25 novembre 2021

« ENNEMIS MORTELS » Représentations de l’islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale

Des représentations de l’islam et des musulmans ont été élaborées, de la fin du XIXe siècle jusqu’à la guerre d’Algérie, par les élites académiques, scientifiques, littéraires et politiques : religion « nuisible » selon Ernest Renan, sexualité prétendument débridée et « contre nature » de ses adeptes selon Maupassant, jugés rétifs au progrès, danger protéiforme et existentiel qui menace les bonne moeurs et la sécurité sanitaire, l’avenir de la nation et de la civilisation occidentale. Olivier Le Cour Grandmaison, enseignant en sciences politiques et philosophie politique à l’université Paris-Sarclay-Évry-Val d’Essonne, analyse « l’invention d’un Orient islamisé réputé par nature obscurantiste, hostile au progrès et ennemi d’un Occident pensé comme l’unique moteur de l’histoire universelle », qui affecte notre présent et alimente beaucoup d’obsessions islamophobes contemporaines.

19 novembre 2021

L’ENFER NUMÉRIQUE

Le monde numérique se prétend « dématérialisé » mais consommerait 10% de l’électricité produite sur la planète et dégagerait 4% des émissions de CO2, soit près du double du secteur aérien civil. Après LA GUERRE DES MÉTAUX RARES, le journaliste Guillaume Pitron, poursuivant son enquête sur le monde technologique qu’on nous prépare, a découvert que le cloud, loin d’être virtuel, s’annonce surtout celui de bien des pollutions. Avec ses multiples interfaces, son réseau gigantesque et ses besoins de stockage astronomique, quel est le véritable impact écologique de l’industrie numérique ?

17 novembre 2021

LE MIDDLE GROUND

« Ce livre s’écarte de ces histoires par trop simplistes et les refond dans un récit plus complexe et moins linéaire. Il parle de la recherche d'un compromis et d’un sens commun. » Lorsqu'il parait en 1991, il provoque une déflagration copernicienne, mettant à mal la version dichotomique de histoire américaine. Pendant deux siècles, du XVIIe au début du XIXe siècle, dans la région des Grands Lacs qu’étudie Richard White, professeur d’histoire américaine à l’université de Stanford, les habitants, Algonquiens et Européens de diverses origines, ont édifié « un monde commun compréhensible par tous », « créant de nouvelles grilles d'interprétation et de nouveaux systèmes d’échange », non sans violence et conflits, s’adaptant les uns aux autres « au travers d'un système de méprise aussi créatif qu’opportun » qu'il nomme « le Middle Ground ». Incapables de contraindre ou d’ignorer les Indiens, dont ils avaient besoin en tant qu’alliés, partenaires commerciaux, partenaires sexuels et voisins pacifiques, de les « transformer en autre radical », les Blancs durent les rencontrer et inventer un monde commun et pérenne, jusqu’à ce que les Indiens ne soient plus capables de les contrer. Mais la République américaine réussit là où les empires français et anglais avaient échoué : « les Américains inventèrent les Indiens et les obligèrent à supporter les conséquences de cette invention ». Depuis, nous considérons l’histoire de l’époque coloniale et des premiers temps de la République américaine « à travers le prisme de l’altérité ».

14 novembre 2021

LA BREBIS GALEUSE

Elle n‘a pas du tout « l’esprit de troupeau ». Les autres brebis la détestent parce qu’elle est « improductive » : elle a refusé les béliers. Et « pas de béliers, pas d’agneau. Pas d’agneau, pas de lait. » Alors, pour échapper à sa « délicate condition de côtelette », elle se taille une crête sur le crâne, la peint en bleu, raconte qu’elle a la gale et s’enfuit de la ferme d’Albert.

9 novembre 2021

POURQUOI LES LAPINS NE FÊTENT PAS LEUR ANNIVERSAIRE

Zou, petit lapin blanc du Lubéron, a décidé de quitter sa famille pour découvrir le vaste monde, en ce petit matin d’automne. Alors qu’il s’égare sous un mûrier sauvage, pour en grignoter les baies rouges et noires dont il raffole, il débouche sur une vaste prairie occupée par de nombreux lapins qui, « le museau protégé par une étoffe », le mettent en quarantaine dans un vieux cabanon.

LUIGI LUCHENI, L’ANARCHISTE QUI TUA SISSI

Devenu célèbre en poignardant l’impératrice d’Autriche Élisabeth en 1898, Luigi Lucheni (1873-1910) couchera, dans la cellule de sa prison, le récit de sa vie sur les pages de cinq cahiers dont un seul nous est parvenu, celui qui retrace son enfance. Il entendait montrer aux criminalistes qui veulent comprendre « comment s’altère la nature humaine », que les injustices sociales ont fait de lui « un criminel… artificiel », et aux « chantres du soi-disant progrès social », la nécessité de « s’intéresser un peu plus de l’enfance abandonnée ». À le lire, on se persuade rapidement, comme il l’escomptait, que « ce n’est pas un stupide […] qui a assassiné l’infortunée Impératrice » et que « c’est à la société qu’appartient la faute », pour l'avoir négligé.

8 novembre 2021

LE GANG DES CHEVREUILS RUSÉS

Depuis qu’elle a quitté Paris avec ses parents pour s’installer au pied des montagnes, Foxy, 10 ans, aime promener sa tignasse rousse dans les bois, faire du vélo toute seule dans le village et grimper jusqu’à sa cabane secrète près du « rocher du Dragon ». Mais un dimanche matin, un panneau publicitaire vantant les mérites d’un futur complexe hôtelier et de son golf apparait, annonçant un chantier qui détruira inévitablement, outre sa cachette, les vignes du voisin, l’auberge de madame Noël et le champ des chevreuils.

DICTIONNAIRE DE LA COMMUNE

« La tentation, surtout dans un dictionnaire, serait de ramener toute la pensée de la Commune à une définition. C'est un vieux complexe : on veut posséder, on veut savoir. Toute notre tradition culturelle est une tradition de propriétaires. Il s'agit de s’approprier, et vite, l’essentiel. La Commune est révolutionnaire en ce sens, aussi, qu’il n'y a pas moyen de la réduire à ce point. » Bernard Noël a composé ce copieux volume, parfaitement lisible dans son intégralité, et qui propose une espèce de reconstitution historique on ne peut moins labyrinthique.

5 novembre 2021

FILS DE VOLEUR

En racontant les jeunes années d’Aniceto Hevia, l’écrivain chilien Manuel Rojas livre ses souvenirs d’enfance : sa famille en perpétuel déménagement pour suivre les activités professionnelles du père, voleur renommé, puis la soudaine dislocation de celle-ci et son errance, alors qu’il est encore à peine un adolescent, entre l’Argentine et le Chili. « S'est ainsi que je partis à l'aventure, avec pour tout bagage une mère morte, un père en prison et trois frères disparus ; c'était beaucoup pour quelqu'un d'aussi jeune, mais d'autres enfants étaient peut être encore plus à plaindre. »

4 novembre 2021

LA GRANDE TRANSFORMATION DU SOMMEIL

La manière de dormir, d'un bloc d'environ huit heures, telle que nous la connaissons, s'est répandue à l’ère de la révolution industrielle avec la généralisation de l'éclairage artificiel des villes et l'imposition d'une nouvelle discipline du travail. À partir d’extraits de journaux intimes, d’oeuvres littéraires (d’Homère à Stevenson, en passant par Shakespeare et Virgile), de dépositions judiciaires et de livres de médecine, Roger Ekirch, professeur d'histoire à l'Institut polytechnique de Virginie, montre que le sommeil était communément jusque-là scindé en deux moments, séparés par une période de veille consacrée à différentes activités.

2 novembre 2021

LA DOMINATION POLICIÈRE

En prétendant défendre ce que l'État appelle l’ « ordre public », la police légitime son fonctionnement réel en cachant le fait qu'elle protège un ordre social inégalitaire. La violence physique et psychologique qu’elle produit rationnellement, par « les rondes et la simple présence, l'occupation virile et militarisée des quartiers, les contrôles d’identité et les fouilles au corps, les chasses et les rafles, les humiliations et les insultes racistes et sexistes, les intimidations, les menaces, les coups et les blessures, les perquisitions et les passages à tabac, les techniques d'immobilisation et les brutalisations, les mutilations et les pratiques mortelles », sont « les conséquences de mécaniques instituées, de procédures législatives et judiciaires, de méthodes et de doctrines enseignées et encadrées par les écoles et les administrations ». Mathieu Rigouste établit une généalogie de la police, depuis son origine coloniale, analyse l’évolution des figures de l’ennemi intérieur, depuis les « fellaghas » jusqu’aux « sauvageons de banlieue », l’élaboration et la légitimation idéologique de ce système coercitif jusqu'à sa mise en œuvre sur le terrain, pour assurer « la reproduction de la domination raciste, patriarcale et capitaliste ».