour que changent les choses. Ce ne sont
jamais les présidents, le Congrès ou la Cour suprême qui ont amélioré la
société mais plutôt l’action des gens ordinaires, comme les militants
anti-esclavagistes. Lincoln n’aurait jamais signé la Proclamation
d’émancipation sans la pression d’un vaste mouvement. La journée de huit heures
ne serait encore qu’une utopie si les travailleurs n’avaient pas fait grève,
non sans remous. Pour mettre fin à la ségrégation, les Noirs ont dû descendre
dans les rues par centaines de milliers, enfreindre des lois, commettre des
actes de désobéissance civile, aller en prison, se faire battre, voire se faire
tuer.
L’élection d’Obama crée des attentes qui devront
être satisfaites. Howard Zinn pense que les circonstances sont favorables à
l’émergence d’un nouveau mouvement social. Il propose que les États-Unis
cessent d’être une superpuissance militaire et deviennent une superpuissance
humanitaire.
Dans un second texte, il expose les distinctions entre loi et justice.
La
désobéissance civile est une infraction délibérée à des fins
sociales et non pour son bénéfice personnel. C’est un refus d’obéir à la loi de
manière absolue.
Il y a consensus pour considérer que l’ordre et la
loi sont indissociables et que toute agitation conduit au désordre sinon au
chaos. Howard Zinn rétorque que l’obéissance aveugle à des lois ne respectant pas
la justice est certainement plus menaçante que des manifestations qui ont pour
résultats une saine reconfiguration de l’ordre social en vue d’une amélioration
de la justice (par exemple, la fin de la ségrégation). L’époque moderne a
instauré la primauté du droit sur l’arbitraire d’un individu. Impersonnel,
neutre, consigné par écrit, il semblait devenir égalitaire et démocratique
alors que fondamentalement l’inégalité du partage de la richesse et du pouvoir
demeurait, renforcé par en vertu de l’autorité de la loi. Les plus grandes
fortunes ont été amassées en toute légalité, soutenues par les lois relatives
aux contrats et à la propriété, sanctionnées par des juges bienveillants,
prises en charges par des avocats d’entreprise astucieux, calculés par des
comptables grassement payés. La Constitution a d’ailleurs été conçue par des
hommes riches, marchands et esclavagistes pour la plupart, qui avait besoin
d’un minimum de démocratie politique et certainement pas de démocratie
économique. Cette professionnalisation de la justice, séparée de la politique,
sert donc essentiellement à masquer toute finalité idéologique.
Depuis Socrate, s’impose l’obligation d’obéir à la
décision de l’État. Pourtant la désobéissance au gouvernement qui contrevient
aux principes de justice et de démocratie est certainement plus légitime que
l’adoration servile et la sujétion aveugle.
En cas de condamnation, accepter un emprisonnement
peut avoir l’effet d’une déclaration publique mais refuser un châtiment injuste
est un refus d’allégeance à des lois injustes.
La désobéissance civile ne constitue pas une rupture
avec la démocratie. Elle est absolument essentielle car permet de franchir les
barrières érigées par la tradition et les préjugés. Il s’agit d’une saine et
nécessaire perturbation. L’histoire montre que les pires atrocités (guerres,
génocides, esclavages) résultent de l’obéissance.
Howard Zinn évoque notamment la guerre du Vietnam,
rappelant qu’un demi-million d’hommes a résisté à la conscription, dont 200 000
ont fait l’objet d’accusation et 3 000 ont pris la fuite. Seuls 8 750 ont été
condamnés pour insoumission.
Les juges parlent rarement du droit pour les jurés
de rendre un verdict selon sa conscience plutôt que selon les strictes
exigences de la loi.
Howard Zinn appuie son analyse
sur l’histoire de son pays pour définir la mentalité américaine. Pertinent et
iconoclaste, il permet ainsi de faire comprendre les politiques des différents
gouvernements et les réactions du peuple américain. Afin de susciter des
mobilisations, il défend l’usage de la désobéissance civile en développant une
argumentation particulièrement précise et congrue. Cette lecture est
judicieusement complémentaire de celle de LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE. de Thoreau
LA MENTALITÉ AMÉRICAINE
Au-delà de Barack Obama
Howard Zinn
Traduit de l’anglais par Nicolas Calvé
134 pages – 8 euros.
Éditions Lux – Collection « Instinct de liberté » – Montréal – octobre 2009
La collection « Instinct de liberté »,
dirigée par Marie-Ève Lamy et Sylvain Beaudet, propose des textes susceptibles
d’approfondir la réflexion quant à l’avènement d’une société nouvelle, sensible
aux principes libertaires.
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