L’économiste et sociologue Silvia Pérez-Vitoria
dénonce avec ce manifeste une société industrielle qui écrase les individus,
les mettant sous dépendance et contrôle pour les transformer en sujets
économiques. Livre après livre, elle dénonce la disparition des paysans et
soutient leur combat.
Elle exprime ses colères, contre la marchandisation
et la financiarisation des phénomènes naturels, contre l’accaparement des
terres agricoles pour produire des agro-carburants, des cultures d’exportation
ou à des fins simplement spéculatives, contre l’industrie extractives dont 75%
des sociétés à caractère international ont leur siège au Canada, contre le
verrouillage des échanges agricoles en lieu et place de « libéralisation
des marchés » fondée sur la théorie des avantages comparatifs (dans
l’échange, chacun y gagne !) alors que la très forte concentration des
multinationales laisse peu de place à la « libre concurrence »
(quatre entreprises dominent le commerce des matières premières agricoles et
contrôlent 75% du marché des céréales), contre la criminalisation de
l’utilisation des semences et des préparations naturelles traditionnelles alors
que les effets négatifs des pesticides sont reconnus au plan sanitaire et
écologique, contre la transformation de l’élevage en production animale, contre
le formatage intellectuel d’experts qui prônent une idéologie du développement
ne laissant aucune place aux paysans.
Elle livre des exemples pour le moins édifiants, en
Europe mais aussi en Afrique et en Amérique Latine.
Les paysans du Ghana abandonnent leur production de
tomates face à l’importation de sauces tomate chinoises et italiennes bon
marché et se retrouvent ouvriers agricoles dans les Pouilles !
Le Mexique qui était autosuffisant en 1960 importe
aujourd’hui 50% de son alimentation (un tiers de son maïs, 50% de ses haricots
rouges et 80% de son riz) à cause du Traité de libre-échange signé avec le
Canada et les États-Unis.
L’imbrication entre l’économie et l’écologie est
telle que les marchés du carbone, par exemple, institués par le protocole de
Tokyo en 1997, ne sont qu’un leurre pour créer de nouveaux marchés lucratifs.
Silvia Pérez-Vitoria dénonce ensuite ce qu’elle
considère comme des impostures.
Les fondateurs de l’agriculture biologique avaient
inscrit leur démarche dans des principes philosophiques et sociaux forts :
critique d’une science de laboratoire coupée de la réalité de terrain,
valorisation des connaissances paysannes, prise en compte des processus
naturels, remise en cause du primat de l’économie et de l’argent. Mais
l’idéologie du développement, de la compétitivité, de la performance, ainsi que
la survalorisation de la technique ont aussi contaminé les agriculteurs
biologiques.
La question de la faim dans le monde constitue une
véritable pierre d’achoppement dans un système de surabondance alimentaire
puisqu’aujourd’hui un milliard d’êtres humains ne mangent pas à leur faim. Il
existe un lien direct entre le processus de modernisation agricole et
l’extension de la faim due à une triple exclusion : des terres, du travail
et du marché.
Elle refuse les propositions de
« transition » et suggère plutôt des ruptures, en commençant par le rejet
du dogme du développement. Pour les économistes, un pays développé est un pays
sans paysans. Le développement durable n’est qu’un nouvel oxymore qui drape la
rentabilité du voile d’une écologie alibi. Il ne faut plus laisser aux experts
le soin de définir nos besoins fondamentaux. Elle propose également de rompre
avec la toute puissance des sciences et des techniques, de revenir aux savoirs
et savoir-faire paysans qui ont su inventer pendant des milliers d’années des
moyens de se nourrir.
Partant du constat de la perte de maîtrise sur nos
conditions de vie, elle préconise de retrouver des formes d’autonomie pour
sortir de la logique de marché en citant l’exemple des A.M.A.P. françaises, en
restaurant le dialogue des savoirs. Elle préconise la reconquête des
territoires, seul moyen de rétablir l’autonomie des processus de production à
grande échelle, prenant l’exemple du Chiapas où les Zapatistes produisent
principalement des cultures vivrières avec une forte prégnance des savoirs
traditionnels. Cette dissidence territoriale reste cependant ouverte sur le
monde.
L’auteur exprime l’urgence d’infléchir le cours des
choses. Notre société de consommation a réduit la notion de bonheur à la possession
d’objets. Les forces économiques et militaires, indissolublement liées, ont
pris le contrôle des territoires et des richesses de la planète. Partant des
initiatives existantes, il est temps d’amorcer la reconquête. Sans doute
faudra-t-il choisir entre industrie et agriculture. La nature reste
indispensable à la survie de l’humanité. Silvia Pérez-Vitoria compte sur une
force sociale, appuyée sur les paysans, pour ébaucher de nouvelles formes de
société. Elle cite souvent en exemple les campagnes de Via Campesina, organisation
internationale décentralisée qui regroupe des millions de paysans à travers le
monde et défend une agriculture durable à petite échelle comme moyen de
promouvoir la justice sociale et la dignité :
Sa connaissance du secteur, avec un champ de vision
mondial, alimente ses réflexions qui ne peuvent qu’enrichir les nôtres.
MANIFESTE POUR UN XXIe SIÈCLE PAYSAN
Silvia Pérez-Vitoria
194 pages – 18 euros.
Éditions Actes Sud – Collection « Questions de
société » – Paris – octobre 2015
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