Saul Alinsky égratigne bon nombre de syndicats à qui il reproche de défendre la société telle quelle est. Organisation centralisée des travailleurs mise en place en parallèle à l’organisation centralisée de l’industrie, un syndicat a pour but de soumettre le pouvoir à ses propres objectifs par une négociation collective entre employeurs et employés. Il constate que « presque toutes les pratiques vicieuses de l’économie capitalistes monopolistiques trouvent un écho dans le mouvement syndical ouvrier. » « Tout comme les entreprises augmentent les prix en créant artificiellement la rareté des matériaux, les syndicats créent la rareté artificielle de leur propre stock de capital, c’est-à-dire le travail. » Ainsi, par exemple, les membres de l’Association des souffleurs de verre brisaient-ils les bouteilles de bière qu’ils vidaient pour assurer leur travail. Il n’est nullement question de souci du bien public. Pire encore, il explique comment l’objectif du syndicat des Mineurs unis d’Amérique ne fut pas la revendication « à travail égal, salaire égal » lors de la négociation des accords inter-étatiques, mais l’organisation des gisements de charbons desservant les mêmes marchés pour maintenir des prix de vente élevés. Les syndicats perdent leur idéal révolutionnaire initial dès lors qu’ils se développent et deviennent intéressés au système. Si les classes ouvrières assumaient le contrôle politique de l’économie et de la société, les syndicats perdraient leur raison d’être. Il dénonce également la discrimination raciale pratiquée par certaines fédérations. Il préconise une transformation complète des syndicats afin qu’ils deviennent « une organisation des citoyens américains unis pour vaincre toutes les forces destructrices qui assaillent le travailleur et sa famille ».
Malgré la mise en garde de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique en 1835, contre une contradiction fondamentale qui pourrait entrainer la destruction de la démocratie : « C’est surtout dans le détail qu’il est dangereux d’asservir les hommes », des millions de citoyens sont dépossédés de leur propre voix. « Ils n’ont aucun moyen de tremper les mains ou le cour dans la pâte de leur destinée ». À mesure que la liberté était introduite dans la sphère démocratique, le despotisme s’accroissait dans la sphère administrative. Un gouvernement libéral, énergique et sage ne peut sortir des suffrages d’un peuple de serviteurs.
Saul Alinsky défend les « organisations du peuple » dont la première a vu le jour en juillet 1939 dans le quartier des parcs à bestiaux de Chicago, Back of the Yards, enjambant les barrières économiques sociales, religieuses qui séparaient tous les groupes de cette communauté. Il explique comment développer un leadership local, comment s’appuyer sur les traditions et les organisations, manœuvrer parfois pour recueillir l’implication de toutes ces dernières, élaborer un programme en commun plutôt que de l’imposer de l’extérieur. « Une organisation du peuple n’est ni un jouet philanthropique, ni une initiative destinée à améliorer les services sociaux. C’est une force profonde et redoutable qui frappe et s’attaque à la racine de tous les maux qui assaillent le peuple. » « Les organisations du peuple sont engagées dans une guerre perpétuelle. Une guerre contre la pauvreté, la misère, la délinquance, la maladie, l’injustice, le désespoir et le malheur. » « Une guerre n’est pas un débat intellectuel. »
Il prône l’éducation populaire en accord avec Thomas Jefferson qui affirmait : « Éclairez le peuple dans son ensemble, et la tyrannie et l’oppression du corps et de l’esprit s’évanouiront comme des fantômes au point du jour. » Il s’agit d’apprendre dans un but précis, non uniquement pour apprendre.
« La construction des organisations du peuple, c’est la révolution ordonnée. À travers ce processus, le peuple vient occuper progressivement, mais irrévocablement, sa place en tant que citoyen au sein de la démocratie. » Au contraire, promet-il, l’indifférence, le désespoir, la frustration, le sentiment d’inanité et d’inutilité mèneront au fascisme et à la dictature.
Moins immédiatement « utilitaire » que son autre ouvrage disponible en français, ÊTRE RADICAL, ce livre pointe tout de même, et notamment, les dangers de la fragmentation et la nécessité de vastes alliances dans les luttes. Abondamment illustré d’exemples tirés de l’expérience même de Saul Alinsky, il apporte également un regard historique sur sa pensée.
RADICAUX RÉVEILLEZ-VOUS !
Saul Alinsky
Préface de Marie-Hélène Baquet
300 pages – 15 euros
Éditions Passager clandestin – Paris – Février 2017
http://www.lepassagerclandestin.fr/
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