11 août 2019

FACE AU TOTALITARISME, LA RÉSISTANCE CIVILE

Ce « mémoire d’Habilitation » constitue un dense résumé des quinze années de recherche de Jacques Semelin, professeur à Sciences-Po (Paris) et directeur de recherche au CNRS, sur la résistance civile au sein des systèmes totalitaires de l’Europe nazie et de l’Europe soviétisée.

Après un rapide exposé de son parcours et de son exploration des processus de la non-violence, il propose sa définition de la résistance civile comme « la résistance d’acteurs sociaux ou politiques appartenant à la société civile et/ou à l’appareil de l’État, et ce, par des moyens politiques, juridiques, économiques ou culturels ».
Le droit à la résistance est un héritage de la Révolution française de 1789 puisque la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen reconnait dans son article 2 le « droit de résistance à l’oppression
». S’il est impossible à codifier, on peut toutefois préciser les circonstances de sa légitimité :
  • L’abus de pouvoir, comme lorsque Hitler fit basculer l’Allemagne d’un régime démocratique à un régime de dictature. L’article 35 de la constitution de 1793 précise que « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peule, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
  • Dans le cas d’un occupation d’un pays par une puissance étrangère, la résistance est alors orientée contre l’envahisseur et ses collaborateurs. Elle trouve son dynamisme dans le refus de la défaite, réaction à une situation qui n’a pas été prévue.
  • De façon intermédiaire, une partie importante des occupés peut partager le système de valeur des occupants comme dans l’Europe soviétisée de l’après-guerre, ou alors un gouvernement vassal peut être installé comme au sein de l’Europe nazie.

« Résister, c’est d’abord trouver la force de dire non, sans avoir toujours une idée très claire de ce à quoi on aspire. » Si la résistance naît d’une rupture individuelle, elle doit parvenir à s’exprimer collectivement pour devenir. Dans le cas d’actions individuelles, on parle plutôt de dissidence, « non adhésion d’un individu à l’ordre politique imposé à tous par la contrainte physique », ou de désobéissance, « forme de dissidence qui franchit le tabou de l’illégalité ». « Le propre de la résistance est de s’attaquer au pouvoir de l’occupant et de ses forces collaboratrices, en mettant en cause la prétendue légitimité de sa présence, ses symboles, sa propagande et ses moyens de répression. » Les modes d’action de la résistance civile ne reposent pas sur le recours à la violence physique. Puisque l’assujettissement des hommes repose sur l’obéissance qu’ils consentent, la résistance civile se fonde sur le refus de la servitude et l’affirmation d’une légitimité différente.


L’un des traits fondamentaux de la Seconde guerre mondiale a été la forte imbrication entre moyens de lutte armée et non-armée. La résistance civile s’est manifestée soit combinée au but de guerre, afin de favoriser le combat armée, soit en recourant à des formes de mobilisation et de non-coopération sociales afin de défendre des objectifs civils.
« Résister sans armes suppose le dépassement de la peur face à des pouvoirs particulièrement brutaux. » Le degré de cohésion sociale d’une collectivité est un élément important ainsi la plupart des exemples de résistances civiles se situent dans les pays de l’Europe du Nord ou de l’Ouest, connaissant une certaine stabilité démocratique, au contraire de ceux de l’Europe du Sud ou de l’Est, habitués à une plus grande instabilité politique et où se développa plutôt la résistance armée. Le degré de collaboration de l’État avec la puissance occupante joue également sur la dynamique d’une opposition potentielle, la légitimant ou pas. De même le soutien de l’opinion peut changer le cours des choses.
Jacques Semelin propose « la théorie des trois cercles » pour comprendre le fonctionnement de la résistance : les mouvements de résistance organisée sont soutenus par un réseau de complicité active et un cercle beaucoup plus étendu de complicité passive. La résistance civile passive utilise « la force des mots et des symboles », la « réactivité sociale », manifestation d’une intolérance à certains aspects de la politique du régime, et la solidarité clandestine avec ceux qui sont victimes de la répression.
Avec « la théorie des trois écrans », il explique comment « tout ce qui a contribué à mettre de la distance entre les persécuteurs et leurs victimes désignées a augmenté les chances de survie de ces dernières » : l’État, l’opinion publique et les réseaux de sauvetage.
Les résistants se trouvaient souvent contraints d’inventer des formes de résistance civile par manque d’armes et le choix de la lutte armée était aussi retardé par la difficulté des citoyens à intégrer la légitimité de la violence en dehors de l’État, notamment au Nord et à l’Ouest de l’Europe. Penser la résistance c’est autant décrire la partie organisée, « institutionnellement édifiée dans l’intention d’entraver la réalisation des objectifs de l’occupant », que les multiples et diverses complicités, dissoutes dans la société et moins clairement identifiables.


La montée de la résistance civile dans l’Europe soviétisée a été encouragée par les médias occidentaux, utilisés comme « moyens de briser l’isolement des populations ». La crédibilité de celles des médias officiels étant quasiment nulle, on cherchait à capter des informations extérieures auprès de radios de représentation (BBC, RFI), au service des intérêts politiques et économiques des États qui les financent, ou de substitution (Radio Free Europe ou Radio Liberty), à visée subversive, des programmes intentionnellement émis pour les populations de l’Est ou des programmes résultants de débordements hertziens. S’ils n’ont pas déclenché les révolutions, les médias occidentaux ont accéléré l’effondrement des régimes en informant sur le développement des mobilisations et l’amplifiant, selon « la théorie des béquilles ». « Ce n’est pas le média qui crée l’ouverture de la société, mais l’aspiration à l’ouverture au sein de cette société qui constitue un public potentiel pour ce média. »
L’auteur distingue trois étapes dans la conquête de la parole :

  • Aux premiers temps de la guerre froide, la parole libre ne vient que de l’extérieur sous forme d’ingérence médiatique.
  • Après la port de Staline en 1953, les premières tentatives d’affranchissement de la parole naissent au sein du système, sous forme de débat public et d’action publique protestataire (insurrection hongroise de 1956, Printemps de Prague en 1968).
  • Dans les années 1970, la dissidence se développe sur la scène internationale.
« En refusant l’affrontement physique, les opposants défient les dirigeants communistes sur le terrain du symbolique, terrain sur lequel ceux-ci sont de plus en plus vulnérables, du fait de leur incapacité à faire adhérer les populations à des valeurs auxquels ils ne semblent plus croire eux-mêmes. » La répression contre ces mouvements, ne pouvant être justifiée par la nécessité de lutter contre la violence, ne fait qu’augmenter leur audience et les sympathies internationales. « Les bouleversements de 1989 ne sont pas des « révolutions » au sens habituel du mot, mais une implosion du système ». Ils représentent « une victoire des peuples contre l’ordre des États ».


Jacques Semelin dégage, en conclusion, des pistes de réflexion pour ses travaux à venir. Cette brève synthèse de ses recherches ouvre vers ses autres ouvrages pour approfondir certaines questions, l’étude d’aucune tactique ne devant être négligée.






FACE AU TOTALITARISME, LA RÉSISTANCE CIVILE
Jacques Semelin
114 pages – 19,90 euros
André Versailles éditeur – Waterloo (Belgique) – Février 2011




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